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    06/10/2020

    Prison, rétention, expulsion

    De la prison au centre de rétention, la double peine des étrangers sans papier condamnés

    Par Rémi Yang , Yann Castanier

    En 2019, 2.954 personnes ont, à leur sortie de prison été placées en centre de rétention, dans le but de les expulser. Une double peine pour ces étrangers dont la situation est bien souvent devenue irrégulière en détention.

    « C’est injuste », répète en boucle Ali, depuis la cour du centre de rétention de Vincennes. Ce sortant de prison s’est vu délivrer une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) pendant sa détention. Parce qu’il croupissait à la prison de la Santé, le ressortissant égyptien, condamné à neuf mois ferme pour violences conjugales, n’avait pas pu renouveler son titre de séjour. Il a immédiatement été placé en Cra après avoir purgé sa peine. Trois nouveaux mois d’enfermement se sont ajoutés en attendant une expulsion… qui n’est jamais venue. Ali a été remis en liberté en juillet.

    « Ce dossier m’a beaucoup marqué », confie son avocat. Ali était son premier client à passer de la case prison à la rétention. « C’était une triple peine. Il a été condamné à titre pénal et immédiatement incarcéré. Dès sa sortie, on l’a placé en centre de rétention avec une obligation de quitter le territoire français et on lui dit qu’il ne pourra pas revoir ses enfants. C’est excessivement sévère », considère-t-il.

    Près de 3.000 sortants de prison placés en centre de rétention

    En France, 2.954 détenus ont, comme Ali, été placés en Cra à leur sortie de prison. Un système de double peine qui ne dit pas son nom. Ils ont représenté 14,5% des retenus en Cra, d’après un rapport national diligenté par La Cimade, ASSFAM-Groupe SOS Solidarités, France terre d’asile, Forum Réfugiés-Cosi, et Solidarité Mayotte, les principales assos de défense des droits des étrangers sans papiers. Elles notent que depuis 2017, le nombre de sortants de prison enfermés dans les centres de rétention « a presque doublé ». « Les Cra remplissent ainsi une fonction de prévention supposée de troubles à l’ordre public pour des personnes qui ont pourtant purgé leur peine et qu’aucun juge n’a à nouveau condamné ».

    David Rohi, responsable du pôle rétention de La Cimade, observe que cette pratique a explosé depuis 2017. Selon lui, ce serait une conséquence de l’attaque au couteau à la gare de Marseille Saint-Charles revendiquée par l’organisation État Islamique. L’auteur, en situation irrégulière, avait été interpellé quatre jours avant, mais n’avait pas été placé en Cra faute de places. « Ça a causé un scandale. Toute l’équipe préfectorale des Bouches-du-Rhône a sauté, rembobine l’associatif. À partir de ce moment-là, on a constaté une forte augmentation du nombre de sortants de prison enfermés en centre de rétention. C’est une évolution politique de l’étiquetage des personnes jugées dangereuses. »

    « Il y a toujours eu des détenus conduits au CRA directement depuis la prison. Sauf que depuis la loi de septembre 2018, ils y restent 3 mois ! », s’alarme Me Nayeli Magraner, avocate spécialisée en droit des étrangers. Pendant le confinement, certains de ses confrères et consoeurs – ainsi qu’elle-même – ont tenté de dépeupler les centres de rétention via des actions de défense collective. « Au bout de moult requêtes et audiences, les CRA se sont pratiquement vidés », relate-t-elle. Les seules personnes qu’ils ne sont pas arrivés à faire sortir étaient des sortants de prison. En cause, des problèmes liés à la notification des OQTF, délivrées à la va-vite. « Par exemple, on ne dit pas aux personnes recevant l’OQTF qu’elles ont le droit à l’avocat et à un interprète, ou les voies de recours sont mal notifiées, voire pas notifiées du tout », continue Me Nayeli Magraner.

    « C’est mission impossible d’exercer un recours en prison »

    Youssef (1) a passé huit ans au placard, à Fleury Mérogis. Cela fait 25 jours qu’il est bloqué dans un centre de rétention en Île-de-France. « La prison c’est mieux qu’ici. Au moins là-bas tu manges, t’as de la nourriture », lâche-t-il. Son titre de séjour a périmé un an avant sa sortie de prison. « Le Spip (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) m’avait donné une journée de permission de sortie pour faire renouveler mes papiers, rembobine-t-il. Quand je suis arrivé à la préfecture on m’a dit : “Monsieur, vous n’aurez pas le temps en une journée. Allez profiter de votre famille’’. » Me Anne Mileo, avocate spécialisée en droit des étrangers, explique :

    « Soit les personnes sont déjà en situation irrégulière en entrant en maison d’arrêt, soit elles perdent leur droit au séjour pendant l’incarcération. En prison, il est difficilement possible de faire une demande de renouvellement. »

    La plupart du temps, les OQTF sont notifiées aux détenus étrangers pendant leur détention, « peu de temps avant la libération », note l’avocate. Il n’est pas rare que les personnes ciblées ne parlent ni ne lisent le français : elles ne sont donc pas en mesure de comprendre d’emblée la portée de cette décision. Et lorsqu’elles y arrivent, elles doivent se rapprocher de la permanence du Spip pour faire valoir leurs droits. Problème : les OQTF, dont le délai de contestation est de 48 heures, sont souvent délivrées le vendredi soir, alors que beaucoup de permanences ferment le week-end.

    En 2017, l’OIP s’était associé à La Cimade pour produire un rapport analysant la contestation des OQTF en milieu carcéral. « Quand les étrangers détenus parviennent – parfois par des moyens extravagants – à déposer un recours auprès du Tribunal administratif, un nombre incroyable d’irrecevabilité pour tardiveté sont prononcées. Ainsi, (…) ce sont près de 45% des requêtes qui aboutissent à des rejets pour irrecevabilité. Aucun autre contentieux administratif ne présente des taux équivalents ! ». « C’est vraiment mission impossible d’exercer des recours en prison », commente David Rohi, responsable du pôle rétention à La Cimade.

    Youssef en a fait les frais. Lorsqu’il a reçu son OQTF, il n’a pas compris qu’il pouvait déposer un recours. « À cause de cette vieille croix que j’aurais pu cocher, j’ai fini en centre de rétention », fulmine-t-il.

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