En 2020, Louna (1) intègre à 15 ans le pôle cyclisme féminin d’Île-de-France, une structure qui forme les espoirs franciliennes. Son nouvel entraîneur, Olivier (1), a la vingtaine. Il est souriant et sympathique. « C’est lui qui voulait s’occuper de moi, il était gentil », replace la jeune athlète. L’entraîneur se rend régulièrement chez sa protégée. Au bout de quelques mois à peine, Louna sent toutefois que quelque chose ne tourne pas rond et avertit ses proches : « Il voulait tout savoir : mes amis, mes amours, mes règles, la fréquence de mes rapports sexuels… » La relation entre le prof et son élève se « dégrade » et Louna ne veut « plus le voir sans la présence de [ses] parents ». « Je me demandais s’il n’avait pas des sentiments pour moi. » L’adolescente décrit des appels, des textos qui auraient été envoyés jusque tard dans la nuit. C’est au cours de l’un de ces coups de fil nocturnes que l’entraîneur l’aurait avertie :
« Il m’a dit que si nous étions victimes de viol en Équipe de France, il faudrait garder le silence, sous peine d’être évincées. »
Louna n’est pas la seule à avoir enduré le comportement de l’entraîneur. D’autres « filles étaient mal à l’aise avec lui ». Si elles n’ont pas toutes souhaité rencontrer StreetPress, les SMS qu’elles consentent à échanger abondent dans le sens de l’ado. Ninon (1) lâche que son « cerveau a préféré effacer cette partie de sa vie », tandis que Cassandre (1) « confirme avoir eu quelques soucis avec Olivier », et avoue « ne plus avoir envie d’évoquer le sujet. » Certaines athlètes placées sous la houlette d’Olivier auraient sollicité la psychologue du pôle puis obtenu un arrêt car elles n’auraient plus supporté le comportement et la présence de leur entraîneur. « Ce sont des choses que j’ai envie d’oublier », résume Louna. Au total, sept personnes dans le milieu du cyclisme français évoquent des comportements problématiques d’Olivier. L’entraîneur affirme de son côté n’avoir jamais entendu parler des accusations qui pèsent contre lui et n’avoir rien à déclarer sur le sujet (2).
Une emprise sur les athlètes ?
Lorsque le Comité Île-de-France affecte Olivier au pôle de Châtenay-Malabry, la section féminine n’existe pas encore. « Le pôle féminin, c’est : “son projet”, comme il dit », confie Ludovic (1), qui évolue dans le milieu cycliste. Olivier a commencé à le développer à partir de 2020. Il écume alors les réseaux sociaux à la recherche de perles rares et retient cinq jeunes filles, qu’il encadre personnellement, comme Louna. Rapidement, des rumeurs circulent : « On entend qu’Olivier draguerait les athlètes », se souvient Ludovic. En plus des demandes insistantes du coach à l’ado Louna, il aurait également réclamé des vidéos d’elle « faisant de la muscu ou des exercices de mobilités », au prétexte de vouloir « corriger » ses mouvements. « Je n’étais pas d’accord et le lui faisais savoir », déroule la jeune fille.
Roxanne, coach en formation au Creps, a également été « beaucoup perturbée psychologiquement » par Olivier, selon une attestation de témoin que StreetPress s’est procuré. Les deux ont fait une formation d’un an au Centre de ressources d’expertises et de performances sportives (Creps) entre 2020 et 2021. Lors d’un stage, de jeunes filles mineures lui auraient raconté qu’Olivier échangerait avec elles sur les réseaux sociaux et qu’il se serait rendu devant leurs chambres en pleine nuit pour « discuter ». L’homme lui aurait d’ailleurs également posé « des questions insistantes, intimes », au point que la jeune femme a bloqué son numéro de téléphone, afin qu’il cesse d’entrer en contact avec elle. D’après Roxanne, Olivier profiterait de son statut « pour avoir du pouvoir sur des filles mineures » :
« Ce genre de personne n’a pas sa place pour encadrer des filles. »
L’entraîneur a rapidement gagné du poids au sein du comité cycliste d’Île-de-France. Plusieurs sources s’accordent à dire « qu’il joue un rôle clé dans les sélections en équipe régionale », étape incontournable pour de jeunes athlètes qui espèrent devenir professionnelles. Elles briguent l’entrée aux grandes compétitions, comme la Coupe de France ou les Championnats nationaux, et rêvent de porter le maillot tricolore. Dans son attestation de témoin, Louna écrit :
« Il aime jouer sur le pouvoir que le comité lui a légué pour obtenir ce qu’il veut, notamment que les filles se sentent obligées de lui parler, d’être en bon terme avec lui pour pouvoir obtenir une sélection de sa part. »
La sourde oreille du comité
Environ deux mois après la prise de fonction d’Olivier en septembre 2021, les athlètes qu’il entraîne, comme Louna, commencent à faire remonter leur grief et sollicitent la direction du pôle et du comité. Céline (1), qui préside alors la commission féminine au sein du comité francilien, voit défiler dans son bureau les jeunes filles pour se plaindre de leur entraîneur. Sous pression, le président José Gouère consent à recevoir les athlètes au bout d’une semaine. Lors de la rencontre, elles sont soutenues par certains membres de la section masculine. Pourtant, les semaines suivant la réunion, la situation n’évolue pas. Interloquées, les filles auraient dénoncé son comportement en adressant plusieurs mails à leur direction pour obtenir des explications. « La réunion n’a servi à rien », souffle Louna, amer. Il leur faudra finalement attendre mai 2022 pour que l’entraîneur soit enfin écarté de son poste.
Interrogé par StreetPress, José Gouère confirme avoir retiré à Olivier la responsabilité de la section féminine. Toutefois, il décrit cette décision comme « préventive ». S’il a déplacé Olivier, c’était pour résoudre ce qu’il qualifie de simples « conflits de personnes ». Le président du comité francilien euphémise sur la situation et les accusations : « Ce sont surtout des conflits entre encadrants. Nous l’avons retiré du pôle par précaution, au cas où il y aurait des problèmes avec les athlètes. » Il affirme ne jamais avoir eu en sa possession de témoignages écrits irréfutables, et que la jalousie de certains aurait envenimé la situation.
Céline, la présidente de la commission féminine, aurait elle aussi insisté lors d’une réunion pour évoquer le cas Olivier, et prendre d’éventuelles mesures. D’après elle, le président José Gouère aurait balayé l’initiative d’un revers de la main. Elle constate même que son intervention n’apparaît pas dans le compte-rendu de la réunion – censé garantir la transparence des échanges. Après réclamation, la bévue aurait été corrigée. Interrogé par StreetPress, le secrétaire chargé de noter les réunions convoque « un possible oubli » et nie une omission délibérée. Découragée, Céline a donné sa démission :
« Je me sentais impuissante, rien n’était fait pour régler la situation. »
Depuis, le comité Île-de-France est orphelin de commission féminine.
Des pressions ?
S’il n’encadre plus directement les athlètes du pôle, Olivier reste en poste mais garde des fonctions administratives et continue d’encadrer les athlètes sélectionnés par le comité, lors des championnats de France par exemple.
Preuve de son poids constant, Noé (1), un des athlètes masculins qui a soutenu ses camarades lors de la réunion, affirme qu’Olivier l’aurait « harcelé » après avoir appris qu’il avait témoigné. « Il s’est montré très dur avec moi », soutient le mineur à l’époque, qui parle d’un comportement intimidant et d’exigences excessives, qui n’étaient pas liées à ses performances sportives. L’entraîneur lui aurait bloqué certaines sélections et l’aurait inscrit sur des épreuves qui n’étaient pas sa spécialité. La veille des épreuves du championnat de France sur piste de 2022, Olivier aurait convoqué l’ado tard le soir et l’aurait menacé de le mettre sur la touche car il « n’aurait pas été poli ».
Changement de poste et enquêtes administratives
Olivier reste en poste au sein du comité jusqu’en mai 2022. Trois mois plus tard, les athlètes apprennent qu’il est nommé coordinateur technique régional, un poste à responsabilité au sein de la Fédération française de cyclisme. Désormais employé par le ministère des Sports, il est à l’origine de toutes les directives sportives du cyclisme francilien. « C’est comme s’il avait été récompensé. On dirait qu’il a été couvert par le comité, qui n’a pas été transparent sur ses agissements au pôle », glissent deux cadres du milieu cycliste. Finalement, quelques mois après la nomination d’Olivier, une enquête administrative est diligentée par l’Académie de Versailles. Elle reçoit les différents encadrants et athlètes, puis transmet ses conclusions à une autre instance, la cellule Signal-Sport, chargée d’appréhender et de prévenir les violences et abus dans le sport. Cette dernière confirme auprès de StreetPress que « Olivier a fait l’objet de plusieurs procédures distinctes, dont l’une étant toujours en cours », sans vouloir évoquer ni le motif ni les conclusions.
Le coach semble toutefois avoir été sanctionné et démis de sa carte professionnelle, lui permettant d’entraîner des athlètes, comme l’a confirmé à StreetPress le président du comité Île-de-France José Gouere. La sanction ne l’a toutefois pas empêché d’aller au bout de son contrat avec la FFC, qui courait jusqu’en août 2024. Roxanne, la coach en formation au Creps, avait elle aussi alerté la fédération après sa rencontre avec Olivier. Dans un SMS, elle concède à StreetPress que « le sujet est presque tabou et que les victimes ne sont pas écoutées ou ont peur de parler ».
La FFC s’est pourtant munie d’un plan de prévention et de protection des athlètes, en particulier en matière de harcèlement et de violences sexuelles (3). Elle se vante de s’appuyer sur l’expertise d’associations spécialisées pour accompagner au mieux les victimes. L’ex-présidente de l’association Comité éthique et sport Véronique Lebar avait noué un partenariat avec la fédé. Au bout de quelques mois, consternée par la léthargie de l’institution, elle a jeté l’éponge :
« Les victimes n’ont jamais de retour concernant les enquêtes administratives. Leur site Signal.gouv est inefficace parce que la FFC préfère laver son linge sale en famille. Nous n’étions là que pour faire joli. »
Quant à Olivier, Louna « continue de le croiser régulièrement, parfois même en course », confie-t-elle. Il maintiendrait encore de bonnes relations avec le comité Île-de-France et, selon certaines sources, pourrait se voir proposer un nouveau poste d’ici la fin de l’année. Interrogé sur le sujet, José Gouère a refusé d’y répondre.
(1) Les prénoms ont été modifiés
(2) Contacté à nouveau par mail, ce dernier n’a pas répondu davantage aux questions de StreetPress.
(3) La vice-présidente chargée du plan de féminisation de la FFC n’a pas donné suite aux sollicitations de StreetPress.
Illustration de Une de Timothée Moreau.
Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.
StreetPress, parce qu'il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.
Nous avons besoin de renforcer StreetPress et garantir son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces dons récurrents, nous pouvons nous projeter. C’est la condition pour avoir un impact démultiplié dans les mois à venir.
Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer, anticiper, et nous préparer aux batailles à venir.
Je fais un don mensuel à StreetPress
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER