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    15/10/2020

    Une commission d’enquête qui n’enquête pas

    Ceux qui critiquent les pratiques policières blacklistés à l’Assemblée nationale

    Par Nathalie Gathié

    Les familles Traoré, Bentounsi, Chouviat, le président de SOS Racisme, les avocats Alimi et Kempf… La commission d’enquête parlementaire sur la police refuse d’entendre (presque) toutes les voix discordantes.

    À l’Assemblée nationale, une commission d’enquête parlementaire est chargée de dresser un « état des lieux » de la déontologie, des pratiques et doctrines de maintien de l’ordre. La majorité LREM a placé à sa tête Jean-Michel Fauvergue… Un ancien flic ! Bombardé député de Seine-et-Marne après avoir dirigé le RAID, cet élu prompt à tonitruer que « les Français méritent qu’on monte au front pour leur sécurité » s’ingénie à orienter le cours des travaux de cette instance censée mettre en lumière le pourquoi et le comment des errements des forces de l’ordre constatés au fil des manifs de ces derniers mois.

    Histoire de garder la main sur les débats, ce fan des arts martiaux use et abuse de l’esquive. Sa méthode ? « Retoquer certaines des personnalités que nous lui proposons d’auditionner », commente George Pau-Langevin, rapporteure de cette commission créée à l’initiative du groupe PS auquel elle appartient. Sans surprise, « les grands patrons des services de police et les syndicats sont les bienvenus », développe la socialiste :

    « Mais nous devons négocier pied à pied pour que la parole des ONG, des chercheurs, des avocats de victimes de violences et, plus périlleux encore, des familles soient entendue. »

    Joint par Streetpress bien qu’il apprécie peu « les interrogatoires menés par des journalistes », Jean-Michel Fauvergue minimise son rôle et assure que « les personnes écartées l’ont été par le bureau de la commission » et non à sa seule initiative. Pour info, ledit bureau n’est composé que de Marcheurs, de Républicains et de députés proches de la majorité présidentielle à l’exception de la rapporteure socialiste. « Les refusés d’hier ne seront peut-être pas ceux de demain », tente l’ancien galonné.

    Il refuse d’entendre les voix qui dérangent

    En attendant, le salon des recalés, définitifs ou provisoires, affiche des dimensions de hall de gare. Comme l’avait révélé Libé, Assa Traoré – fondatrice du Comité la Vérité pour Adama –, a été éconduite. Les proches de Cédric Chouviat – décédé deux jours après la clé d’étranglement et le plaquage ventral subis lors de son interpellation en janvier dernier – et Amal Bentounsi – sœur d’Amine, tué d’une balle dans le dos lors d’une course-poursuite avec des policiers en 2012 – figurent aussi parmi les blacklistés. Membre de la Ligue des droits de l’Homme (LDH), défenseur d’une vingtaine de Gilets jaunes, de la famille Chouviat ou encore de Geneviève Legay, militante d’Attac violentée lors d’une manif à Nice en 2019, l’avocat Arié Alimi est à ce jour indésirable. Même veto pour son confrère Raphaël Kempf qui dénonce inlassablement les dérives sécuritaires de l’Etat et défend de nombreux activistes victimes de répression.

    « Jean-Michel Fauvergue justifie ces refus par le fait qu’entendre ces témoins pourrait entraver des enquêtes ou des procès en cours, explique George Pau-Langevin. C’est un prétexte car nous ne les interrogerions pas sur le fond des affaires mais sur leur ressenti au chapitre de la détérioration des relations entre la police et la population ». Membre de la commission, l’élu Insoumis Ugo Bernalicis avance que « tout est fait pour restreindre le champ d’investigation des députés. Pour Fauvergue et son “bureau”, les contrôles au faciès, les interpellations abusives doivent rester des angles morts. Ils sont en train d’inventer le concept de commission du refus d’enquêter ! ».

    Dans La sécurité des Français, bouquin paru l’année dernière, le plus policier des « Marcheurs » livre le fond de la pensée qu’il continue à exprimer en commission : « L’idée que, lors de manifestations, on mette à égalité ceux qui portent le fer et le feu, en particulier contre nos forces de l’ordre, et la riposte légale de ces derniers m’est insupportable. Lorsqu’il n’y a pas d’agression contre les forces de l’ordre, il n’y a pas de riposte ». Au fil des pages, il écrit qu’« il est également intolérable que, lors de procédures pour rébellion, la confrontation du policier avec son agresseur soit systématiquement demandée par les magistrats ». Pourquoi une telle exaspération ? « Cela tend à mettre sur un pied d’égalité le représentant de l’autorité étatique et l’autre partie. » Sous texte, la parole policière est d’or… Jusqu’à preuve du contraire.

    Repêchés au rattrapage

    De quoi faire réagir Christian Mouhanna, directeur du Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales (CESDIP). Ce spécialiste des organisations policières, auteur de « La police contre les citoyens ? », a été repêché. En effet, après l’avoir « récusé », le bureau a finalement consenti à l’entendre ce 14 octobre, au même titre que d’autres « mal-pensants » comme le sociologue Fabien Jobard. En sera-t-il de même pour l’Association des Chrétiens pour l’abolition de la Torture  qui éreinte le nouveau schéma national de maintien de l’ordre présenté par les autorités comme un « éloge de la liberté de manifestation mais dont les mesures énoncées disent tout l’inverse » ? À l’origine d’un rapport ultra argumenté qui dénonce « l’abandon partiel des principes fondamentaux de la doctrine française du maintien de l’ordre qui était notamment basée sur le maintien à distance des foules » et condamne « la dangerosité excessive d’armes telles les grenades de désencerclement et les lanceurs de balles de défense », l’ONG n’est pas dans les petits papiers de la Commission.

    Dans un autre registre, SOS Racisme déplaît tout autant. « Nous recevoir reviendrait, selon Jean-Michel Fauvergue, à reconnaître qu’il existe un racisme systémique au sein de l’institution, s’agace Dominique Sopo, président de SOS. Il adopte un comportement de citadelle assiégée et refuse de regarder en face une réalité déjà très documentée. Ce niveau de déni est stupéfiant mais il faut se souvenir que c’est quand même ce monsieur qui, en avril 2019, avait appelé à “oublier l’affaire Malik Oussekine” ». Du nom de cet étudiant battu à mort par des policiers voltigeurs en marge d’une manif, en 1986.

    Amnesty envoyée dans les roses

    La socialiste George-Pau Langevin ne désespère pas « de grappiller quelques auditions susceptibles de mettre à plat ce qui vicie les relations police-population ». Le 7 octobre, Anne-Sophie Simpère, responsable plaidoyer Libertés à Amnesty International, a ainsi tenté de faire valoir devant la commission les conclusions d’« Arrêté-e-s pour avoir manifesté ». Un rapport fondé sur 66 témoignages recoupés d’interpellés et des interviews de nombreux spécialistes ou représentants de l’institution.

    Au micro, elle a regretté « le manque de transparence des enquêtes de l’IGPN en cas d’allégation d’usage des armes » pendant les manifestations. « À ce propos, vous avez des tuyaux parce que c’est une information importante ? », a ironisé Jean-Michel Fauvergue. Crime de lèse-police, Anne-Sophie Simpère a aussi précisé que lorsque des sections étrangères d’Amnesty cherchaient des exemples de « mauvais usage des armes à létalité réduite », c’était la France qu’elles sollicitaient car « nous sommes identifiés comme un pays qui ne respecte pas le droit international dans ce domaine ». Inaudible pour le président qui a dégainé la carte du mépris :

    « Je suis impressionné par vos connaissances encyclopédiques sur tout, en particulier sur les armes, sur les méthodes policières… Je vous dis ça car au fur et à mesure qu’on progresse dans votre déposition, vous dites des choses qui ne sont pas vraies. »

    Il a navigué « entre contestation de l’expertise d’Amnesty et misogynie à mon égard, débriefe Anne-Sophie Simpère. J’ai certes été convoquée mais aucunement écoutée : la France est loin d’être le premier pays à rencontrer ces problèmes mais elle se caractérise par son refus de les affronter, par son incapacité à parler des blessés, des mutilés… ».

    Et de se remémorer sa stupéfaction lorsqu’au terme de son audition et de celle de Michel Tubiana, président de la LDH qui pourfendait « l’entre-soi policier » préjudiciable à l’indépendance des enquêtes de l’IGPN, Jean-Michel Fauvergue a soudainement canardé les ONG :

    « On ne peut pas leur confier le contrôle de tout ça, leur financement est trop occulte pour pouvoir leur faire confiance. »

    Lors de son bref échange avec Streetpress, le président de la commission a rétropédalé avançant qu’il « parlait des ONG de manière générale ». Sur le fond en revanche, il a continué à balayer « les pseudo-arguments d’Amnesty. Les associations ont toutes des infos qui reposent sur la même chose et elles se les partagent : c’est une “pensance” qui tourne en boucle et que j’ai tout de même le droit de contredire ».

    Lallement in da place

    Jean-Michel Fauvergue était absent le jour de l’audition du préfet de police Didier Lallement. Dommage, il aurait sans doute été plus en phase. Interrogé le 30 septembre par George Pau-Langevin sur « les contrôles d’identité discriminatoires étudiés par nombre de chercheurs », il a éludé :

    « Je ne peux pas vous répondre. Je ne sais pas ce qu’il y a dans la tête des chercheurs. Je parle de ce que je fais. »

    Questionné sur le nouveau schéma national du maintien de l’ordre qui autorise l’interpellation de journalistes lors des couvertures de manifs, il s’est « étonné qu’on s’étonne car le code de procédure pénale ne permet pas d’exception pour telle ou telle catégorie ». À l’évidence inspiré par la question, le patron de la préfecture de Paris a enchaîné « sur les rapports assez complexes avec les journalistes car vous n’avez pas besoin d’une carte de presse. Donc qu’est-ce qu’un journaliste, qu’est-ce qu’un militant ? C’est pour ça que, nous, on souhaite avoir des contacts avec tous ceux qui veulent faire du reportage, non pas pour les embrigader (…) mais pour qu’on puisse travailler avec eux, pour leur dire : “Attention, là, ce n’est pas forcément le bon endroit, on vous propose ça etc…” Ça me paraît absolument nécessaire ».

    Et ce chantre de la liberté d’informer de décrire des relations assez aisées « avec les médias qui ont pignon sur rue (…) tandis qu’avec la frange de journalistes dits indépendants, là, c’est beaucoup plus compliqué ». Au député UDI Meyer Habib qui, dans sa rhétorique habituelle condamnait « l’ensauvagement » de certains manifestants et lui demandait comment le prévenir, Didier Lallement a regretté ne pouvoir « mieux anticiper » :

    « J’aimerais bien mais malheureusement, il n’y a pas la capacité juridique qui permette de faire des interpellations préventives. C’est une réflexion peut-être que vous, parlementaires, pouvez avoir… »

    Les arrestations préventives sont certes illégales. Mais comme StreetPress l’a récemment révélé,- cela ne l’a pas empêché d’en donner l’ordre pendant le mouvement des Gilets Jaunes. S’il n’avait plus à se planquer, ça serait effectivement plus simple.

    Photographie, Yann Castanier (Hans Lucas). Le 02 juin 2020, plusieurs dizaines de milliers de personnes s’étaient réunies devant le TGI de Paris pour protester contre les violences policières.

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