L’heure est à l’édition spéciale sur le plateau de Face à l’info sur CNews, ce 16 janvier. La présentatrice Christine Kelly et ses chroniqueurs reçoivent le président du Rasssemblement national (RN) Jordan Bardella. Après deux heures d’entretien, sans avoir posé une question sur les fausses preuves de travail qu’il aurait aidé à façonner dans l’affaire des assistants fictifs européens du RN, dévoilées par Libération, elle interroge Jordan Bardella d’une voix mielleuse :
« Petite question subsidiaire, j’espère que personne ne m’écoute. Sur votre barbichette… Virilité, légitimité, maturité ? »
La femme de 55 ans semble faire écho à tous les comptes fans de Jordan Bardella sur Tiktok. Preuve du bon moment passé, le président du RN a posté toute l’interview sur sa chaîne YouTube. Dans les commentaires, les fans de la présentatrice sont aux anges : « Parfaite comme toujours », « j’adore cette journaliste. » Auparavant, l’ancienne candidate RN à la présidentielle Marine Le Pen ou la députée européenne Reconquête Sarah Knafo ont eu droit au même traitement. « C’était un plaisir », a conclu l’héritière de Jean-Marie Le Pen en décembre, le sourire jusqu’aux oreilles, au terme d’une heure d’interview en direct sans aucune explication de fond sur son procès pour détournement de fonds publics qui vient alors d’avoir lieu.
En octobre, Christine Kelly a presque fait rougir l’eurodéputée de Reconquête, régulièrement invitée, à coup de « ma chère » ou : « Vous devenez mythique ». « Elle permet d’apaiser le débat sur des sujets parfois durs », apprécie Sarah Knafo. L’extrême droite joue à domicile sur CNews et particulièrement dans Face à l’info. Chaque soir, du lundi au jeudi, l’émission d’une heure attire plusieurs centaines de milliers de téléspectateurs. Sur une antenne bollorisée, qui martèle des discours identitaires, xénophobes et islamophobes, quitte à tordre la réalité comme l’a documenté Mediapart, Christine Kelly en est une des animatrices vedettes. Engagée comme modératrice pour tempérer le polémiste Éric Zemmour en 2019, elle est devenue un rouage essentiel de la chaîne dont elle partage les mêmes obsessions. Un positionnement médiatique qui illustrerait « parfaitement son opportunisme », selon un homme qui l’a côtoyé au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – autorité publique française de régulation de l’audiovisuel, désormais Arcom :
« Elle perçoit l’évolution du paysage audiovisuel français et s’y adapte avec une grande habileté, on peut lui reconnaître. »
Pendant des années, Christine Kelly a été proche de la droite traditionnelle. L’ancienne membre du CSA nommée par le président UMP du Sénat Gérard Larcher a écrit une biographie flatteuse de François Fillon et certifie avoir été approchée par le gouvernement de Nicolas Sarkozy – qui avait démenti. Elle a ensuite été une amie d’Éric Zemmour, qui voulait la nommer ministre de la Famille en cas de victoire. Elle aime pourtant se présenter comme une femme impartiale, dont on ne pourrait connaître l’orientation politique. Sur son compte Facebook, la première présentatrice noire d’un JT national chez LCI a d’ailleurs mis en scène une rencontre avec une fan qui s’interrogeait sur ses opinions. « Je suis pour la France », aurait-elle répondu. Surtout, il y aurait une autre facette derrière le côté doux que Christine Kelly se plaît à montrer à l’antenne : celle d’une personne si soucieuse de sa popularité qu’elle demanderait en interne de « ne pas trop en faire » sur les audiences de ses remplaçantes. Ou qui disposerait d’une armée de comptes-fans pour chanter ses louanges et tancer ses collègues. « C’est une femme d’antenne. Elle a besoin de reconnaissance. C’est ça qu’elle recherche », glisse un ancien cadre de la rédaction. Contactée, la journaliste aux centaines de milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux n’a pas répondu aux appels de StreetPress, ni à nos questions envoyées sur sa boîte mail.

Pendant des années, Christine Kelly a été proche de la droite traditionnelle. Elle a ensuite été une amie d’Éric Zemmour, qui l'aurait nommé ministre de la Famille s'il n'avait pas fait 7%. Elle aime pourtant se présenter comme une femme impartiale, dont on ne pourrait connaître l’orientation politique. / Crédits : DR
Fdesouche en source
En ce mois d’octobre 2024, c’est la fête chez Face à l’info. Au centre, Christine Kelly remercie les téléspectateurs pour leur « grande fidélité », « des résistants de la liberté d’expression », et fait retentir le Chant des Partisans, l’hymne de la Résistance lors de la Seconde Guerre mondiale. Provocation de la présentatrice ? Un ancien pigiste de la chaîne doute : « À quel point c’est joué ou à quel point c’est sincère ? C’est une question que je me pose encore. » L’animatrice de CNews a déjà fait lever plus d’un sourcil de journalistes. Comme cette fois où elle vient « témoigner de la puissance de Dieu », devant une salle remplie de chrétiens évangéliques et trace un lien entre sa foi et les audiences de son émission avec Éric Zemmour. Les trémolos dans la voix, elle y raconte s’être « complètement effacée derrière Dieu » et le « laisser piloter, tout piloter ». Ou quand son rôle de modératrice s’est résumé à demander au polémiste :
« On peut être Français en mangeant du couscous ? »
Pendant presque deux ans, Christine Kelly et la chaîne bolloréenne offrent une tribune médiatique quotidienne au futur candidat d’extrême droite à l’élection présidentielle de 2022, après avoir été démarchée personnellement par Gérald-Brice Viret, directeur des antennes de Canal+. Durant la période, CNews marche sur une ligne de crête entre les outrances médiatiques à coup de provocations anti-immigration et les clous de la loi. Sans trop de succès : Éric Zemmour a cumulé avec ses propos dans Face à l’Info pas moins de trois condamnations pour complicité de diffamation (1), provocation à la haine raciale (1) et contestations de crime contre l’humanité (1). À l’époque, le Directeur général Serge Nedjar et son bras droit Thomas Bauder sont tous les jours en régie pour piloter la présentatrice via les oreillettes. « Kelly, on ne l’a jamais vue en conf’ de rédaction. Bauder décidait des thématiques de l’émission avec Zemmour », renchérit l’ancien cadre de la chaîne.
Avec l’engagement politique du polémiste, qu’elle surnomme « mon Éricou », Christine Kelly est désormais la vraie vedette du plateau, assistée de ses « quatre Mousquetaires » : le polémiste québécois d’extrême droite Mathieu Bock-Coté, la directrice du site d’extrême droite Boulevard Voltaire Gabrielle Cluzel, la journaliste du JDD version Bolloré Charlotte d’Ornellas et le chroniqueur TV septuagénaire Marc Menant. Pendant une heure, le quarteron enchaîne les éditos dans l’émission de Christine Kelly qui ne laisse presque jamais de place aux images de l’actualité. Les petites mains de la rédaction qui ne la voient pas avant 17h dans les couloirs ne reçoivent pas forcément de consignes éditoriales poussées. Mais elles se rendent bien compte des mots-clés – « migrants », « OQTF », « musulmans »… – qui reviennent chaque soir sur le plateau. La présentatrice-vedette préparerait l’émission en consultant la revue de presse d’extrême droite Fdesouche. « Elle m’avait dit que c’était une bonne source », se désole une pigiste. L’année dernière, la présentatrice s’est fait sanctionner par l’Arcom# pour « manquement à l’honnêteté de l’information », une décision rare, après avoir assuré que la France se classait derrière le Mexique en matière d’insécurité. Elle se basait sur un questionnaire en ligne, à la méthodologie douteuse.
Une certaine vision du racisme
Quand elle débarque à la rédaction en fin d’après-midi, son complice Marc Menant ose les vannes les plus trash. Selon nos informations, ce dernier est déjà entré à plusieurs reprises dans le bureau en lançant à Christine Kelly :
« Comment ça va ma négresse ?! »
« Et là, ils se marrent tous les deux », raconte un témoin, désemparé. La scène se serait produite à plusieurs reprises, avant qu’elle ne lui demande d’arrêter. Déjà, lors de ses débuts dans le journalisme au cours des années 1990, Christine Kelly était surnommée « la noiraude » par certains collègues. Cette fille de profs a commencé dans la télévision après avoir répondu à une annonce pour animer une émission sur une chaîne caribéenne. Christine Tigiffon – elle a dû changer de nom pour la télé – a également été renvoyée au cliché de l’Antillais fainéant, comme elle le raconte dans son autobiographie écrite par un ghostwriter et plusieurs interviews. À chaque fois, Christine Kelly y ajoute comme un mantra que sa couleur de peau ne serait « ni un fardeau, ni un drapeau ». « La meilleure façon de t’empêcher d’avancer, c’est de te dire que tu es noire, donc tu es une victime », a-t-elle pu affirmer au micro de l’hebdo Valeurs actuelles. Une manière d’invisibiliser le caractère systémique du racisme. La Chrétienne évangélique pratiquante reprend à son compte une stratégie globale de l’extrême droite selon Joao Gabriel, doctorant guadeloupéen en histoire à l’université de Baltimore : mettre en avant « les difficultés économiques et sociales de certains territoires dits “d’Outre-mer”, en faisant même des critiques de l’État, tout en se faisant le relais de positions racistes sur l’immigration. Cela permet de mettre les “ultramarins” du bon côté ».
L’égérie Kelly
Dans les couloirs de CNews, l’animatrice lâche à foison des « mon coco » et « ma chérie ». Certains salariés de la chaîne la décrivent comme « sympa » et « chaleureuse », contrairement à un Pascal Praud qui ferait des tours de l’open space pour épier les éventuelles critiques. D’autres pointent son côté « imprévisible », capable de s’emporter au moindre couac ou si les fiches ne sont pas imprimées assez vite. La présentatrice vedette semble surtout totalement dopée à l’audience. En février ou mars, elle se vante par exemple de faire la « meilleure minute des chaînes d’infos » lors d’émissions avec Sarah Knafo ou Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France). « Personne ne communique là-dessus… Ça veut dire que sur cette tranche, elle est tout le temps battue, sauf sur une minute en particulier », pointe un journaliste média. Quant à l’épisode où Eric Zemmour avait clamé sa haine contre les mineurs isolés, ce serait « la plus belle séquence » de sa vie télévisuelle.
En plus d’animer une émission quotidienne, Kelly signe désormais une chronique dans le JDD – autre avatar du système Bolloré – et intervient dans l’émission Morandini Live sur CNews. En janvier, elle se fait encore remarquer en évoquant la thèse terroriste pour expliquer un crash à Washington. « J’ai travaillé dans l’aéronautique », argumente-t-elle, en référence à ses quatre mois comme… hôtesse de l’air chez feue la compagnie Air Lib. Sur le plateau de Morandini, la chroniqueuse est bien en phase avec la ligne édito de CNews. Elle se reconnaît dans la « méritocratie », fustige ces migrants qui « ne veulent pas s’intégrer » et affirme qu’on devrait « expulser » des logements sociaux les « délinquants ».
Au fil des années, Christine Kelly est devenue une égérie réac’ qui ne dit pas son nom. Entre 2023 et 2024, l’animatrice a été le visage de Factuel, média qui souhaitait faire de l’investigation « sans parti pris, ni militantisme ». Stéphane Simon, ancien producteur de Thierry Ardisson – associé depuis à Michel Onfray ou l’avocat proche de l’extrême droite Gilles-William Goldnadel – a choisi la quinquagénaire comme « vitrine » du projet, qui a duré une petite année. Le site voulait concurrencer Mediapart, mais a vite révélé un cadrage éditorial « cnewsien », comme en témoignent plusieurs membres de la rédaction interrogés par StreetPress. Quant à Christine Kelly, rémunérée par un juteux contrat d’image, les anciens journalistes restent perplexes. L’un d’eux, resté plusieurs mois, s’interroge encore sur son « rôle pas clair » de « représentation » lié à « sa puissance sur les réseaux sociaux » avec ses centaines de milliers de followers. « Au début, elle participait aux conférences de rédaction le lundi, mais elle ne proposait pas de sujets », se rappelle un plumitif. Avant de se corriger, avec un sous-entendu. « Si, une fois : les pilotes qui ont refusé de se faire vacciner contre le Covid. » Un ex-salarié grince :
« Elle n’a pas servi à grand chose à part sourire devant une caméra, tourner trois vidéos et basta. »
Des comptes très fans
Habile en communication, Kelly met souvent en avant son « combat » pour les mères séparées à travers sa fondation K d’urgences créée en 2010. « J’ai aidé 25.000 femmes », a-t-elle affirmé l’année dernière, même cet engagement semble consister à organiser des sorties à Disneyland Paris plutôt qu’à politiser le sujet des pensions alimentaires non payées. La notoriété suscite son lot de lettres passionnées, mais aussi de harcèlement en ligne – elle aurait deux gardes du corps. « Elle sait capter l’attention des journalistes et valoriser son parcours, ce qui peut parfois donner l’impression qu’elle minimise l’importance du travail collectif au profit de son image personnelle », pointe un responsable syndical de l’Arcom et ex du CSA, où Kelly a travaillé.

Entre 2013 et 2022, une trentaine de faux comptes féminins sur Twitter-X se sont employés à défendre Christine Kelly, parfois avec des tweets qui frôlent le fanatisme. / Crédits : DR
Là-bas, on se rappelle du dossier qu’elle gérait sur la publicité pour les produits gras, salés, sucrés. Si la quinquagénaire s’est souvent félicitée de la signature d’une charte de lutte contre l’obésité, la convention n’empêche pas dans les faits des diffusions de publicités pour des chips ou des sodas à l’heure des dessins animés. « Elle était très méprisante des ONG », témoigne un représentant d’une association qui était sorti dégoûté des réunions avec Christine Kelly. « On avait l’impression que l’obésité des enfants ce n’était pas son problème, les maladies cardiovasculaires non plus. » D’autres se souviennent de sa « volonté de contrôle sur son image et une gestion parfois perçue comme capricieuse ». En exemple, selon une source syndicale : alors qu’elle habitait à quatre minutes à pied des bureaux, elle aurait chaque fois demandé aux chauffeurs du CSA « de venir la chercher dans son parking » et la conduire à celui de l’institution.

Un bon nombre des comptes à la gloire de Kelly critique parfois violemment ses collègues, comme Dimitri Pavlenko ou Pascal Praud ainsi que ses remplaçantes Clélie Mathias et Nelly Daynac. / Crédits : DR
Plus curieusement, entre 2013 et 2022, une trentaine de faux comptes féminins sur Twitter-X se sont employés à défendre son action au CSA, partager les actualités de sa fondation, saluer ses interventions médiatiques… « Elle interagissait avec ces comptes qui chantaient ses louanges », note Stéphanie Lamy, qui les a tous répertoriés. Cette chercheure spécialisée dans les stratégies de désinformation et militante féministe, a remarqué que les profils semblaient très bien informés de ses états de services et ont tous été créés en août 2012. Certains répondent à de parfaits inconnus avec des infos sur Kelly. D’autres usurpent même l’identité de femmes, notamment une jeune fille décédée pour le compte @Vanessa_Nead.
— Claire Barnet (@Vernell_Sloan) June 25, 2014
Surtout, un bon nombre critique parfois violemment les collègues de Christine Kelly, comme Dimitri Pavlenko ou Pascal Praud ainsi que ses remplaçantes Clélie Mathias et Nelly Daynac. « Retournez à votre émission de 14h qui est la plus mauvaise audience de CNews au lieu de vous asseoir dans le fauteuil de ceux qui ont souffert pour que CNews devienne CNews », intime un des comptes les plus prolifiques à la gloire de la présentatrice. Quelques mois plus tard, le même tweete avec une photo de Kelly et cette légende presque aussi mielleuse que peut être l’animatrice avec ses interviewés : « Ce regard nous dit tellement de choses : interrogations, réflexions, inhibition, cacher ses émotions, même si elle est en ébullition. Le tout inspire le respect, Madame Kelly. »
Contactés, Christine Kelly, ses chroniqueurs Marc Menant et Mathieu Bock-Côté ou le directeur de l’information de CNews Thomas Bauder n’ont pas répondu à nos sollicitations pour cet article.
(1) Éric Zemmour a perdu son appel pour la plainte en diffamation de Danièle Obono le 30 janvier 2025 et a annoncé se pourvoir en cassation à la suite des deux autres condamnations en appel. Il n’a pas répondu à StreetPress sur un éventuel pourvoi en cassation pour la plainte de Danièle Obono.
Illustration de Une de Timothée Moreau.
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