💌
 Nos newsletters ici
 Soutenez StreetPress

En ce moment

    17/01/2022

    Cherche-t-il à se débarrasser des amis de Samy Debah ?

    Le maire UDI de Garges-lès-Gonesse accusé de virer les employés jugés proches de son concurrent

    Par Céline Beaury

    Benoit Jimenez a remporté les municipales de 2020 d’une poignée de voix. Une mise en ballotage qui lui serait restée en travers de la gorge, au point de vouloir se débarrasser des employés municipaux jugés trop proches de son concurrent Samy Debah.

    Notre média est accessibles à toutes et tous

    StreetPress produit un journalisme rigoureux, factuel et populaire grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs. Engagez-vous avec nous, faites un don et faites vivre un média indépendant !

    « Comment peut-on mettre à terre un homme pour quelques photos de soutien sur Facebook ? », soupire Abdelkader Kehli :

    « Aujourd’hui, je suis en cours de divorce, je n’ai plus un sou, je suis harcelé par la banque et je dois rendre mon logement le 22 janvier ? Ces gens n’ont-ils aucun cœur ? »

    Le 11 octobre dernier, l’employé municipal de Garges-lès-Gonesse a été suspendu pour deux ans, dont un avec sursis, sans rémunération, « au motif d’avoir manqué à ses obligations de réserve, de neutralité et de loyauté envers son employeur ». Le nouveau maire Benoit Jimenez lui fait, dit-il, payer le fait d’avoir affiché sur les réseaux sociaux son soutien à son adversaire Samy Debah lors des dernières élections.

    L’affaire est en fait un peu plus compliquée. Pendant la campagne, le Gargeois avait relayé sur son compte Facebook deux montages photos caricaturant le candidat Jimenez et son équipe. Sur l’un d’eux, le futur maire était comparé à un virus face auquel il fallait se protéger. Abdelkader Kehli avait également qualifié dans des commentaires l’équipe de Benoit Jimenez de « bande de magouilleurs », de « vraies racailles » ou de « mafia ».

    L’affaire s’inscrit dans un contexte électoral musclé. En 2020, Benoit Jimenez (UDI) – conseiller régional et vice-président de la communauté d’agglomération – se présente aux élections municipales. Il a l’appui du maire sortant, Maurice Lefèvre. En théorie, la partie est gagnée d’avance mais Samy Debah, fondateur du CCIF joue les trouble-fête. Pendant la campagne, alors qu’il est en arrêt de travail, Abdelkader se prend en photo avec le candidat d’opposition. « On me reproche d’avoir soutenu Debah via un post Facebook, alors que des agents municipaux, arborant le manteau de la ville, ont effectué des collages pour soutenir la liste de Jimenez, sans que cela n’ait eu la moindre conséquence », s’insurge Abdelkader, vidéo à l’appui. « Coller des affiches n’est pas répréhensible (…) dès lors que les agents respectent leur droit de réserve, le font en dehors de leurs heures de service et ne détournent pas les moyens de la collectivité », répond de son côté le vainqueur. Car Jimenez gagne mais d’une tête seulement, ou plutôt de 127 voix. Et la campagne a laissé des traces et créé des rancœurs.

    Un clash violent

    Un mois après la prise de fonction de Benoit Jimenez, Abdelkader croise par hasard le directeur des services, son supérieur. L’agent est en arrêt : un an plus tôt, il avait chuté d’un engin pendant son service, se blessant grièvement. L’échange entre les deux hommes est très tendu. « Il m’interpelle et m’agresse violemment, m’insulte de : “Fils de pute” ou “Nique ta mère”, me pousse et me crache au visage par trois fois », déclare Abdelkader dans la plainte qu’il dépose dès le lendemain. Son supérieur l’aurait même menacé. « Il me crie ensuite que je suis un homme mort, qu’il va me tirer dessus, que des jeunes des Doucettes (quartier où habite le gardien) vont me faire la misère, et qu’il a lui-même l’ordre du maire et des élus de me faire la misère ». Contacté par StreetPress, le directeur des services refuse de commenter « rumeurs et mensonges », préférant « laisser faire la justice ». (1)

    Choqué, dit-il, par cette agression, Abdelkader est depuis suivi par un psychiatre. Ce dernier fait état de symptômes post-traumatiques et d’anxiété sévère. Interrogé sur cette affaire, le maire indique qu’une enquête interne est en cours. C’est seulement le 17 mai 2021, soit près d’un an après la fin de la campagne municipale, qu’Abdelkader reçoit un courrier de son employeur, l’informant d’une saisine du conseil de discipline. Il lui est reproché d’avoir « participé à des réunions politiques et des campagnes d’affichage ; effectué du porte-à-porte, distribué les professions de foi d’un candidat, alors qu’il était en arrêt de maladie, allant à l’encontre de l’article 5 du code électoral, avoir méconnu ses obligations de réserve, de neutralité et de loyauté ». S’il reconnaît son soutien à Samy Debah et les posts Facebook pas très fins, Abdelkader nie avoir participé à la campagne. Pour maître Riolacci, son avocat, « la sanction est disproportionnée » et « politique ».

    Le maire, qui a répondu par mail à StreetPress, juge sans grande surprise la sanction à la hauteur de la faute en s’appuyant sur la décision « univoque » de la commission de discipline : six des sept membres ont validé la sanction. Il se défend d’une quelconque punition politique et pointe une fraude à la sécurité sociale :

    « Ce qui est en question dans cette affaire n’est pas tant la participation à une campagne électorale qu’un engagement public de la part d’un agent supposé être en congés maladie. »

    Un argument qui, selon l’avocat d’ Abdelkader, n’aurait « même pas été évoqué lors de l’audience, car tout est en règle ». Très affecté, l’employé municipal a fait un malaise sur son lieu de travail. Il a également déposé un recours. Comme le racontait le Parisien, une audience en référé s’est tenue le 7 janvier et a été mise en délibéré. La décision devrait être connue d’ici environ un mois.

    Le cas Zakaria Zaoui

    Abdelkader, ne serait pas le seul à payer son soutien à Samy Debah. Zakaria Zaoui, un ancien agent, est aujourd’hui sans emploi et sommé de quitter son logement communal. Passé par différents services (animation, administratif, services techniques), ce père de trois enfants a, pendant des années, couru après un job plus pérenne à la ville. À l’approche des élections municipales, il candidate à un poste de magasinier en interne. « Alors que j’étais en phase de négociations sur ma rémunération, M. Jimenez me promet que – s’il est élu – j’aurais une augmentation et serais stagiairisé [période d’essai avant la titularisation]. »

    À l’approche du deuxième tour des élections, le père de Zakaria, ancien imam de la ville, aujourd’hui en fonction sur Fosses (95), enregistre un message audio, qui devient viral sur WhatsApp. Le religieux appelle explicitement à soutenir Samy Debah. « Le lendemain, Benoit Jimenez, alors encore candidat me transfère l’audio en question, sans aucun message d’accompagnement. Je lui confirme, qu’il s’agit effectivement de mon père mais que, de mon côté, je ne me suis jamais mêlé de politique », explique l’ancien agent. Ce que confirme la conversation que StreetPress a pu consulter. De son côté, le maire reconnaît n’avoir pas vraiment apprécié :

    « Le fait que M. Zaoui Père ait pu diffuser des consignes de vote en profitant de son influence religieuse, est un mélange des genres qui pose question et sur lequel je suis en droit de m’inquiéter. »

    Et selon Zakaria, depuis ce jour, l’édile l’a dans le pif. « C’était la misère. Quelques jours après son élection, le maire est passé devant moi sans même me saluer. Un élu m’a confirmé que j’étais un dommage collatéral. » L’employé de la mairie se sent sous pression au point de somatiser : des panaris sur les doigts causés par stress, puis une sciatique sévère qui lui paralyse le dos. En septembre 2020, la médecine du travail le déclare inapte. « J’aurais pu avoir un reclassement, il y avait des postes en interne, et j’ai suffisamment d’expérience dans différents services pour trouver un poste adéquat », souffle l’ancien agent. Mais en juin 2021, le contrat de Zakaria n’est pas renouvelé et on lui demande de rendre son logement communal.

    Pour Benoît Jimenez, l’appel au vote du père n’a eu aucune incidence sur la non-reconduction du fils. Il affirme avoir tenté de trouver « une solution humaine qui n’a pu aboutir car Zakaria n’a accepté aucune solution ». Sur la question du logement, l’édile rappelle que « les logements communaux ne sont pas un droit (…). Et que le bail du père de famille a été prolongé par trois fois après la fin de son contrat ».

    Zakaria reste persuadé qu’il paye l’engagement de son père dans cette campagne. « J’ai été volontaire toute ma vie avec la mairie et ils m’ont jeté comme une vieille chaussette », déplore l’homme qui avait jusqu’au 30 novembre pour rendre son logement, et sera expulsable dès la fin de la trêve hivernale.

    (1) Le service juridique de la mairie qui assure sa défense dans cette affaire, dans le cadre de la protection fonctionnelle, n’a de son côté pas répondu à nos sollicitations à l’heure où nous publions.
    La photo d’illustration provient du Facebook du maire Benoit Jimenez

    Et après la lecture de cet article, une petite question pour vous, lectrices et lecteurs

    Est-ce que vous vous sentez sereines et sereins dans un monde où une majorité des médias appartient à une poignée de milliardaires aux intérêts pas toujours raccords avec l'intérêt général ?

    Nous non plus. C'est pour ça qu'on s'acharne, chez StreetPress, à produire un journalisme accessible à toutes et tous, en toute indépendance. Parce que nous pensons qu'une information libre, éclairée et éclairante est indispensable.

    Parce que parler des êtres humains se fait à hauteur d'humain. Parce que le journalisme, même engagé, se doit d'être rigoureux et factuel.

    Si ce combat est aussi le vôtre, vous pouvez agir et faire bouger les lignes en nous soutenant. Faites un don, même tout petit, si possible mensuel, et nous en ferons des enquêtes et des reportages qui comptent.