Ferme de Ker Madeleine, Saint-Gildas-des-Bois (44) – Sous une grande serre où poussent des tomates et de petites aubergines, Yvan (1) dresse des tuteurs de poivrons, perdus entre les pieds verts : « Ma mère m’a parlé de ce lieu. » Souriant, il raconte qu’elle travaille en milieu pénitentiaire. Lui en vient aussi, mais pas du même côté des barreaux : il est détenu. Après un bon comportement en prison et une envie certaine de reprendre une vie normale, l’institution lui a permis d’intégrer la ferme de Ker Madeleine en janvier 2023. Il a dix mois pour tirer la fin de sa peine, perdu en pleine Loire-Atlantique.
Il faut prendre la route de Sainte-Marie, à la sortie de la petite ville de Saint-Gildas-des-Bois, pour trouver le bon panneau : « Ici, chaque vendredi, de 15h à 18h, on peut acheter des légumes en vente directe ». Bienvenue à la ferme de Ker Madeleine. Ouverte au printemps 2021, « c’est un sas de décompression entre un passé récent compliqué et un avenir incertain à préparer », résume Léo Duplan, co-directeur des lieux avec Pierre-Olivier Lucas. Sous le régime judiciaire du placement extérieur, Yvan, mais aussi Rasta, Xavier et Christophe (1) bénéficient tous les quatre de cet aménagement de peine en plein air. Un programme de réinsertion d’une durée de six à 12 mois, qui permet d’apprendre un métier, mais aussi de préparer progressivement la liberté et la reconstruction d’un projet de vie. Membre du Mouvement Emmaüs, l’initiative fait toutefois polémique dans le voisinage.
Bienvenue à la ferme de Ker Madeleine. Ouverte au printemps 2021, « c’est un sas de décompression entre un passé récent compliqué et un avenir incertain à préparer ». / Crédits : Louise Quignon
Un programme de réinsertion d’une durée de six à 12 mois, qui permet d’apprendre un métier, mais aussi de préparer progressivement la liberté. / Crédits : Louise Quignon
Le bon air de la campagne
« C’est hyper fragile, ça pète comme du verre », râle Sabine, qui ne semble pas porter la culture du poivron dans son coeur. Yvan acquiesce, d’accord. « Alors que les tomates, ça repart ! » Elle aussi est en contrat d’insertion, mais sans être passée par la case prison. Ici se croisent les quatre détenus résidents en contrat d’insertion, trois personnes en contrat d’insertion classique, des bénévoles ou « résidents en Wwoofing ». Il y a aussi un couple de réfugiés arrivés d’Ukraine avec leurs neuf chiens et chats. Reste l’équipe permanente : deux directeurs, une chargée de vie communautaire, une accompagnatrice socio-professionnelle, un maraîcher et une éleveuse de chèvres.
Dans la serre voisine, Rasta s’active à ramasser des tomates cerises à la taille généreuse : « Elles se mangent comme des bonbons ! » Les quatre détenus en réinsertion sont aussi bien maraîchers que vendeurs, sur place et au marché d’Emmaüs à Saint-Nazaire (44). Rasta détache soigneusement une tomate. Il lui tarde de retrouver son restaurant de cuisine végétarienne, sa femme, ses enfants et ses proches, très loin d’ici. Sans spécifier où. Ni pourquoi il a dû les quitter pour une cellule. C’est une des règles de vie de Ker Madeleine : aucune question sur le passé judiciaire. Une façon de lever un peu le poids du stigmate de ces hommes pour la suite de leur parcours, une fois libérés de l’écrou, et remettre les compteurs à zéro. Raison aussi pour laquelle les noms ont été changés et leurs visages cachés, condition posée par l’administration pénitentiaire pour réaliser ce reportage.
Sous une grande serre où poussent des tomates et de petites aubergines, Yvan (1) dresse des tuteurs de poivrons. / Crédits : Louise Quignon
Reprendre confiance
« Un pote de prison est passé par ici », poursuit Rasta, envieux d’un endroit « cadré » et « tranquille » avant de retourner dans sa ville. Un temps qui lui permet de retrouver progressivement le rythme du monde du travail. « Sortir de la passivité de la vie en prison et se retrouver », résume-t-il :
« En détention, on ne peut pas se poser pour réfléchir : c’est la violence, il faut se faire respecter. Tu n’es jamais seul ou au calme. »
Rasta, Yvan et les autres sont résidents salariés en contrat d’insertion. Chacun a sa chambre, une intimité et une autonomie perdues en détention. Ces fins de peine ont également le droit à cinq semaines de congés annuels, mais aussi des temps libres. « Quand on est en prison, on y est non-stop. Ici, on a des temps de repos, de travail, c’est différent », explique Rasta. Libre à eux de se poser dans les hectares verts de la propriété, d’avoir un hobby ou d’aller faire quelques courses au village – toujours accompagné par une personne de l’équipe ou un bénévole, c’est obligatoire.
Rasta rejoint ses camarades pour le déjeuner. Martine et Sylvie, deux bénévoles, ont tout préparé aujourd’hui. Avec elles, Xavier fume une cigarette. Il parle par bribes, un peu intimidé. Arrivé il y a huit mois, juste avant l’été, il raconte venir d’un petit village. Le « grand air » lui manquait. L’endroit lui semble familier pour remettre sa vie en ordre, « et ne pas être enfermé tout le temps ». Marie-Laure, l’accompagnatrice socio-professionnelle, insiste sur l’importance de « retrouver confiance en leurs capacités » :
« Ils ont été cassés par la détention, et même avant dans leur parcours de vie. Ils ont peur de ne savoir fonctionner que dans l’échec. »
« Quand on est en prison on y est non-stop. Ici on a des temps de repos, de travail, c'est différent », explique Rasta. / Crédits : Louise Quignon
Après une fin de matinée à travailler dans son coin de verdure, Christophe arrive finalement à table dans la grande salle à manger commune. Simcoe, mascotte de l’établissement, un sympathique berger belge reste à l’extérieur mais garde un œil attentif. Entre une part de cake à la courgette et une de tarte aux poivrons, il raconte ne pas encore avoir utilisé ses jours de vacances, contrairement à Yvan et Rasta. Eux sont allés rendre visite à leur famille. Christophe reprend :
« Là, je pourrais partir un mois si je voulais ! »
« L’équipe nous encourage à le faire, mais en pratique on ne part pas, sauf permission pour motif familial, car ça coince avec la juge de l’application des peines ! » Probablement une méfiance d’évasion, malgré des risques minces. Aucun ne voudrait s’exposer la fin de résidence à Ker Madeleine et un retour aussi sec en détention. « Du coup, c’est pas trop des vacances : tu restes sur ton lieu de travail, et tu es réveillé par les gens qui boivent leur café à 10h ou passent la débroussailleuse… »
L’association de réinsertion L’Îlot souligne dans un article que l’amélioration de la santé physique et mentale des détenus est un facteur important de réinsertion. Une situation administrative en règle, un emploi pérenne, ou pouvoir renouer avec des proches, sont autant de critères qui diminuent le risque de récidive. Bien qu’elle soit le fruit de multiples facteurs souvent imprévisibles.
Après une fin de matinée à travailler dans son coin de verdure, Christophe arrive finalement à table dans la grande salle à manger commune. / Crédits : Louise Quignon
Entre une part de cake à la courgette et une de tarte aux poivrons, il raconte ne pas encore avoir utilisé ses jours de vacances, contrairement à Yvan et Rasta. / Crédits : Louise Quignon
Un retour difficile en société
« Non aux détenus. » Devant le chemin qui mène à la ferme, une banderole défraîchie par les intempéries témoigne de l’hostilité des habitants de Saint-Gildas-des-Bois. « Nos enfants = danger », invective une autre. Cette opposition est née dès le début du projet en 2021. Le voisinage, empreint de doutes face à l’initiative qu’il juge « opaque », pointe le manque de sécurité. Les détenus libres de leurs déplacements font peur.
Le voisinage, empreint de doutes face à l’initiative qu’il juge « opaque », pointe le manque de sécurité. Les détenus libres de leurs déplacements leur font peur. / Crédits : Louise Quignon
Une autre banderole va beaucoup plus loin : « Pédophiles, radicalisés, violeurs ». Elle a depuis été retirée, condamnée par La Ligue des droits de l’Homme et le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples. Une projection des idées reçues concernant la population carcérale, bien éloignée de la réalité statistique des motifs d’incarcération. « Imaginez ce que ça fait de lire ça à chacune de vos sorties » questionne Marie-Laure d’un air désolé. Léo, le co-directeur, reste optimiste. « On croit dans le fait d’avancer tranquillement, que ça se passe bien, que les gens peuvent venir voir comment ça se passe. »
Pour les détenus, la sortie est toutefois un stress qui n’est pas arrangé par la polémique. Certains sont soutenus par leurs proches. D’autres, assidus, ont profité de leur temps au vert pour monter un plan de vie. Après cette première expérience en maraîchage, Xavier cherche « une formation en espaces verts ». Partout où ce sera possible, ajoute-t-il, motivé. Yvan, lui, a déjà un contrat d’insertion en poche. Il quittera la ferme en octobre, direction une autre région de France, près de sa sœur et ses neveux. Pour des raisons juridiques, il n’a pas le droit de revenir dans le département de résidence de sa mère avant plusieurs années. Son visage d’ordinaire timide s’illumine instantanément quand il parle de sa famille.
« Mais c’est galère de trouver un logement dans une grande ville : 700 euros les 20m2 ! Je cherche un peu plus loin dans les alentours. »
Yvan a profité de ses congés pour partir faire des repérages avec l’aide de sa sœur :
« Quand j’ai pris le train à Saint-Gildas, ça allait mais je me suis senti perdu à la gare de Nantes (44) pour ma correspondance ! Ça faisait longtemps que je n’avais pas fait ça. »
Simcoe, la mascotte de l’établissement. / Crédits : Louise Quignon
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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