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    04/02/2025

    L’entreprise fournit les LBD aux forces de l’ordre

    Comment le fabricant d’armes français Verney-Carron a armé, sans faire exprès, des néofascistes chasseurs

    Par Théo Mouraby

    Des néofascistes de la Loire ont été pendant quatre ans ambassadeurs de Verney-Carron, fabricant d’armes français historique. Un partenariat qui permettait de tester des fusils à pompe et semi-automatiques avec leur association de chasse.

    « Très souple au tir, assez rapide au rechargement… Ce que j’aime bien, c’est le frein de bouche : ça réduit énormément le recul. » Face caméra, Guillaume N. et Théo L. montrent leurs carabines. « C’est personnellement mon arme préférée de la gamme pour les battues », vante l’un des deux chasseurs. La séquence est tirée d’une vidéo promotionnelle, publiée en mai 2019, par l’armurier Verney-Carron, établi à Saint-Étienne depuis 1820. L’entreprise française historique est connue pour équiper les forces de l’ordre en Lanceurs de balles de défense (LBD). En 2023, elle a également signé un contrat de 36 millions de dollars pour fournir à l’Ukraine 10.000 fusils d’assaut, 2.000 fusils de précision et 400 lance-grenades, relate Le Point. Apparemment, la société n’a pas armé que des policiers tricolores ou des soldats ukrainiens… mais aussi et malgré elle des chasseurs néofascistes.

    « Nous n’avions jamais chassé avec ce type d’arme »

    Théo L., Guillaume N. et Corentin L. sont trois chasseurs, fondateurs en 2016 d’une page Facebook, « La team chasse du Pilat », du nom du parc régional qui s’étend de l’est de Saint-Étienne (42) au sud du Rhône. Le 31 octobre 2017, ils deviennent ambassadeurs Verney-Carron. L’armurier met à disposition ses armes en échange de leur promotion à leurs 6.000 abonnés Facebook : « Nous avons essayé une gamme de fusils Verney-Carron SA. Fusil à pompe cal.12, fusil semi-automatique cal.12… Une nouveauté pour nous car nous n’avions jamais chassé avec ce type d’arme et le résultat est très satisfaisant ! », écrivent-ils deux jours plus tard après une chasse aux faisans.

    Sauf que Guillaume N., Théo L., et Corentin L. ne partagent pas que leur passion pour la chasse. Les trois hommes sont aussi des adeptes du salut à trois doigts, dit salut de Kühnen, une variante discrète du salut nazi. Le geste fleurit bon nombre de leurs photos, y compris certaines dans lesquelles ils taguent l’entreprise stéphanoise. Une tendance qu’ils ne s’embêtent pas vraiment à dissimuler : la photo de couverture Facebook de Guillaume N. montre un groupe de personnes, fumigènes et drapeaux français ornés de croix celtiques à la main, devant l’église de Saint-Martin-en-Coailleux dans la Loire. Ils tiennent une banderole noire où s’écrit en blanc « St-Martin ». Au détail près que le « S » reprend l’iconographie du symbole « SS » nazi.

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    Devant l’église de Saint-Martin-en-Coailleux dans la Loire. Sur la banderole est écrit « St-Martin ». *Au détail près que le « S » reprend l’iconographie du symbole « SS » nazi. / Crédits : DR

    Dans le Facebook de Guillaume N. se trouve également le logo du Bastion social, posté à la date de la dissolution du groupuscule néofasciste en 2019, une photo sous le drapeau de CasaPound à Rome, le pendant italien du Bastion. Ou des citations de Dominique Venner, figure idéologique de la mouvance. Sur Tiktok, son pseudo reprend le chiffre 88 (utilisé par les néonazis pour évoquer la huitième lettre de l’alphabet, le « H », pour « Heil Hitler ») et la moitié d’une Totenkopf en guise de photo de profil, symbole de la 3e division SS, chargée des camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. Certaines de ses vidéos le montrent aux côtés des identitaires lyonnais des Remparts – resucée de Génération Identitaire et dissous à nouveau cet été par le gouvernement –, à un de leur défilé annuel ou devant la Traboule, le local du groupuscule.

    Ouverture d’un local néofasciste à côté de Lyon

    Mais ce n’est pas tout. Le 29 février 2020, un nouveau groupuscule ouvre un local à Larajasse, dans les monts du Lyonnais, à une quarantaine de minutes de Lyon (69) : Terra Nostra. L’inauguration des lieux fait du bruit et rassemble bon nombre du gratin de la mouvance. Les néofascistes de Lyon populaire, dont le leader Eliot Bertin dirige l’association (« Les délices de Lug ») qui loue le local en question selon Rue89Lyon. Des anciens du Bastion Social, le chanteur néonazi Renaud Mannheim qui a chanté avec Jean-Marie Le Pen avant sa mort et dont StreetPress a récemment parlé, ou encore des militants de l’Alvarium d’Angers (eux aussi dissous, en 2023).

    Au milieu de toute cette faune, une vidéo montre Guillaume N., un t-shirt Terra Nostra tout neuf sur le dos, soupçonné d’être l’un des instigateurs du groupuscule par les antifascistes locaux. L’annonce de l’ouverture du local avait remué la commune de moins de 2.000 âmes. Le matin même, « environ 1.000 personnes » s’étaient rassemblées pour manifester, écrit le quotidien local Le Progrès. Les néofascistes ne pouvaient pas vraiment prévoir que, deux semaines plus tard, ils devraient se confiner, et fermer leur local au mois d’août de la même année.

    Armes gardées, Verney-Carron bien embêté ?

    L’affaire semble logiquement susciter une certaine gêne chez l’armurier français. Au point que le président du conseil de surveillance de l’entreprise familiale Jean Verney-Carron réponde directement à StreetPress et confirme que « le groupe de chasseurs Team Chasse du Pilat ne fait plus partie de [ses] ambassadeurs, depuis trois ans ». Soit fin 2021. L’entreprise explique ce partenariat « parce qu’ils étaient géographiquement proches de nos locaux, ce qui facilitait la logistique pour le prêt d’armes ». Le prez’ Jean Verney-Carron assure ne pas avoir eu connaissance « des opinions politiques » ou « des affiliations idéologiques » de ses ex-ambassadeurs. Leur « critères de choix » se limitant à la détention d’un « permis de chasse valide et sa validation annuelle ». Il ajoute avoir mis fin à la collaboration car les chasseurs d’extrême droite du Pilat « n’affichaient pas toujours, dans leurs publications promouvant nos armes, une attitude conforme aux principes et valeurs que nous défendons en matière de chasse », sans préciser à quels comportements il fait référence.

    Reste la question des armes. La marque a-t-elle récupéré toutes les pétoires testées par les néofascistes ? « Les ambassadeurs bénéficiaient de la possibilité d’acquérir gratuitement une arme après trois ans de collaboration. Il leur était également possible d’acquérir certaines armes prêtées à titre onéreux, si elles avaient été utilisées durant leur partenariat », répond Jean Verney-Carron. Certaines semblent encore dans les mains des larrons : en décembre 2024, Guillaume N. s’affichait en photo encore en possession d’une carabine Verney-Carron.

    Guillaume N. a refusé de répondre à StreetPress. Pas plus que Théo L. et Corentin L., qui n’ont pas donné suite.

    Illustration de Une de Timothée Moreau.

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