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    27/07/2020

    « Elle criait au micro : “Debout les bougnoules et les négros, c’est fini de dormir.” »

    Un policier révèle des centaines de cas de maltraitance et de racisme dans les cellules du tribunal de Paris

    Par Mathieu Molard , Christophe-Cécil Garnier , Yann Castanier

    Un brigadier-chef lanceur d’alerte et plusieurs centaines de documents internes permettent à StreetPress de révéler un système de maltraitance raciste dans les cellules du tribunal de Paris.

    Tribunal de grande instance de Paris (75) – L’immense bâtisse de verre se dresse sur 38 étages en direction du ciel. Et, on le sait moins, trois niveaux souterrains. Le plus grand tribunal d’Europe où chaque jour se pressent près de 9.000 personnes. C’est au premier et second sous-sol que se cache le dépôt (1), théâtre de la plupart des faits que révèle cette enquête. Une enfilade de cellules aux murs blancs privées de lumière naturelle où les déférés sont enfermés avant et après leurs passages devant le juge. Au total près de 200 fonctionnaires de police sont chargés de surveiller jour et nuit les 120 cellules. C’est dans ce sous-sol aseptisé, mais aussi précédemment dans celui insalubre de l’ancien tribunal qu’une vingtaine de fonctionnaires en poste la nuit ont fait régner la terreur pendant plus de deux ans.

    Système de maltraitance au dépôt

    À partir du témoignage d’un lanceur d’alerte, le brigadier-chef Amar Benmohamed (Officier de police judiciaire – OPJ), de nombreuses sources, mais aussi grâce à plusieurs centaines de documents internes (rapports, mails, notes…) StreetPress lève le voile sur des faits d’une ampleur inédite, commis au coeur même de l’institution judiciaire française : dans les cellules du dépôt plus d’un millier de personnes ont subi de la part de policiers, humiliations, insultes souvent racistes ou homophobes, privations de nourritures ou d’eau, refus de soins médicaux… Certains des fonctionnaires mis en cause auraient également, à plusieurs reprises, profité des transferts vers les prisons pour voler des liquidités ou du petit matériel informatique à des retenus choisis parce qu’ils ne parlaient pas français.

    « Au total, sur un peu plus de deux ans, plus de mille prévenus ont été maltraités. C’est même sans doute plus », dénonce le brigadier-chef Benmohamed, qui est délégué syndical chez Unité SGP-Police. Pour Arié Alimi, avocat du lanceur d’alerte, « les faits dénoncés, d’une gravité sans précédent, révélant un système délictuel et d’impunités à l’égard de leurs auteurs, entachent d’indignité toute la justice pénale du TGI ainsi que les décisions qui y sont rendues. »

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    Pour Arié Alimi, avocat du lanceur d’alerte, « les faits dénoncés, d’une gravité sans précédent, entachent d’indignité toute la justice pénale du TGI ainsi que les décisions qui y sont rendues ». / Crédits : Yann Castanier

    Notre enquête ne s’arrête pas là. Dans ce sous-sol, certains fonctionnaires semblent être en roue-libre et s’en prennent même à leurs collègues. Témoignages et documents montrent des situations de harcèlement sexuel et moral, des insultes racistes…

    En trois ans, l’ensemble de ces faits ont fait l’objet de plusieurs rapports écrits que StreetPress a pu consulter. Et, au moins trois enquêtes distinctes ont été menées par l’IGPN. À chaque fois, les éléments rapportés ont, selon nos informations, été confirmés par plusieurs fonctionnaires. Mais à ce jour aucune sanction n’a été prise et la justice n’a pas été saisie pour ces faits (2). Les principaux mis en causes ont même vu leur carrière progresser et ont obtenu les mutations qu’ils souhaitaient. Par esprit de corps et par peur du scandale sans doute, la hiérarchie du brigadier-chef Amar Benmohamed a sciemment étouffé l’affaire. C’est ce qui l’a décidé à s’ouvrir à StreetPress : « Si je parle aujourd’hui, c’est parce que j’ai tout fait [à l’intérieur de la police] pour régler cette affaire et ça a échoué. »

    À LIRE AUSSI : Comment la hiérarchie policière a tenté d’étouffer les affaires de maltraitance au Tribunal de Paris

    Alors qu’il aurait pu demander l’anonymat, Amar Benmohamed a choisi de témoigner à visage découvert, au risque de voir sa carrière brisée. « J’assume tout ce que je dis », commente sobrement l’intéressé de sa voix calme :

    « Je dois tout faire pour que les choses changent. »

    Les promos Valls

    Cette décision d’aller au bout de cette bataille, il l’a prise dans la nuit du 11 au 12 mars 2019. Ce jour-là, une gardienne de la paix en poste dans les sous-sols du tribunal, interpelle vertement un détenu qui demande un repas sans porc :

    « Tu prendras ce qu’on te donnera. On en a marre des bougnoules, c’est eux qui nous font chier en France. »

    À quelques mètres à peine, des officiers installés dans leur bureau, porte ouverte, entendent les propos racistes. « Ils se lèvent pour intervenir », rembobine le brigadier-chef Benmohamed. « Mais la seule réaction des gradés est de la déplacer à un autre poste pour la nuit. » Pas de sanction, à peine une remontrance.

    C’est la scène de trop. Car pendant plus de deux ans, il a poussé ses supérieurs directs à agir. Sans succès. Cette fois, il décide de taper plus haut et menace de « monter dans les étages ». Comprendre informer des magistrats. Pour calmer le jeu, son supérieur lui demande de rédiger un rapport. Le brigadier-chef Benmohamed s’exécute… Et met en copie plusieurs échelons hiérarchiques. Une manière dans la maison d’empêcher qu’on étouffe sa parole. Tout ça n’a que trop duré : ce système de « maltraitance » commis « en bande organisée » s’étire depuis plus de deux ans :

    « Pour certains faits, on peut presque parler de torture. »

    Ces dérives ont commencé au premier semestre 2017, dans l’ancien tribunal, situé sur l’île de la Cité. À cette époque, une partie des effectifs du « groupe 1 » du dépôt – « des gars et des filles expérimentés » – a été mutée, remplacée par des bleus tout juste sortis de l’école de police. « C’est le début des promos Valls » (baptisées ainsi parce qu’il est à cette époque ministre de l’Intérieur puis Premier ministre), explique Amar Benmohamed. Un gradé de la police abonde auprès de StreetPress :

    « Ils se sont engagés en réaction aux attentats. Pour schématiser, certains sont là pour défendre l’occident chrétien en péril. Le niveau de racisme y est assez élevé. »

    Insultes racistes et homophobes

    Dès leur installation au dépôt du tribunal, ces jeunes recrues se laissent aller à des comportements inappropriés, raconte le brigadier-chef. Et enclenchent la dynamique malsaine. « Ils appellent tous les déférés “les bâtards”. “Il reste à manger pour les bâtards ?” ou “Ramène ce bâtard en cellule”. Le mot est entré dans le langage courant et tout le monde a suivi, gradés compris. Sauf deux officiers. »

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    Dans son rapport du 12 mars 2019, le brigadier-chef détaille les insultes racistes. Elles sont nombreuses « Ferme ta gueule, sale bougnoule », « nègro », « sale race ». Tous les déférés sont également appelés « les bâtards ». / Crédits : DR

    Très vite après leur arrivée, Amar Benmohamed note une augmentation des incidents avec les détenus. Il décide alors de s’intéresser à ces nouveaux d’un peu plus près. Ce qu’il découvre au fil des mois est sidérant. Les insultes racistes, par dizaines. « Ferme ta gueule, sale bougnoule », « nègro », « sale race », ou les plus terribles encore :

    « Je te lancerais tout ça dans la Seine. »

    « Si on me laissait faire, je mettrais le feu à toutes ces merguez. »

    Certaines nuits, même, l’une des policières aurait utilisé le microphone réservé aux annonces générales (évacuation ou évasion, etc…) pour réveiller l’ensemble des personnes en cellules en hurlant :

    « Allez debout les bougnoules et les négros, c’est fini de dormir, on se réveille. »

    Un major, témoin de la scène, l’aurait qualifiée de « simple bizutage ». Parfois, les noms d’oiseau prennent aussi une tournure homophobe. « Sale pd », « va te faire enculer », énumère Amar Benmohamed de sa voix calme. Il ne s’agit que d’une poignée d’exemples. La litanie est sans fin :

    « C’était quasi-quotidien. On [avec des collègues qui ne cautionnent pas] a tenté de faire des comptes, mais c’est impossible. Plusieurs centaines de personnes ont été insultées au dépôt. Et ça, c’est que pour les insultes… »

    Privation de nourriture, d’eau et d’accès au médecin

    À chaque fois qu’il en est témoin, le brigadier-chef assure intervenir. Ainsi en mars 2018, la petite amie tout juste majeure d’un terroriste passe au dépôt de nuit, avant d’être présentée à un magistrat. L’OPJ découvre la jeune fille en larme qui réclame un simple verre d’eau que lui refusent les policiers. Il sermonne l’une des fonctionnaires qui en a la charge et lui demande d’aller chercher le gobelet. La réponse fuse :

    « Si ça ne tenait qu’à moi, je l’égorgerais et je la laisserais se vider de son sang. »

    Il hausse le ton, elle s’exécute. Mais comme à chaque fois, quand il a le dos tourné, les maltraitances continuent. « Plusieurs collègues me l’ont rapporté, parce qu’il y a aussi des supers mecs et des supers filles qui bossent là », insiste-t-il. « Parce que la hiérarchie n’a rien fait », les privations d’eau se poursuivront jusqu’au déménagement du tribunal en avril 2018 : ces cellules neuves sont dotées d’un robinet. Par contre, les privations de nourriture seront monnaie courante au dépôt de nuit pendant plus de deux ans. Dans son rapport du 12 mars 2019, le brigadier-chef Amar Benmohamed détaille :

    « En plus d’être verbalement stigmatisés au moment de leur fouille, les déférés qui avaient eu “le malheur” d’entrer dans la joute verbale […] se voyaient parfois (une fois placés dans leurs cellules) privés de nourriture durant plusieurs heures, voire même durant la nuit entière. »

    Certains fonctionnaires auraient pris l’habitude de cracher dans les barquettes de repas ou de les jeter par terre « comme à des chiens ». À certains retenus musulmans, ils font aussi croire que la nourriture contient du porc, afin qu’ils se privent eux-mêmes de repas.

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    Dans son rapport du 12 mars 2019, le brigadier-chef Amar Benmohamed détaille les privations et le non-respects des droits des déférés à de la nourriture ou à un médecin. / Crédits : DR

    Autre mesure de rétorsion expliquée dans ce rapport : « De plus, lorsque ces déférés avaient demandé à être examiné par le médecin […], le ou les policiers avec lesquels s’était produit le “heurt” mentaient au déféré en disant que le médecin passerait le lendemain matin alors que dans le même temps : le policier inscrivait […] que le déféré avait refusé l’examen médical. »

    Des cellules transformées en cocotte-minute

    Ces comportements illégaux transforment le dépôt en véritable cocotte-minute. D’autant que dans les cellules surchargées et insalubres de l’ancien tribunal de l’île de la Cité, la chaleur peut l’été être étouffante. « J’ai découvert que dans l’ancien tribunal, régulièrement des policiers coupaient volontairement la ventilation », soupire notre homme. « À l’intérieur, où étaient enfermées parfois plus de 15 personnes, ça devenait une véritable fournaise. » Les personnes arrivent au dépôt après 24 ou 48 heures – parfois même 96 heures – de garde à vue, fatiguées par les interrogatoires et les nuits en cellule. « Elles sont sales, ont faim. Parfois, elles ont tout perdu et sont stressées avant de passer devant un magistrat. » C’est toute leur vie qui est en balance. Ajoutez à ça la température excessive, « plus de 40 degrés », sans eau ni nourriture :

    « Oui, je crois qu’on n’est pas loin de la torture. »

    Vols

    Le 12 mars 2019, ce n’est pas la première fois qu’Amar Benmohamed rapporte les comportements illégaux de certains de ses collègues. À la fin de l’été 2018, le brigadier-chef dénonce des vols commis par plusieurs de ces jeunes gardiens de la paix. Les bleus avaient mis en place une technique bien rodée pour empocher du cash. Les jours de grande affluence, ils se portent volontaires pour ouvrir un second coffre pour stocker « les fouilles » (l’ensemble des objets qu’ont sur eux les déférés). Une fois à l’abri des regards indiscrets, les comparses subtilisent une partie des liquidités ou du petit matériel informatique (une tablette notamment). Les objets volés ne sont ensuite tout simplement pas inscrits sur les comptes-rendus des fouilles. L’un d’eux, pris la main dans le sac par un collègue aurait déclaré :

    « Le bâtard (un homme asiatique) ne parle pas un mot de Français, tout le monde s’en fout de lui. »

    Interrogé, toujours par ce collègue, sur le risque de voir l’écroué faire un scandale, il aurait lâché :

    « T’inquiète, j’ai l’habitude, c’est la parole d’un bâtard contre la nôtre et je ne prends que des mecs qui ne parlent pas un mot de français. »

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    Amar Benmohamed a dénoncé plusieurs faits de vols de ses collègues à l'IGPN. L'un d'eux s'est spécialisé dans le vol de déférés « qui ne parlent pas français ». / Crédits : DR

    Les vols impliquant des fonctionnaires de ce service ne se limiteraient pas à l’argent et à l’informatique. En 2016 et en 2017, des quantités conséquentes de stupéfiants auraient disparu de la « salle Cusco ». Cette pièce au sein de l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu est sous la garde des mêmes effectifs policiers. C’est ici notamment que « les mules » interpellées dans les aéroports alors qu’ils tentent de faire passer des stupéfiants, sont amenés pour déféquer les ovules contenant la drogue. Selon nos informations, suite à ces disparitions de stupéfiants, une enquête IGPN a été ouverte et au moins dix fonctionnaires en poste au dépôt ont été auditionnés. Nous ne savons pas si elle a permis de faire la lumière sur les responsabilité et rien ne nous permet de rattacher cette affaire aux policiers impliqués dans les événements évoqués plus haut.

    Des faits vérifiés

    Plusieurs fonctionnaires face à l’IGPN ou à leur hiérarchie ont, selon nos informations, confirmé aussi bien les vols d’argent dénoncés en 2018 que l’ensemble des maltraitances et insultes racistes rapportés l’année suivante. Les supérieurs directs des gardiens de la paix mis en cause n’ignorent pas non plus ces problèmes. En témoigne une série de mails envoyée par des gradés pour rappeler aux policiers du dépôt un certain nombre de règles. Ainsi, dans l’un d’eux, on peut lire :

    « Les propos à caractère raciste/injurieux/discriminatoires, que ce soit à l’égard des déférés ou même entre agents constituent des manquements graves susceptibles de poursuites judiciaires et administratives. Ils sont donc à proscrire. »

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    Les gradés étaient au courant des faits dénoncés par Amar Benmohamed. Ici, un mail du 12 mars 2019 pour rappeler aux policiers du dépôt un certain nombre de règles sur le racisme et le droit des déférés. / Crédits : DR

    L’auteur du mail, un lieutenant, poursuit :

    « En outre, j’attache une particulière importance à ce que les détenus puissent bénéficier de l’ensemble de leurs droits, en particulier les repas, la boisson, le médecin ainsi qu’une couverture. »

    S’ajoutent de nombreux mails, toujours signés par des gradés, de rappels aux règles d’usage des caméras de surveillance, précisant notamment qu’il est interdit de filmer les écrans avec des smartphones et mentionnant à plusieurs reprises l’existence « d’incidents » ou de « problèmes ». Amar Benmohamed décrypte :

    « On a plusieurs gars qui filmaient les écrans de surveillance quand on avait des personnalités au dépôt. Après, ils s’en servaient pour faire les beaux auprès des filles. »

    Il raconte aussi que certains fonctionnaires ont pris directement des personnalités en photo dans des situations peu avantageuses. « Alexandre Benalla, par exemple ». Contacté par StreetPress, l’intéressé confirme qu’une photo (par la suite diffusée par l’hebdomadaire Le Point) a été prise, sans son accord, par une fonctionnaire.

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    Un mail du 14 août 2019 d'un gradé pour rappeler aux policiers du dépôt de respecter le droits des déférés et éviter le racisme « afin d'éviter toute sanction » / Crédits : DR

    Les récits de ces mauvais traitements, beaucoup d’avocats les ont entendus de la bouche de leurs clients. Sur les 20 robes noires contactées, dix confirment à StreetPress avoir eu de tels retours. « Des comportements très régulièrement relatés » pour maître Philippe-Henri Honegger. « Une permanence sur deux, j’ai des clients qui se plaignent de ne pas avoir eu à manger », abonde maître Amélie Carron. « J’ai effectivement eu des retours sur des vexations multiples », complète l’avocate Camille Vannier. Par ailleurs, dans un rapport à l’intention du défenseur des droits que StreetPress a pu consulter, plusieurs lycéens d’Arago (le 22 juin 2018, 102 jeunes étaient interpellés suite à l’occupation de l’établissement scolaire) témoignent également des mauvais traitements au dépôt.

    Harcèlement

    Les errances délictueuses de certains policiers en poste au dépôt du TGI de Paris n’épargnent pas leurs collègues. Un rapport détaille une altercation entre deux policiers assortis de gestes menaçants et de propos racistes. Deux autres fonctionnaires déclarent également subir un « harcèlement moral » de la part de collègues gardiens de la paix. Dans un rapport d’août 2019, la première dénonce des « propos dégradants et des menaces réitérées » à son encontre. Il lui est reproché un arrêt maladie qui aurait eu des conséquences sur les plannings des collègues. « Je pense que tu t’attends à ne pas être super bien accueillie à ton retour ! », aurait menacé l’une des fonctionnaires sur une messagerie. Dans son rapport, la victime précise :

    « J’ajoute que deux autres collègues qui se trouvaient également en arrêt maladie ou en blessure en service avaient droit au même traitement et aux mêmes réflexions. »

    À son retour, elle bénéficie d’un véritable comité d’accueil. Une gardienne de la paix l’aurait « agressée verbalement en approchant son visage à deux centimètres à peine du mien ». Elle lui aurait jeté au visage :

    « Des collègues comme toi : ils méritent des baffes dans leur gueule, même la hiérarchie en a marre de vous. »

    En conclusion de son rapport, elle écrit : « Je précise que toute la hiérarchie de la brigade de nuit était au courant des faits ». Après cette agression la fonctionnaire est placée en arrêt maladie et une enquête est ouverte par l’IGPN.

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    Dans un autre rapport, Amar Benmohamed pointe la tentative de violence et la remarque raciste d'un policier du dépôt envers son collègue. / Crédits : DR

    Plusieurs jeunes gardiennes de la paix se sont aussi plaintes d’allusions et de propos déplacés tenus par leurs supérieurs hiérarchiques. L’un d’eux, est plus précisément mis en cause pour des comportements qui pourraient être qualifiés de harcèlement sexuel. Ainsi, à « des collègues féminines, il a dit : “Je peux vous donner vos mensurations rien qu’en vous regardant” », rapporte Amar Benmohamed. Il ne s’arrête pas aux mots. « Il posait sa main sur celle de jeunes fonctionnaires ou leur prenait les hanches. » Si certaines osent rembarrer ce supérieur, d’autres, selon plusieurs documents écrits que StreetPress a pu consulter, viennent au tribunal « la boule au ventre ».

    Aucune sanction

    Jusqu’à quand ? Le 12 mars 2019, par sa dénonciation écrite des insultes racistes répétées et des maltraitances en série, Amar Benmohamed contraint sa hiérarchie à réagir : il a mis en copie plusieurs gradés. Et même si, comme notre seconde enquête le démontre, il y a toujours une volonté manifeste de la hiérarchie (jusqu’au cabinet du préfet Lallement) d’enterrer l’affaire, l’IGPN est saisie. À ce jour aucune sanction n’a été prise et la justice n’a pas été saisie. Simplement une vague de mutations est opérée. Il ne s’agit pas d’une punition, puisque les fonctionnaires mis en cause obtiennent les postes demandés. Ce renouvellement des effectifs a pour conséquence de calmer le jeu au dépôt de nuit, selon le brigadier-chef Benmohamed.

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    Le brigadier-chef Amar Benmohamed, 48 ans, a dénoncé ces faits de maltraitance et de racisme au sein du dépôt pendant trois ans. / Crédits : Yann Castanier

    La page est-elle pour autant définitivement tournée ? Pas sûr… StreetPress a pris connaissance de deux récits d’événements postérieurs à cette vague de mutation qui correspondent parfaitement aux habitudes délictueuses de certains fonctionnaires du dépôt.

    En décembre 2019, l’avocate Camille Vannier assiste trois hommes de nationalité tchadienne. À la sortie du dépôt, le trio se plaint de ne pas avoir eu accès à de la nourriture :

    « Ils ont vu que certaines personnes avaient eu à manger et pas eux. Ils m’ont aussi fait part de moqueries. Mais comme ils parlent un français hésitant, ils n’ont pas su me rapporter plus précisément les propos. »

    Autre affaire. Le 15 juin 2020, Gaspard D. est, après sa garde à vue, déféré au tribunal. Juste avant sa présentation aux magistrats, il est placé dans une petite salle attenante à la salle d’audience. C’est là, à quelques mètres à peine des juges, que les mauvais traitements et les insultes commencent, rapporte son avocate Hanna Rajbenbach. L’intéressé raconte. « Je leur ai dit que j’étais assez faible et je leur ai demandé s’ils pouvaient m’apporter à manger ou s’ils pouvaient appeler un médecin. » Refus des fonctionnaires. Alors pour tenter d’obtenir l’accès au toubib, Gaspard D. se met à cogner sur la porte. « Ils ont répondu par des moqueries et des insultes. » Pire encore, les quolibets se poursuivent même pendant l’audience :

    « Dans le box, ils me soufflaient des insultes de type “fils de pute” ou en relation avec ce qu’il se disait durant l’audience. »

    Ainsi, le procureur évoque le décès de son père biologique. « Ils m’ont dit que c’était bien fait pour moi. Des choses comme ça. » De retour en cellule, les noms d’oiseau continuent de voler.

    « C’était un flot constant. “Retourne voir ton putain de psychiatre”, “ta copine, je la baise”, “si t’as faim suce ma bite”, “baltringue”… »

    Jusqu’au dépôt où les mauvais traitements se poursuivent. « J’ai eu le repas froid, ils m’ont enlevé le matelas et la couverture le lendemain matin, en guise de représailles. »

    Certains des fonctionnaires mis en causes par notre enquête sont encore en poste au dépôt, l’encadrement n’a pas changé et la majorité de ces officiers ont même pris un grade.

    À LIRE, LA SUITE DE CETTE ENQUÊTE : Comment la hiérarchie policière a tenté d’étouffer les affaires de maltraitance au Tribunal de Paris

    (1) Le dépôt a été renommé Compagnie de Gare de la Zone d’Attente (CGZA). Dans la mesure où les personnes que nous avons interrogées continuent de l’appeler « dépôt », nous avons choisi de garder ce terme dans notre enquête.

    (2) Contacté par StreetPress, le ministère de la Justice a transmis nos questions au parquet, « seul habilité à répondre si une enquête est en cours » (ce qu’ils ne précisent pas). Ce dernier explique « que l’ensemble des faits portés à la connaissance du parquet a donné lieu à des enquêtes judiciaires, confiées à l’IGPN. » Selon une autre source, n’ont été portés à la connaissance du parquet que des faits isolés : « Il n’y a, a priori, pas d’enquête chapeau qui porterait sur des faits commis par un groupe sur une période », témoigne notre source.
    Le parquet nous apprend en outre que « six représentants du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ont effectué du 7 au 9/10/19 une visite complète des locaux du dépôt à la suite de laquelle ils ont adressé un rapport provisoire en date du 19/12/19 aux chefs des juridictions ». Ce rapport n’est pas encore public, précise à StreetPress le CGLPL. Comme évoqué plus haut, la présidence du Tribunal de grande instance (TGI), a déclaré à StreetPress qu’elle n’a pas connaissance des faits évoqués. Ni l’équipe de Stéphane Noël, l’actuel président du TGI de Paris, ni celle de son prédécesseur n’ont été alertées (la présidence précise cependant avoir été alerté à deux ou trois reprises de faits isolés. « Si les faits que vous rapportez sont avérés, c’est totalement inacceptable », complète la présidence.
    La préfecture de police de Paris, de son côté, se déclare « particulièrement sensibilisée au suivi et à l’encadrement de jeunes personnels » et assure par ailleurs que « lors d’un signalement d’un fait pouvant revêtir d’une qualification pénale, la Justice est avisée par la hiérarchie policière, le parquet décide alors de saisir le service le plus adapté aux investigations, y compris l’IGPN le cas échéant. La préfecture de police, compte tenu du principe du respect du secret de l’enquête ne fera pas de commentaires sur les procédures judiciaires en cours. ».

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