En 2018, Pascal (1) est mis à la porte de Total. Une vraie claque pour l’agent technique de sécurité, entré dans la boîte 18 ans plus tôt. D’autant qu’il exerce son job avec sérieux et n’hésite pas à enchaîner les heures supplémentaires. En mai 2018, il demande justement à sa direction le paiement de l’intégralité de ses heures sup’. Il ne le sait pas encore, mais c’est à ce moment que son sort est scellé. Le 28 juin 2018, il est mis à pied à titre conservatoire et est convoqué à un entretien préalable au licenciement, fixé le 10 juillet. Motif invoqué ? Il lui est reproché une sur-déclaration de ses horaires de travail. Et le 17 juillet 2018, il est officiellement viré.
« Mon client devait pointer avec une badgeuse, mais l’entreprise avait sciemment bloqué les badgeuses à 10 heures de travail par jour alors que mon client faisait beaucoup d’heures supplémentaires », détaille Maître Pierre Santi, l’avocat de Pascal :
« Lorsqu’il a demandé une révision de sa rémunération compte tenu de ses heures supplémentaires, ses ennuis avec son ancien employeur ont commencé. »
Cette même année, Total déclarait un bénéfice de 13,6 milliards d’euros. Dépité, le 4 avril 2019, Pascal saisit les prud’hommes pour faire annuler son licenciement. Un peu plus d’un an plus tard, le 30 juin 2020, la juridiction le déboute entièrement. Pire encore, ils retiennent contre lui la « déclaration d’heures supplémentaires fictives et la perception indue de rémunérations ». Il est condamné à « verser à la société Total la somme de 8.092,89 euros au titre des sommes indûment perçues ». C’est une vraie claque pour l’ancien salarié qui fait appel. D’autant que les prud’hommes étaient loin d’être impartiaux…
Un président d’audience ancien de chez Total
Le conseil des prud’hommes n’est pas composé de magistrats professionnels, mais d’élus représentants les salariés d’une part, et les employeurs d’autre part. Et Olivier R., l’homme qui a présidé au jugement dans son affaire a travaillé pour des sociétés du groupe Total pendant 40 ans, et ce jusqu’en 2016. Il a même été directeur des ressources humaines ! Bien que travaillant sur le même site, Pascal n’avait jamais eu affaire à ce cadre et ne le connaissait même pas. C’est par hasard, après le jugement, qu’il va découvrir que l’homme est un ancien du groupe pétrolier.
Une situation qui va finalement faire pencher la justice en faveur de Pascal. Comme l’indiquent les juges d’appel :
« Cette qualité fait naître un doute légitime sur l’impartialité de la formation de jugement et contrevient en conséquence à l’exigence d’impartialité objective. »
Et les juges vont plus loin, ils considèrent qu’Olivier R., l’ancien cadre de Total Energies, a activement favorisé son ancien employeur :
« Le président, ancien salarié occupant un poste de cadre au sein du groupe Total, n’a pas respecté le principe du contradictoire en admettant les écritures de l’employeur le jour même de l’intervention de l’ordonnance de clôture. »
Explications : lorsque quelqu’un souhaite citer son employeur aux prud’hommes, il faut rassembler les éléments dans un mémoire que l’avocat du salarié va envoyer à l’avocat de l’employeur. Ce dernier dispose de trois mois pour répondre et les allers-retours peuvent se poursuivre tant que les deux parties ne se sont pas mises d’accord. Uniquement les juges des prud’hommes peuvent dire stop, et à ce moment-là une audience est programmée.
Dans cette histoire, au moment où le président de la formation de jugement a acté la fin des échanges de conclusions, il a admis des écritures de Total Energies le dernier jour sans permettre au salarié d’y répondre. Cela contrevient à un principe du droit, le respect du contradictoire.
« Je n’ai jamais vu une situation pareille en 24 ans de barreau », s’indigne maître Santi :
« Ce conseiller prud’homal s’était arrangé pour être là à toutes les étapes de la procédure. Il m’a empêché de répondre aux conclusions de l’avocat de l’entreprise. »
En appel, les magistrats vont donner entièrement raison à Pascal. La cour juge en 2022 son licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’entreprise est condamnée à lui verser 51.000 euros de dommages et intérêts à ce titre, 4.000 euros au titre du non-respect des durées maximales de travail et minimales de repos, 8.000 euros au titre de l’obligation de loyauté et 3.600 euros au titre du remboursement de ses frais de justice.
Pascal, contacté par l’intermédiaire de son avocat Pierre Santi, a indiqué avoir « tourné la page et ne [plus souhaiter] revenir sur cette affaire ». StreetPress a sollicité le président, côté employeur, des prud’hommes et sa prédécesseure. Ils n’ont pas donné suite à nos demandes. Olivier R. a quant à lui répondu à Streetpress « ne pas vouloir faire de commentaires ». Contactée, la société TotalEnergies n’a pas retourné nos messages, mais leurs avocats ont indiqué qu’ils ne souhaitaient pas faire de déclaration.
(1) Le prénom a été changé.
Illustration de Une de Nayely Rémusat.
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