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    30/10/2023

    « Elle me surnommait grosse vache noire »

    FedEx licencie une employée qui dénonçait du harcèlement raciste

    Par Lina Rhrissi

    Une employée d’un service support de FedEx à Roissy dénonce depuis des années les injures racistes d’une collègue, jamais sanctionnée. Le 17 mai 2023, l’entreprise l’a licenciée.

    Quand elle débarque chez FedEx à Roissy (95), le 18 mai 2015, Myriam (1) est impressionnée par la diversité des visages qu’elle croise. « Avant, j’avais travaillé dans des grandes boîtes où j’étais la seule noire du bâtiment. Là, j’ai vu des noirs, des Maghrébins et des Asiatiques à des postes à responsabilités. Je me suis tout de suite sentie à ma place ! Mais j’ai vite déchanté… » Lorsqu’on la rencontre chez elle en région parisienne, la femme quadragénaire se dit « détruite ».

    Depuis huit ans, cette maman de deux enfants se bat pour que sa hiérarchie reconnaisse qu’elle subit du harcèlement raciste de la part d’une collègue de travail dans un des services support du géant américain de fret aérien. Mais le 17 mai 2023, FedEx a finalement décidé de la licencier pour « absences répétées » et « désorganisation de service ».

    « Je me mets en accident de travail parce que je suis victime de racisme et c’est moi qui suis licenciée », regrette aujourd’hui l’ex-salariée, qui préfère garder l’anonymat. « C’est honteux », juge Jalel Hosni, délégué du personnel CFDT qui a soutenu Myriam. StreetPress a pu consulter sa plainte pour harcèlement moral et injure non-publique en raison de l’origine, l’ethnie, la nation ou la race ou la religion et des documents internes à l’entreprise.

    Par mail, FedEx nous a répondu qu’aucune forme de discrimination raciale n’était tolérée dans l’entreprise. Elle assure que l’affaire de Myriam a fait l’objet d’une « enquête exhaustive » et que l’entreprise a collaboré avec une société externe spécialisée dans le bien-être et la santé psychologique au travail pour gérer cette « situation sensible ».

    La mauvaise couleur de peau

    Dès son arrivée dans le service, Myriam réalise que l’ambiance y est exécrable. Elle a le sentiment d’être mise à l’écart, sans vraiment comprendre pourquoi. Très vite, elle réalise que Martine (1), en poste depuis 2012, et une autre collègue qui a quitté le groupe depuis, la surnomment la « grosse vache noire » quand elle a le dos tourné. « Elles se sont mises en tête de me mettre la misère », juge-t-elle.

    Lors d’une réunion en 2016, ses collègues lui reprochent par exemple ses prétendues difficultés à s’exprimer. « Comme si je ne parlais pas bien français, alors que je suis née en France ! » En 2017, lorsque Myriam revient de congé maternité, elle entend Martine dire :

    « Y en a marre de ces gens-là, ils pondent des enfants tous les quatre matins, on ne sait pas quand elle va nous en pondre un autre. »

    Dans son procès-verbal de 2019, elle liste d’autres surnoms nauséabonds : « sale noire », « cheveux de paille », « mama Africa »… « Je ne supporte plus ces insultes », dit-elle aux policiers.

    Myriam ne serait pas la seule victime de l’ambiance raciste instaurée par Martine. Au moins une autre salariée de ce même service, Julia (1), une employée d’origine antillaise, aurait été harcelée avant de quitter l’entreprise. Dans un document interne consulté par StreetPress, un délégué du personnel encarté à la CFDT dit avoir été témoin des propos suivants au sein du service en question :

    « Ils ne peuvent pas avoir des noms un peu moins compliqués, ces gens-là ? »

    Un incident est connu de tous. Le 27 février 2020 Julia, l’employée antillaise, et Abdoulaye (1), un intérimaire d’origine sénégalaise, rejoignent Martine dans une pièce. Cette dernière lance :

    « Tiens, voilà les migrants ! »

    Par mail, la responsable de l’époque, mise au courant, rapporte à un supérieur la scène « qui a choqué » les personnes concernées. Contactée par StreetPress, Abdoulaye, qui n’est resté qu’un mois chez FedEx, confirme : « Je ne sais pas si c’était sur le ton de l’humour, mais j’ai trouvé ça surprenant de la part d’une collègue. »

    Selon Myriam, Martine aurait aussi une dent contre les musulmans pratiquants. Chaque année, pendant le ramadan, elle s’amuserait à convoquer les employés aux noms à consonance maghrébine pile à l’heure de la rupture du jeûne. Et de les punir en prévenant leur hiérarchie quand ces derniers ne se présenteraient pas à leur convocation.

    « Quand je lui faisais remarquer qu’il y avait d’autres créneaux disponibles, elle me disait : “Ce n’est pas à nous de nous adapter, ils ne sont pas chez eux” », rembobine l’ancienne salariée de FedEx, elle-même de confession musulmane.

    « Ils disent que c’est dans ma tête »

    À bout, Myriam fait tout pour obtenir de l’aide de sa hiérarchie. En juillet 2019, un psychologue d’une agence extérieure appelée Stimulus est mandaté pour régler des « problèmes relationnels », selon les dires d’un manager en CSE. Mais rien n’y fait. Ses employeurs refusent de sanctionner sa collègue ou de la changer de service. Le 15 septembre 2019, elle porte plainte auprès de la gendarmerie des transports aériens de Roissy. L’année suivante, elle se rapproche du service juridique de Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), qui l’accompagne désormais dans ses démarches. Le 21 mai 2023, sa première plainte est classée sans suite par le tribunal administratif de Bobigny (93), mais le procureur de la République ordonne tout de même un rappel à la loi à sa collègue Martine.

    Du côté de FedEx, Myriam se sent abandonnée. Ses mails sont ignorés. Elle a le sentiment d’être perçue comme « la folle », « la fouteuse de merde ». « Ils disent que c’est dans ma tête », souffle la maman, pourtant toujours attachée à FedEx :

    « C’est la collègue qui était raciste, pas l’employeur ! Ce que je leur reproche, c’est qu’ils savaient et qu’ils n’ont rien fait. »

    Un bourreau protégé ?

    Le 17 mai 2023, Myriam, en arrêt-maladie depuis juin 2022, est officiellement licenciée. Dans le courrier de licenciement que StreetPress a pu consulter, il est écrit : « Vous avez vous-même reconnu que votre absence avait pu désorganiser le service, tout en justifiant cette absence par vos relations conflictuelles avec l’une de vos collègues au cours de la période qui a précédé vos arrêts de travail. L’entreprise a toutefois entrepris toutes les démarches nécessaires pour vous protéger dans ce cadre. » Des mesures de protection que Myriam dit n’avoir jamais reçues. « Ils m’ont licenciée pour me faire taire », estime-t-elle. Selon nos informations, la salariée Martine est quant à elle toujours en poste.

    Le même jour, un CSE – l’instance de représentants du personnel dans une entreprise – a lieu. Des élus montent au créneau pour défendre Myriam auprès de la direction. StreetPress a pu avoir accès au compte-rendu de la réunion. « Les problèmes de racisme doivent être gérés. En l’occurrence, ceci n’a pas été fait », dit Eric (2), l’ex-syndicaliste encarté à la CFDT qui a accompagné Myriam à son entretien préalable de son licenciement. Il ajoute : « Les salariés […] ont le sentiment qu’il y a une impunité pour certains faits. On comprend le souhait que la société ne soit pas éclaboussée par des faits de harcèlement, de racisme, etc. et que cela apparaisse au grand jour. Pour que cela n’arrive pas, il faut que ce soit traité en interne et directement. »

    Pendant la réunion, l’élu CFDT Jalel Hosni va dans le même sens : « Les salariés harcelés sont dehors, c’est incompréhensible, alors même que les harceleurs sont encore là. Ces premiers souffrent et ne travaillent pas. FedEx ne doit pas protéger ces [harceleurs] ». À chaque fois, la direction botte en touche ou assure que « des actions ont été entreprises » depuis 2019. Comme des réunions de médiation avec le département des ressources humaines ou des entretiens entre les différentes personnes du service.

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    Pendant la réunion, l’élu CFDT Jalel Hosni va dans le même sens. / Crédits : Capture d'écran CSE


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    Des élus montent au créneau pour défendre Myriam auprès de la direction. / Crédits : Capture d'écran CSE

    Divorce et antidépresseurs

    « Si j’arrive à parler de FedEx sans pleurer, c’est parce que je suis sous antidépresseurs », soupire Myriam, après huit ans de bataille pour rien. En procédure de divorce avec le père de ses enfants, elle pense que le harcèlement raciste a joué sur son mariage :

    « Depuis 2015, j’ai subi. Je rentrais à la maison, je ne supportais plus rien et j’étais agressive. Quand on vous appelle grosse vache noire, comment ne pas être mal dans sa peau… »

    Ses proches lui ont conseillé mille fois de quitter cette boîte qui lui minait la santé. Mais Myriam n’a jamais rien voulu entendre. « C’est moi la victime, pourquoi c’est à moi de partir ? », tranche celle qui souhaite désormais porter plainte aux prud’hommes pour licenciement abusif. Elle s’accroche aussi pour l’avenir de ses enfants :

    « Je ne veux pas que demain, ils soient confrontés au même racisme. »

    (1) Le prénom a été modifié.

    (2) [Edit du 31/10/23] : Cet ancien élu a souhaité être anonymisé.

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