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    11/01/2021

    À l’origine, un site déjà bloqué par la justice française

    Une rappeuse indépendante harcelée par les néonazis

    Par Christophe-Cécil Garnier

    Mi-décembre, la rappeuse Héro Écho met en ligne son clip « Amazones ». Elle est obligée de le retirer de YouTube après un raid lancé par un site néonazi. Les trolls d’extrême droite ont multiplié les commentaires antisémites, racistes et misogynes.

    « En quelques heures, 500 personnes sont arrivées sur ma page YouTube. Un raid. » Au téléphone, la rappeuse Héro Écho raconte les vagues de harcèlement successives sur ses différents réseaux sociaux durant deux jours, fin décembre. Des trolls d’extrême droite se sont acharnés sur elle après la publication de son morceau féministe Amazones sur YouTube. La chanson est une ode à la sororité, complétée par un clip « anarcho queer » selon Héro Écho – une vingtaine de femmes y apparaissent, armées de battes de baseball, poignards, bâtons et arcs, « déterminées à abattre le patriarcat ».

    Outre le dénigrement de la vidéo, des participantes et des paroles, la rappeuse a aussi dû encaisser des commentaires violents comme : « Tant que le monde tient, vous faites les guerrières. Quand il s’effondrera, vous ferez les pipes et le café », « Entre les imbaisables, les boudins, les grosses et les dégénérées, y’a rien à en tirer », « À la première droite dans la gueule, elles seront en mode : “Bon, qui donne sa chatte en premier ?” ».

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    Après la sortie de son clip sur Youtube, la rappeuse a été submergée de commentaires violents. / Crédits : DR

    Héro Écho, de son vrai nom Lucie, a pourtant une audience qu’elle qualifie de « confidentielle » et elle n’est pas une cible favorite de la fachosphère. Avec environ 600 abonnés, le compte YouTube d’Héro Écho totalise 36.000 vues pour sept vidéos – dont 24.000 pour Amazones. Dans la musique depuis huit ans, elle n’a pas de maison de disques ou de label derrière elle et a réalisé son clip « avec les moyens du bord » :

    « J’ai écrit Amazones il y a trois ans après m’être disputée avec des potes du milieu du hip-hop machiste. Je la chantais en concert à la Zad de Notre-Dame-des-Landes. On venait toujours me reparler de ce morceau. Je me suis dit que s’il y avait un clip dans ma vie qu’il fallait faire, c’était celui-ci. »

    Un site néonazi

    Alors que ses vidéos totalisent habituellement 1.000 vues en six mois, le morceau Amazones dépasse les 7.000 vues après une semaine. S’il est loin d’atteindre le grand public, le clip est partagé dans certains milieux d’extrême gauche. « Ça doit être là où des gens d’extrême droite l’ont vu », suppose Héro Écho. Le morceau arrive jusqu’au site néonazi Démocratie participative, fortement soupçonné d’être dirigé par Boris Le Lay, un blogueur raciste et antisémite (entre autres). Ce ponte de la fachosphère a été condamné une dizaine de fois par la justice française depuis dix ans, notamment pour incitation à la haine raciale. Nationaliste breton, il anime déjà un autre site d’extrême droite, Breizatao, dont l’adresse IP est similaire à Démocratie participative. Exilé au Japon, il est également fiché S et est encore visé par 13 mandats de recherches par Interpol.

    En raison des nombreux contenus haineux qu’il abrite, Démocratie participative a été bloqué en France par la justice en 2018, qui a à nouveau demandé sa fermeture en décembre dernier pour « menace à l’ordre public ». Par exemple, la légalisation de l’avortement en Argentine y est annoncé par ce titre : « Argentine : les traînées obtiennent la légalisation du droit de tuer leurs enfants pour coucher avec n’importe qui ». Démocratie participative a déjà été à l’origine de nombreuses vagues de cyberharcèlement, notamment celles contre la journaliste Julie Hainaut en 2017. Cette dernière avait critiqué dans un magazine culturel lyonnais un bar qui vantait « l’esprit colonial » et la colonisation. Pour cette brève, elle s’était fait traiter de « pute à nègre féministe » par le site néonazi, complétée par des appels au harcèlement.

    Le schéma a été similaire pour Héro Écho et sa chanson Amazones. La rappeuse y est traitée de « blanche ravagée par le féminisme juif, le post-bolchevisme, la peur de soi, le misérabilisme, la drogue, les médocs et les problèmes avec papa ». Sur deux articles, l’auteur enchaîne les phrases ignobles comme : « Qui voudrait toucher ce machin, à part des nègres ? ». Il en remet une couche sur le forum du site, lancé en avril 2020 et nommé « Europe écologie Les Bruns ». Avant d’envoyer ses trolls sur le compte d’Héro Echo. « J’ai eu les 7.000 vues le dimanche, je suis partie au travail le lundi et mon téléphone n’a fait que sonner. Des amis m’ont prévenu que ça n’allait pas du tout, qu’il y avait un raid sur ma page YouTube. Ils ont tout de suite identifié que ça venait de Boris Le Lay », raconte-t-elle.

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    Les commentaires oscillent entre racisme, sexisme et antisémitisme. / Crédits : DR

    Des menaces de mort

    Les commentaires oscillent entre racisme, sexisme et même antisémitisme : « Vous avalez à quatre pattes ? », « Et un jour, sans raison, les gens ont voté Hitler au pouvoir », « Heureusement qu’on a perdu en 45, ça aurait été dommage de louper ça », « C’est vraiment de la merde, trouve-toi un mec rapidement, fais toi bourriquer puis pond. Ça ira beaucoup mieux après »… Mais la rappeuse reçoit aussi des menaces de mort :

    « Si ce n’est pas nous les méchants fachos qui nous nous occuperons de vous, ce sera nos “remplaçants” “racisés” qui sont très loin de vos combats imaginaires. (…) Et sinon, il restera la sélection naturelle qui se chargera de vous éradiquer. »

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    La rappeuse a reçu de nombreuses menaces. / Crédits : DR

    Héro Echo décide de retirer le clip un temps pour protéger les figurantes. « Je l’ai fait avec amertume. Pour moi, c’était un échec. Mais je n’ai pas chanté : “Ce son c’est pour mes soeurs” pour ne pas le faire. » Ça ne calme pas la meute d’extrême droite. « Ils se sont rabattus sur mon Facebook perso, ils ont chopé mon nom et celui de mon mari. Ce n’était vraiment pas drôle », témoigne-t-elle. Ils trouvent également des photos d’elle et de son époux. Elle passe les jours suivants à sécuriser son compte Facebook qui avait de « nombreuses failles » :

    « Durant 48 heures, je n’ai pas dormi ou mangé, ça a été assez cauchemardesque. »

    Finalement, elle et ses amies choisissent de remettre le clip en ligne quelques jours plus tard. Cette fois, le harcèlement est minime. « Il y a encore des petites vagues de temps en temps mais je craignais plus », estime Héro Echo. Elle a encore du mal à s’expliquer comment son clip a pu arriver « jusqu’à ces gens » :

    « Je m’attendais un peu à des raids masculinistes mais pas du tout à ces personnes-là. Après, je comprends ce qui les a énervés, ça montre que la chanson a marché. »

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