C’est une affaire que le puissant syndicat policier Alliance veut à tout prix étouffer. Le 15 juin, c’est jour de conseil de discipline à la préfecture de police. Quatre dossiers sont inscrits à l’ordre du jour que StreetPress s’est procuré. Les différents « faits reprochés » sont assez graves. L’un est mis en cause pour « menaces et usage de son arme sous l’emprise d’un état alcoolique », un autre pour « conduite sous l’emprise d’un état alcoolique occasionnant un accident corporel grave ». Mais l’un des dossiers retient tout particulièrement l’attention des différents fonctionnaires qui doivent siéger. Le nom de Jean-Michel Huguet, délégué national, membre du bureau national d’Alliance, l’instance qui dirige le syndicat (1), est inscrit sur ce document : le major de police est accusé d’« extorsion de fonds » et de « corruption ».
Le major de police, membre du bureau national d'Alliance, est accusé d’« extorsion de fonds » et de « corruption ». / Crédits : DR
C’est épineux pour Alliance. Même s’il n’apparaît que rarement dans les médias, Jean-Michel Huguet est l’un des grands pontes de l’organisation syndicale. Il est en charge d’« Alliance Avantages », une plateforme qui offre aux adhérents du syndicat des réductions sur un peu tout : de l’électroménager, aux locations de vacances, en passant par les menus au Burger King, les places pour des matchs de foot… Huguet est notamment chargé d’obtenir des entreprises les plus grosses ristournes possibles pour ensuite attirer du monde dans son syndicat.
Mais qu’a-t-il bien pu faire pour atterrir devant un conseil de discipline ? À ce stade, mystère et boule de gomme. Pour protéger le syndicaliste de la curiosité de ses collègues, son nom n’apparaît pas dans les fichiers habituels (TAJ…). Jusque-là rien d’anormal.
Alliance veut étouffer l’affaire
Plus étonnant, la procédure n’a pas été transmise à ceux censés décider de sa sanction. En amont d’un conseil de discipline, une synthèse de chaque cas est transmise aux représentants syndicaux qui siègent au sein de cette instance. « On ne nous a pas envoyé le dossier Huguet », s’étonne une personne habilité à recevoir les dossiers jugés en conseil de discipline. Et le jour J, il n’y a plus quatre mais trois dossiers à l’ordre du jour : le passage en conseil de discipline du syndicaliste est reporté à une date ultérieure. Quand ? Rien n’est encore décidé, donc autant dire aux calendes grecques. Le 8 décembre 2022 se tiendront les élections professionnelles dans la police nationale. La réglementation prévoit qu’aucun conseil de discipline ne peut se tenir pendant la campagne. Le dernier conseil est, selon nos informations, prévu à la mi-octobre. Rendez-vous ensuite en 2023.
« Alliance a très peur de voir cette affaire sortir. Surtout cette année, ça pourrait leur coûter des voix aux élections », commente un cadre d’un syndicat concurrent, très agacé par le passe-droit. « Lallement, qui va partir, leur a fait cette fleur. Il a accepté que l’affaire Jean-Michel Huguet soit reportée à l’année prochaine. C’est un peu son cadeau de départ », croit savoir ce policier. D’autres sources dans la maison sont moins catégoriques sur le rôle du préfet de police de Paris. « Ça vient d’en haut, c’est sûr. Mais Alliance a le numéro de portable de tout le monde, jusqu’au ministre, donc ça peut venir d’ailleurs », commente un autre fonctionnaire qui s’intéresse au dossier.
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Pour tenter d’en avoir le cœur net, StreetPress a interrogé le service de communication de la Police nationale (Sicop) sur le motif de cet étonnant report. « Le renvoi d’un conseil de discipline ne préjuge pas d’un quelconque passe-droit. Il peut y avoir une raison légitime », assure le Sicop, pourtant bien incapable de nous indiquer cette raison « légitime ». Et de nous renvoyer vers la préfecture de police pour plus d’infos. Cette dernière explique finalement que « le passage en conseil de discipline du Major Jean-Michel H. a été reporté dans l’attente de l’issue judiciaire de cette affaire, prévue en septembre ». C’est loin d’être la règle générale.
La justice s’intéresse au syndicaliste
Pas sûr que le soutien d’Alliance suffise à sauver le soldat Huguet et empêche le scandale d’éclater. Car la justice aussi s’intéresse de très près au gus. Et même si le syndicaliste est présumé innocent, les investigations semblent avoir porté leurs fruits puisque, selon une source judiciaire, Jean-Michel Huguet est convoqué au mois d’octobre devant le tribunal correctionnel de Paris pour « abus de biens sociaux, recel d’abus de biens sociaux, blanchiment aggravé, banqueroute et faux ».
En tant que délégué national, Jean-Michel Huguet est à la tête d'« Alliance Avantages », une plateforme qui offre aux adhérents du syndicats des réductions sur un peu tout et n'importe quoi. / Crédits : Twitter
« Ça n’a rien à voir avec son activité syndicale ou même sa fonction de policier », insiste son avocat, maître Rideau-Valentini. Les faits reprochés seraient en lien avec l’activité professionnelle d’une ancienne compagne, sur la période 2015-2017. Le policier clame son innocence. À StreetPress, il indique :
« J’aurai l’occasion lors de l’audience avec mon avocat de donner ma version des faits qui, je l’espère, prendra en compte ma probité dans cette affaire. »
« Il y a des faits discutables mais pas d’intention coupable », défend son avocat. Il insiste aussi sur le fait qu’il comparaîtra libre :
« Aucun contrôle judiciaire, aucune interdiction d’exercer n’ont été prononcés. »
Boire ou conduire
« Huguet est un ambitieux, toujours dans des combines », raconte un ancien d’Alliance, pas vraiment surpris de le voir ainsi épinglé. « Sexiste » aussi, tacle une fonctionnaire qui l’a côtoyée au hasard d’une affectation. Ce fan de rugby a également la réputation d’aimer particulièrement la troisième mi-temps. Au point de parfois déborder. Dans son édition du 22 juin, le Canard enchaîné rapporte – sans donner son nom – son dernier exploit en date. Tard dans la nuit du 9 au 10 mars 2022, Jean-Michel Huguet est arrêté à Paris pour conduite en état d’ivresse. Les policiers décident d’embarquer leur collègue au commissariat des 5 et 6e arrondissements pour le coller en cellule de dégrisement. Sauf que le grand syndicaliste refuse d’être traité comme un vulgaire poivrot. Et ses copains d’Alliance vont rapidement venir à la rescousse. Au milieu de la nuit, la déléguée du syndicat en charge du 3e district débarque accompagnée du délégué régional Île-de-France : Yvan Assioma. Ce dernier joue au shérif et tente d’imposer sa loi au point d’énerver le brigadier qui assure la mission de chef de poste ce soir-là. L’altercation est consignée dans un rapport que StreetPress s’est procuré.
La soirée au commissariat ne s'est pas bien passée. / Crédits : DR
Selon ce document, à leur arrivée, les deux syndicalistes vont directement taper un brin de causette avec le capitaine qui a interpellé Huguet. Les cellules de dégrisement affichent complet. Le chef de poste a donc décidé de l’installer sur un banc non loin de son bureau. Mais le spot n’est pas vraiment au goût de Huguet et de ses copains. Ils demandent au brigadier l’autorisation de l’installer dans un bureau à l’étage. Il refuse. La discussion s’envenime et le chef de poste congédie les deux syndicalistes :
« Je lui ai demandé de quitter le poste ainsi qu’au responsable régional, ce qu’ils n’ont pas fait malgré trois demandes. (…) J’ai réitéré ma demande en élevant la voix et ils n’ont toujours pas quitté le poste de police. »
Le capitaine « saisit » alors Yvan Assioma par le bras pour « l’accompagner » à la porte avant qu’une autre fonctionnaire ne prenne le relais. Le délégué régional d’Alliance voit rouge. Il se tourne vers le chef de poste et lui lance :
« Ne t’inquiète pas, tu auras de mes nouvelles. »
Dans un droit de réponse (en rimes !) envoyé à l’hebdomadaire (2), Alliance réplique :
« Ce n’est pas un ponte parisien
Mais tout simplement un être humain
C’est un militant engagé
Qui un soir attristé
A eu ce moment d’égarement
Et s’est retrouvé en dégrisement. »
Interrogé par StreetPress, sur ses soucis judiciaires, le syndicat défend à nouveau son homme. « Tout comme le citoyen, le policier a droit à la présomption d’innocence », écrit Frédéric Lagache délégué général d’Alliance. « Nous ne voyons pas ce qu’il pourrait changer dans ses fonctions tant qu’il n’a pas été reconnu coupable ». Lagache comme Huguet assurent que s’il était condamné, ce dernier quitterait ses fonctions.
_(1) Frédéric Lagache précise que Jean-Michel Huguet n’a aucune « fonction statutaire » au sein d’Alliance. Il « est délégué national sans être élu dans les instances statutaires ».
(2) Alliance accuse également son concurrent Unité SGP d’avoir manoeuvré contre lui pour gonfler l’affaire. Un droit de réponse à lire en entier ici.
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