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    27/05/2019

    « Toujours en Quechua, taille M Quechua, taille M Kipsta »

    Decathlon, à fond la street

    Par Inès Belgacem , Léo Derivot

    « J'ai ma Quechua, everyday ! », scande le groupe de rap 2MR Squaad. Au pied des tours les marques bon marché de Decathlon ont la côte. Sur les réseaux sociaux, les CM de l'entreprise jouent avec bonne humeur de ce capital sympathie.

    « On est en Quechua quand on chiche, quand on se bat, quand y’a la police. Après quand on sort… c’est une autre histoire », rigole Benny, 19 ans, entouré d’une vingtaine de copains, tous vêtus de la veste à capuche emblématique de la marque de randonnée de Decathlon. Polaire, lunettes, chaussettes, chaises de camping, tout est Quechua dans le quartier des Fleurs, à Carrières-sous-Poissy (78). L’un d’eux se pavane en jogging Kalenji, la griffe running de Decat’. Un autre raconte avoir des maillots Kipsta, la marque sports co de l’enseigne. « Nous, on s’approvisionne au Decathlon de La Défense. Mais dans toutes les cités c’est la même : Quechua c’est la base », assure Job, 17 ans, en tapotant ses solaires de la marque.

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    Tous en Quechua à Carrière-sous-Poissy. / Crédits : Léo Derivot

    « Ça représente le quartier, c’est nos valeurs. Que je perce ou pas, je vais continuer à porter ça », balance Stavo, membre de 13 Block, groupe de rap phénomène. Dans un de leurs morceaux, Zidane, ils rappent « Toujours en Quechua, taille M Quechua, taille M Kipsta ». La phrase est instantanément devenue un mème sur les réseaux sociaux. JUL, SCH, RK, Koba la D, Nihno, PLK, Sofiane, 4Keus, Naps, Zola et bien d’autres stars du rap citent régulièrement les marques du groupe Decathlon. « C’est incroyable le nombre de ref qu’on a », commente Yann Amiry, à la fois amusé et impressionné. Depuis 2 ans, il co-gère la stratégie réseaux sociaux des différentes filiales du magasin. Et sur Twitter, il est devenu une petite célébrité, à force de répondre aux rappeurs, mais aussi pour avoir géré la polémique autour du hijab de running du magasin. Résultat : le nombre d’abonnés de certains comptes Twitter de l’entreprise a bondi de 20 à 30%. S’y ajoute un capital sympathie énorme.

    One love

    « Depuis petit, on est accrochés à cette marque », explique Stavo, 25 ans, par téléphone. Le rappeur de Sevran raconte qu’enfant il avait la panoplie Kipsta pour le foot, et les vêtements Quechua pour le reste du temps. « C’est pas cher et de bonne qualité. On n’avait pas d’argent pour du Nike. Imagine, en hiver, avec 20 euros dans la poche, tu peux acheter des vêtements de randonneur et ne pas avoir froid. » Aujourd’hui, il a toute une collection de lunettes et de vestes de la marque. Récemment, il a interpellé Decathlon sur les réseaux sociaux pour réclamer un survet Quechua, « haut et bas. Faut penser aux mecs des quartiers maintenant ». Il commente :

    « Comme on est accrochés à nos valeurs, on reste en Quechua. S’ils faisaient des jeans Quechua, je les porterais. C’est pas Chanel ou Gucci qui me font bander ! Je porterai les lunettes Quechua jusqu’à la mort ma gueule. »

    RK, récemment disque de platine, raconte dans un de ses freestyles #Dansletierquar : « Eh, fallait faire un choix. J’ai opté pour Versace, j’oublie la Quechua ». « J’ai changé de vie, c’est ça que je veux dire », précise par téléphone le rappeur de Meaux, avant d’enchaîner : « La veste à capuche Quechua c’est le starter pack. C’est la dégaine de charbonneur, c’est le code ». Florian, 21 ans, de Carrière-sous-Poissy, est plus direct : « Ça couvre bien pour les gens en bas du bloc, ceux qui vendent des stupéfiants. Qui sont H24 dehors, avec leur chaise et leur veste. C’est obligé d’avoir sa Quechua ». RK porte tout de même encore une veste Quechua, celle que lui a envoyé la marque à la sortie de son morceau, accompagné du message « Oublie la Versace, opte pour la Quechua ».

    « Ça nous a fait tripper »

    En bas du bâtiment 12, dans le quartier des Fleurs, ca rigole et ça se bouscule. Un vieil homme sort l’air grognon. Les gamins font trop de bruit. Il fend la foule avant de se faire alpaguer :

    « Eh, même lui il porte du Quechua ! La polaire ! Ouais ouais ouais, Quechua everyday ! »

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    Quechua everyday / Crédits : Léo Derivot

    Tous sautillent autour du bonhomme, impassible, au rythme du morceau de 2MR Squaad, groupe local formé par Adrien, Benny, Florian et Job. Les rookies sont devenus des vedettes dans le coin, depuis leur morceau QUECHUA. En un mois, ils comptabilisent 69.000 vues, deux fois plus que leurs autres sons, postés il y a plus de 2 ans. « C’est Decathlon qui nous a donné de la force ! » Leur copain Teddy commence par poster sur Twitter un freestyle flou, filmé au téléphone, de seulement quelques secondes. « C’était n’imp. On était dans la cité et on faisait du yaourt. J’ai vu qu’on était tous en Quechua. Alors j’ai improvisé en disant “J’ai ma Quechua” et les potes rajoutaient “everyday” », rembobine Job. Dans la foulée, le compte de Decat’ leur répond : « On veut le son entier ». Le twitter de Quechua change sa bio en « J’ai ma Quechua, j’ai ma Quechua, j’ai ma Quechua (Everyday) ». Le bande le prend comme un défi. Le lendemain ils sont en studio. Le surlendemain, ils clippent le morceau. En deux jours, l’hymne à la gloire de la veste de randonnée est né.

    « Ça nous a fait tripper », sourit Anthony Roty, community manager de Quechua. Le bonhomme de 28 ans raconte que la petite équipe social media – cinq personnes âgées de 25 à 30 ans – est fan de rap. « Mais ça n’est pas un critère de recrutement », assure Yann Amiry. Les deux CM jurent que la démarche est spontanée. « On tombe sur les clips ou les interviews des rappeurs parce qu’on les suit. On ne fait pas une veille “rappeurs” », insiste Anthony. Depuis deux ans, ils ont pour mission de rajeunir l’image des différentes filiales de Decathlon. Alors ils se permettent des vannes, des petits clashs et s’amusent à répondre sur Twitter. « On a établi que c’était le réseau des jeunes. Les comptes Facebook ou Instagram sont beaucoup plus classiques. » Leurs boss leur ont laissé carte blanche, assurent-ils. « Mais on fait beaucoup de pédagogie en interne pour expliquer que notre métier n’est pas que de faire des blagues sur internet… »

    Le sport pour tous

    Sur les comptes Twitter de la marque, on croise des postes de SCH en polaire flashy – « le seul à mettre nos produits avec des pantalons à 1.000 euros », rit Yann Amiry – ou JUL en full jogging Kipsta, option sac à dos Quechua à 3 euros. « Ça doit être notre plus grand fan. » Un jour, Yann s’est retrouvé au showcase privé du Marseillais, organisé pour la sortie d’un de ses albums. « C’est une invitation improbable quand on sait que je travaille chez Decathlon… »

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    En I. / Crédits : Léo Derivot

    Si aucun partenariat n’est prévu, les CM envoient parfois des petits cadeaux aux artistes. Comme cette fois où Anthony Roty a offert des gourdes à Roméo Elvis, soucieux de réduire sa consommation de plastique. « On va envoyer un petit colis à 2MR Squaad aussi, pour les remercier. » Et quand l’enseigne a réédité son survêtement 1985, elle a fait appel au twittos Billy, alias Rebeudeter, « pour jouer sur le côté plus lifestyle que sport ».

    « Je trouve ca bien qu’une marque s’associe à la street, c’est cool », commente Florian de 2MR Squaad. Les responsables réseaux sociaux n’y voient aucun problème. « On ne fait pas d’ostracisme, on répond à tout le monde. Je vanne aussi bien des rappeurs que des chercheurs. Mac Lesggy vient d’ailleurs de me répondre », explique Anthony Roty. Yann embraye:

    « On a toujours été une marque de proximité. On fait partie de la vie de tout le monde. On répond à tout le monde. »

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    Posé. / Crédits : Léo Derivot

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