La nuit est tombée le 17 novembre 2023 à Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor (22). Quelques bénévoles de l’association La Serre, un lieu autogéré qui vient en aide aux plus démunis, sont encore dans leur local d’un quartier excentré de la ville. Soudain, des hommes cagoulés et équipés d’une barre de fer font irruption dans le bâtiment, cassent une porte et assènent des coups tout en criant chercher « du matos ». Ils terrifient les personnes sur place et repartent bredouilles. Deux victimes sont sous le choc, comme le raconte Le Telegramme, une troisième déclare deux jours d’Incapacité temporaire totale (ITT) après avoir été blessée au bras. Aucune ne s’est portée partie civile avant l’audience.
Un peu plus de six mois ont passé et trois prévenus arrivent au tribunal correctionnel de Saint-Brieuc après leur interpellation en janvier. Deux frères à l’air de famille certain, Noël et Lucas B., 20 et 22 ans, le premier ouvrier agricole, le deuxième au chômage et déjà condamné pour une agression sexuelle. Le dernier, Jérémy M., 28 ans, barbe fournie et carrure imposante, est mécanicien et « monomaniaque des armes » comme cela sera répété pendant l’audience. Un intérêt qui l’anime tant qu’on l’a surpris en janvier, tout juste sorti de contrôle judiciaire, à l’armurerie pour acheter une dague alors que ça lui était interdit. Le doyen du groupe arrive donc de la maison d’arrêt où il a passé quatre mois derrière les barreaux.
Les trois jeunes hommes naviguent dans les milieux d’extrême droite. Noël et Jérémy se seraient rencontrés au Parti national breton (PNB). Banderoles et affiches suprémacistes en tout genre ont également été retrouvées aux domiciles des deux frères. On reproche aux trois prévenus d’avoir commis des violences en réunion et des violences aggravées.
Un milieu de plus en plus constitué
Leur attaque s’inscrit dans un contexte de montée de l’extrême droite radicale et violente en Bretagne. Un mois avant l’intrusion, les bénévoles de La Serre ont retrouvé le local tagué à coup de croix gammées et slogans suprémacistes « white power » ou autre « KKK ». Une vingtaine de personnes cagoulées et armées, liées à des groupuscules d’extrême droite, ont aussi fait irruption lors du Festival pour une Bretagne solidaire en juillet 2023 et agressé des participants, toujours à Saint-Brieuc. L’atmosphère n’a d’ailleurs pas échappé au préfet des Côtes-d’Armor, qui a adressé un courrier au procureur de la République avec de nombreux éléments concernant les prévenus du jour, preuve qu’ils étaient suivis depuis quelque temps par les services de renseignement et que leur acte semblait prémédité.
À la barre, pourtant, ils réfutent : l’idée d’aller à La Serre « s’est faite spontanément » après avoir mangé une crêpe et amené sa femme enceinte à l’hôpital, déclare l’aîné des frères, Lucas. Tous les trois étaient persuadés que le local était un repaire d’antifas — « des partisans d’une idéologie qui nous attaque », selon le cadet Noël, le meneur de l’action visant à détruire banderoles et tracts de ses adversaires, d’après sa version. Il assume d’ailleurs droit dans les yeux de la présidente que « la démocratie est un régime mortifère dans ce pays ». Les thèses suprémacistes imprègnent les propos de la fratrie : « Nous défendons le droit des blancs de vivre », soutient Noël, presque insolent, quand Lucas décrit les antifas comme « le camp opposé ». La présidente lui demande :
« Si vous êtes opposé, vous êtes fasciste ? »
Elle n’obtiendra pas de réponse.
Il n’y a que le troisième protagoniste, Jérémy, qui reconnaisse les violences commises, l’existence d’une barre de fer, et affirme avoir donné un coup de poing lors de l’intrusion à La Serre. Ses aveux, les premiers depuis le début de l’affaire, apportent des détails importants, notamment sur la présence d’une quatrième personne à leurs côtés. La présidente lui demande alors si leur rencontre dans un bar de Saint-Brieuc avant de se rendre dans les locaux de l’association avait pour objectif de créer une section Active club France, sorte de fight-club d’extrême droite qui vise à préparer des militants au combat et a déjà causé plusieurs agressions ailleurs en France. Il affirme sans ciller :
« C’était l’idée. »
Des trois, c’est celui qui semble avoir le plus de regrets, au point de déclarer avoir sympathisé avec ses codétenus antifas depuis son incarcération.
Coupables tous les trois
« On voit que ce sont des faits qui ne sont plus isolés, même dans le département », avertit la procureure au moment de ses réquisitions. La plaidoirie de l’avocate des deux frères, arguant que ce ne sont « que des jeunes » qui viennent « d’une bonne famille », n’aura pas d’effet sur le délibéré, pas plus que celle de l’avocat de Jérémy qui demandait la relaxe de son client.
Les trois sont reconnus coupables de l’ensemble des faits qui leur sont reprochés. Lucas, l’aîné, est condamné à 12 mois d’emprisonnement avec deux ans de sursis probatoire, son cadet Noël à 18 mois d’emprisonnement dont 12 mois de sursis. Quant à Jérémy, sa peine est fixée à 24 mois d’emprisonnement, dont 16 mois de sursis probatoire. Les trois écopent d’une interdiction de porter des armes et de s’approcher de La Serre. Une des victimes s’est par ailleurs constituée partie civile durant l’audience. Les trois militants devront lui verser 900 euros de dommages et intérêts.
L’extrême droite fera son retour à la barre au tribunal de Saint-Brieuc en septembre pour le procès de l’attaque survenue lors du festival Bretagne solidaire. Six hommes seront sur le banc des prévenus.
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