En ce moment

    04/05/2021

    Un compte poste leur casier judiciaire, photos en garde à vue ou de radars

    Un policier harcèle-t-il des responsables de supporters bordelais ?

    Par Christophe-Cécil Garnier

    Depuis mi-avril, un compte Facebook harcèle des responsables Ultramarines, le principal groupe de supporters bordelais, et balance des informations personnelles. Dans un climat de tension avec la direction du club, les ultras soupçonnent un policier.

    « C’est très intrigant votre affaire. » Au téléphone, le capitaine de police est embêté. Il a du mal à comprendre la situation qu’on lui présente. Depuis quelques semaines, un mystérieux compte Facebook harcèle des responsables des Ultramarines, les supporters ultras du club de football des Girondins de Bordeaux. Dans des commentaires sur le réseau social, sous le nom d’Olivier Drague, il a balancé le casier judiciaire du porte-parole du groupe. Ainsi que des photos de membres en garde à vue, une adresse ou même des images de leurs voitures flashées par des radars. Des informations qui ne sont accessibles qu’aux policiers ou à la justice. Ces publications peuvent même entraîner des condamnations pour leur auteur.

    Chez les supporters, une hypothèse prédomine : celle d’un agent proche de la direction du club, qui cherche à leur faire peur, bien qu’aucun élément factuel ne puisse le confirmer. Car depuis deux ans, la relation entre les ultras et les dirigeants bordelais est très tendue. « Quel intérêt de s’exposer de la sorte si cet Olivier Drague est un policier ? Et il ne provoque que des leaders, c’est bizarre », remarque Hugues, un responsable des Ultramarines. Entre le ballon rond, les querelles et les posts Facebook, StreetPress a tenté de comprendre cette affaire « intrigante ».

    Des éléments du casier judiciaire

    Sur la page Facebook du média Girondins4Ever, dédié à l’actualité du club de foot bordelais, les supporters ont l’habitude d’être dans le débat. Surtout cette saison, alors que l’équipe est en bas de classement du championnat de France et que le propriétaire américain a annoncé qu’il retirait ses billes et laissait une dette estimée entre 90 et 110 millions d’euros. Les fans se répondent, se provoquent et s’insultent parfois. Mais depuis mi-avril, cinq membres des Ultramarines subissent du harcèlement ciblé de la part d’un certain Olivier Drague. Le premier à en subir les frais a été le porte-parole des ultras bordelais : Florian Brunet. Le 16, Girondins4Ever annonce que ce dernier est la cible d’une plainte de Frédéric Longuépée, le président de Bordeaux, suite à une campagne d’affichage où la tête du dirigeant était collée dans la ville avec la mention « Wanted ». Alors que des fans critiquent cette plainte, Olivier Drague répond à l’un d’eux que « des gars comme toi, c’est du pain béni pour des gars comme Brunet », avant de détailler le casier judiciaire du leader ultra. Une façon de « décrédibiliser Florian », selon Hugues, un responsable des Ultramarines :

    « C’est une personne qui a des informations et qui les dévoile sur Facebook à la vue de tous, simplement parce qu’on est sur un avis contradictoire. »

    Florian Brunet n’a pas Facebook et a appris les faits par ses amis ultras. « Je m’en fous un peu de tout ce qu’il y a sur les réseaux », lâche-t-il. Mais le quadra trouve « costaud » de ressortir ça. « J’avais 16 ans, c’est des trucs qui remontent à loin. Après un vol à l’étalage, j’ai donné un faux nom au policier. Le reste, ce sont des éléments de ma vie d’ultra. J’ai fait des conneries de jeunesse, je ne suis pas clean mais je n’ai jamais prétendu l’être », enchaîne-t-il.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/od-condamnationjudiciaire_1.jpg

    Le harcèlement de ce Olivier Drague a commencé le 16 avril, quand il a détaillé sans raison le casier judiciaire de Florian Brunet, le porte-parole des Ultramarines. Une façon de le « décrédibiliser ». / Crédits : DR

    Des photos

    Le mystérieux compte Facebook poste aussi une photo de Florian Brunet et d’un autre membre du groupe – un capo, celui qui lance les chants dos au but chez les ultras – alors qu’ils sont détenus en garde à vue à Strasbourg. En 2018, les Ultramarines avaient outrepassé un arrêté préfectoral pour aller voir leur équipe en Alsace. 45 supporters avaient réussi à se faufiler dans les gradins strasbourgeois, avant d’y être interpellés et conduits au commissariat.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/od-gav_censored_1.jpg

    Sur d'autres conversations, Olivier Drague a également publié des photos de Florian Brunet et d'un capo du groupe, prise lors d'une garde à vue d'une quarantaine de membres à Strasbourg en 2018 selon les ultras. Les photos ont été floutées par StreetPress. / Crédits : DR

    L’auteur alterne entre le troll et les menaces. Juste après avoir mis la tête d’Hugues en image de profil, Olivier Drague lui lance : « J’ai pris ta photo, maintenant je vais prendre ta femme », avant de donner une adresse et demander s’il y réside toujours. L’intimidation ne fait pas mouche, ce n’est pas l’adresse personnelle d’Hugues mais celle de son ancien travail. À un des anciens meneurs des Ultramarines et membres du directoire, il écrit le nom de sa conjointe. « Ça n’a aucun impact sur nous. Mais quand on parle de ta femme ou de ta famille, ce n’est jamais très agréable », estime Hugues.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/od-photo-profil_1.jpg

    À gauche, Olivier Drague se vante d'avoir piqué la photo de profil d'Hugues. À droite, il a écrit une adresse à ce dernier en pensant que c'était son adresse personnelle sous forme de menace. C'était en fait celle d'un ancien boulot. / Crédits : DR

    Il y a une semaine, le harceleur a publié des photos des voitures de deux membres du directoire, l’une avec la plaque d’immatriculation bien visible. Des images qui proviendraient de radars routiers.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/od-radars_1.jpg

    Olivier Drague a aussi publié des photos de voitures de membres du directoire des Ultramarines, vraisemblablement prises par des radars. À gauche, la photo qu'il a postée en profil n'avait pas la plaque d'immatriculation cachée, contrairement à la droite. / Crédits : DR

    Un policier ?

    Pour les Ultramarines, ça ne fait aucun doute : Olivier Drague serait un policier avec un compte anonyme. « Avec toutes les informations qu’il a mises, on s’est vite dit que c’en était un. Sortir l’intégralité du casier, les photos de garde à vue, c’est fort », ajoute Hugues.

    Mais pour le service d’information et communication de la police nationale (SiCop), des éléments clochent. Les deux photos en garde à vue ne répondent pas aux critères du fichier de traitement des antécédents judiciaires (Taj), qui permet d’identifier les personnes avec la reconnaissance faciale. La com’ policière doute qu’un policier les aurait acceptées telles quelles. « Au lieu d’être prise dans le Taj, elle peut avoir été prise directement par un policier strasbourgeois avec son téléphone », suppose un capitaine. Pour les photos radars des voitures, « ça y ressemble » mais il y manque l’heure, la date et la localisation. Ces informations auraient néanmoins pu être coupées lors du recadrage de la photo par le harceleur.

    Quant aux antécédents judiciaires, c’est ici le vocabulaire d’Olivier Drague qui dénoterait. « La personne parle de condamnation et fait référence au casier judiciaire, alors que les agents n’y ont pas accès. Dans la police, on dit qu’une personne est “connue pour tels faits” plutôt que “condamnée pour”, qui vient davantage du langage judiciaire », professe le SiCop. Si les informations d’Olivier Drague proviennent du Taj, la com’ policière précise qu’il n’y a pas que les policiers et les gendarmes qui y ont accès : « Ces informations sont aussi disponibles pour les avocats de la défense ou des parties civiles, des greffes et des magistrats ».

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/od-police1_1.jpg

    Dans les commentaires, le mystérieux compte n'hésite pas à détailler la plainte du président des Girondins de Bordeaux Frédéric Longuépée contre Florian Brunet et revendique l'avoir révélé en premier. / Crédits : DR

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/od-police2_1_0.jpg

    L'homme s'y connaît en procédure. / Crédits : DR

    Néanmoins, de l’avis de plusieurs pandores, cela pourrait bien être un de leurs collègues. Sans toutefois comprendre le geste. « Je n’en vois pas le but. Si c’est le cas, il s’expose à une sanction », réfléchit un agent quadragénaire qui suit de loin les histoires autour du club de Bordeaux. Interrogé, le SiCop confirme :

    « Toute consultation du Taj en dehors du cadre strictement prévu est susceptible de condamnation administrative. Et si c’est au bénéfice d’un tiers, cela peut entraîner une condamnation judiciaire. »

    Un défenseur de la direction

    Le compte est bien renseigné sur le monde policier. Comme sa page est verrouillée et qu’aucune information n’est accessible, StreetPress a épluché une trentaine de ses messages sur Girondins4Ever. À plusieurs reprises, Olivier Drague parle avec une certaine précision des procédures pour des plaintes ou des manifestations non-déclarées.

    Entre des commentaires sur la forme de Ben Arfa ou des critiques sexistes envers l’équipe féminine, il enchaîne les clichés sur les habitués des tribunes, où il y aurait « un paquet de RSAistes ». Il défend la direction à de nombreuses reprises. Le nouveau logo, très critiqué, a coûté deux millions d’euros ? « Du pipeau histoire de rajouter une casserole à la direction. » Le président est photographié sans masque et sans distanciation sociale en septembre dernier ? « De la pure diffamation. » Des banderoles demandent la démission du président lors du Tour de France ? « Les sous-doués au Tour de France », se moque-t-il.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/od-defense-direction1_1.jpg

    Le compte semble être un suiveur du club qui défend corps et âme la direction, que ce soit sur le prix d'un logo critiqué ou sur le manque de distanciation sociale du président. / Crédits : DR

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/od-defense-direction2_1.jpg

    Il est également très critique de la contestation envers Frédéric Longuépée et se moque souvent des supporters, où il y aurait « un paquet de RSAistes ». / Crédits : DR

    Un contexte houleux

    Ces commentaires interviennent dans un contexte de crise et de relations tendues entre les Ultramarines et la direction des Girondins de Bordeaux. Depuis deux ans, les supporters demandent la démission de Frédéric Longuépée, le président délégué, tandis que Florian Brunet est lui victime d’un harcèlement par téléphone depuis janvier. Un homme lui a envoyé plusieurs messages comme : « Longuépée aura ta peau », ou : « N’oublie jamais, Poupard est payé pour avoir ta peau ». Une référence à Arnaud Poupard, le directeur sécurité du club depuis un an, qui est un ancien commissaire de police. Florian Brunet avance :

    « Entre ça et Facebook, c’est troublant. On a l’impression que des mecs sont téléguidés. »

    Malgré les menaces, les Ultramarines ne souhaitent pas porter plainte contre Olivier Drague ou l’autre harceleur téléphonique. « On n’a pas assez confiance dans le système, ce n’est pas dans nos façons de faire. C’est seulement s’il y a un truc grave dans nos vies », résume Hugues. De son côté, le SiCop explique que si une enquête est diligentée « et qu’on tape le profil d’un des supporters, tous ceux qui ont été sur son profil vont ressortir ». Contactés pour réagir sur ces messages, les Girondins ont déclaré qu’ils n’étaient pas « au courant des faits relatés » et démentent « une quelconque implication ».

    Contacté via Facebook, Olivier Drague n’a jamais répondu à nos sollicitations.
    Photo d’illustration des Ultramarines, lors du match Bordeaux-Angers en mars 2018.
    Edit le 04/05 à 10h27 : Nous avons rajouté en fin d’article la réponse des Girondins de Bordeaux.

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER