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    14/05/2025

    Il l’accuse d’apologie du terrorisme et d’incitation à la violence

    Pourquoi Bruno Retailleau veut dissoudre Urgence Palestine

    Par Mathieu Molard

    Le 30 avril, Bruno Retailleau annonçait son intention de dissoudre Urgence Palestine. StreetPress a pu consulter le document qui détaille l’argumentaire juridique du ministère de l’Intérieur.

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    À la veille du 1er mai 2025, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a annoncé son intention de dissoudre trois organisations qui incarnent selon lui l’un des périls (fantasmés) de notre société. Le péril brun, ou ce qu’il appelle « l’ultra-droite », incarnée par les néofascistes de Lyon populaire. Le péril rouge, ou « l’ultra-gauche », avec l’organisation antifasciste la Jeune garde. Et enfin le péril vert, non pas l’écologie – son prédécesseur Gérald Darmanin avait échoué à faire interdire les Soulèvements de la terre – mais « les islamistes » d’Urgence Palestine. Une saillie « électoraliste », tacle Vincent Brengarth, l’un des avocats de du collectif :

    « Il n’a évidemment aucun lien avec aucune organisation terroriste. »

    Le collectif – ou « groupement de fait », selon le ministère de l’Intérieur, puisqu’il n’est pas, au sens juridique du terme, une association – est créé le 8 octobre 2024. La veille, le Hamas a mené une série d’attaques terroristes meurtrières en Israël, tuant 1.188 personnes et enlevant 251 autres. Dans la foulée, l’État hébreu envahit et bombarde la bande de Gaza. Israël a, depuis le début de cette opération, selon l’Unicef, tué plus de 52.000 Gazaouis. 470.000 personnes y sont actuellement « confrontées à des conditions de famine ». Depuis deux ans, Urgence Palestine a fédéré autour d’un noyau de militants engagés de longue date, en soutien de la cause palestinienne, des militants aux profils très hétérogènes. Ils se sont progressivement imposés comme le principal mouvement pro-palestinien en France.

    StreetPress a pu consulter le courrier adressé par le ministère de l’Intérieur à l’organisation « antisioniste ». Au fil de ces neufs pages, Beauvau énumère les arguments qui l’amènent à engager cette procédure de dissolution.

    Incitation à la violence

    L’Intérieur reproche à Urgence Palestine d’avoir, « sous couvert d’apporter son soutien à l’autodétermination du peuple palestinien », incité « à la lutte armée » en « valorisant la figure du combattant ». Et de citer à titre d’exemples plusieurs interventions de figures du collectif, comme cet extrait d’un discours prononcé le 6 juillet 2024, à l’occasion de la marche organisée par le Comité Adama à Beaumont-sur-Oise (95) :

    « Nous sommes fiers de nous battre par tous les moyens nécessaires, y compris les armes en Palestine quand c’est nécessaire. »

    Un argument balayé par l’avocat d’Urgence Palestine : « Il n’y a pas eu de manifestations armées en France. Ça ne repose sur rien. Si le collectif a légitimé des actions violentes, c’est uniquement sur le territoire palestinien. » Ce que conteste le ministère de l’Intérieur, pour qui ce « soutien » a « une résonance sur le territoire national » et provoquerait « des agissements violents contre des cibles que vous jugez liées au gouvernement israélien ». La liste des violences imputées à Urgence Palestine est pourtant bien maigre : des dégradations de magasins Carrefour en Île-de-France, quatre bouteilles de verre jetées « en direction » d’un cortège du collectif pro-israélien Nous vivrons et un outrage à agent. Un membre du service d’ordre du collectif aurait également à plusieurs reprises incité des manifestants à s’en prendre à des policiers – sans qu’il n’ait été suivi.

    Incitation à la haine

    Second argument évoqué, des « provocations publiques à la haine et à la violence », qui contribuent à installer « un terreau de haine contre les personnes de confession juive ». Concrètement, il est reproché à Urgence Palestine son soutien au militant Elias d’Imzalène, très associé au collectif. Le fondateur d’Islam & Infos – un média islamiste qui a un temps flirté avec la galaxie soralienne d’extrême droite – a été condamné pour avoir appelé à « mener l’intifada à Paris, dans nos banlieues, dans nos quartiers ». Il a fait appel. Autre exemple évoqué, des invectives antisémites à l’encontre d’un policier en civil proférées par des membres du service d’ordre qui auraient lancé :

    « Sale pédé de juif, connard de flic. »

    Des accusations trop vagues, juge Maître Brengarth : « Dans quelles circonstances ces propos ont-ils été prononcés ? Par qui ? Peuvent-ils réellement être imputés à Urgence Palestine ? Est-ce qu’ils ont été poursuivis ? »

    Appologie du terrorisme

    Dernier et peut-être principal grief, « l’apologie du terrorisme ». Différentes sections d’Urgence Palestine ont chanté les louanges de l’attaque du 7 octobre 2023 et de plusieurs organisations considérées comme terroristes par les autorités françaises. Beauvau recense une quinzaine de discours qu’il juge problématiques, comme cette envolée lyrique de l’un des cadres d’Urgence Palestine, au cours d’une manifestation :

    « Est ce qu’on est d’accord pour continuer à être ce déluge, ce déluge d’Al-Aqsa [nom donné par le Hamas à l’attaque du 7 octobre 2023] qui partout à travers le monde, inonde les rues, inonde les âmes, inonde les consciences, ce déluge qui déborde, ce déluge qui amène l’eau de la vie, et qui fait pousser les graines de la résistance et de la libération. »

    Ou ce soutien du collectif, qui à l’occasion d’un autre rassemblement, vissé sur un camion d’Urgence Palestine, évoque sa joie en apprenant l’attaque d’Israël par le Hamas :

    « Quel révolutionnaire n’a pas pleuré de joie le 7 octobre ? »

    Des positions susceptibles, selon l’Intérieur, « de provoquer des actes de terrorisme et des agissements violents à l’encontre de membres de la communauté juive ». Ces propos, s’ils ont bien été tenus, ne reflètent pas la position officielle d’Urgence Palestine, assure leur avocat maître Brengarth :

    « Il n’y a pas, de la part d’Urgence Palestine, d’apologie du 7 octobre. »

    Et d’insister sur l’absence de poursuite. « Quel crédit accorder à l’accusation qui nous dit qu’on est face à une infraction pénale mais qui n’a jusque-là mené aucune poursuite ? »

    Et la suite ?

    En réponse au courrier du ministère de l’Intérieur, les avocats d’Urgence Palestine – Vincent Brengarth, William Bourdon et Elsa Marcel – ont renvoyé leurs observations, que StreetPress a pu consulter. En plus de répondre point par point aux arguments de Beauvau, ils dénoncent le manque d’impartialité du gouvernement qui, selon eux, n’a pas mis en application le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale envers le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. La France n’avait pas empêché son survol de l’Hexagone en avril dernier.

    Le conseil des ministres doit maintenant se prononcer. S’il prononce la dissolution d’Urgence Palestine, le collectif devrait déposer un recours devant le conseil d’État.

    Texte de Mathieu Molard, photo de Une de Laura Hue, prise le 27 mai 2024.

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