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    28/01/2025

    « On a beau faire des choses bien pour la société, c’est toujours le capital qui gagne »

    Comment une start-up écolo a fait faillite à cause de McDonald’s et l’État français

    Par Lina Rhrissi

    La boîte française Pyxo a fait le pari de l’écologie et du marché de la vaisselle réutilisable pour les restaurateurs, profitant d’une loi anti-gaspi de 2020. Leur plus gros client : McDonald’s. Mais tout capote quand l’État n’applique pas sa loi.

    Des frites, quelques potatoes et deux verres de soda dans des couverts design. « Observez autour de vous : en France, les changements sont à l’œuvre pour faire évoluer nos modes de consommation et réduire nos déchets. On pousse pour le faire au niveau mondial. Changeons la donne ! », clame Emmanuel Macron, le 20 novembre 2020, sur Twitter – l’ancien nom de X. Le président partage une photo de la nouvelle vaisselle McDonald’s prise par un étranger dans un établissement parisien. Il est fier de sa loi anti-gaspi, qui doit mettre fin aux couverts à usage unique. Trois ans plus tard, il suffit de pousser la porte du « M » jaune, ou de n’importe quelle autre chaîne de fast-food, pour réaliser que les emballages jetables sont très loin d’avoir disparus.

    « Je n’ai pas de regrets, on a fait ce qu’on pouvait à notre niveau. Ce que je regrette, c’est qu’aujourd’hui encore, la loi est valable mais n’est pas respectée », lâche Benjamin Péri, cofondateur de Pyxo. La start-up française a payé les pots cassés de cette révolution manquée. C’est elle qui devait aider le géant américain à faire sa transition complète vers les contenants réutilisables. Las, les ambitions de la loi qui devait faire de la France une pionnière ont été torpillées par l’État, McDonald’s, ses lobbies et la Commission européenne. Selon un rapport parlementaire, seulement 0,3 % des emballages ont été réutilisés en 2023, bien loin de l’objectif de 5 % inscrit dans la loi. En 2024, Pyxo a dû être placé en redressement judiciaire. « McDonald’s France et ses franchisés respectent toutes leurs obligations légales », répond la firme américaine à StreetPress. Contacté, le ministère de la Transition écologique n’a pas souhaité nous répondre.

    Quand la « start-up nation » veut aider la planète

    Retour en arrière. Juillet 2017 : Emmanuel Macron vient d’être élu pour un premier mandat. Le président pro start-up veut marquer son époque : il lance un « plan climat » ambitieux censé permettre à la France d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, afin d’inspirer l’Europe et le monde. Son slogan ? « Make Our Planet Great Again. » De quoi motiver toute une génération de jeunes entrepreneurs avides de mettre leurs compétences au service de l’environnement. À cette époque-là, Benjamin Péri travaille dans l’intelligence artificielle à BNP Paribas. Mais l’ingénieur de formation rêve de sens. Avec un ancien camarade de promo, ancien consultant chez McKinsey, ils décident de créer en 2018 une entreprise dans le zéro-déchet : Pyxo – du latin pyxi, qui signifie « petit contenant ».

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    C'est l'histoire du fail de la vaisselle réutilisable chez McDo. / Crédits : Yann Bastard

    La start-up teste plusieurs solutions pour remettre la consigne au goût du jour. Elle collabore avec des restaurants dans des quartiers de bureaux ou avec le groupe de restauration collective Sodexo dans des entreprises. Leur innovation est un système de suivi des contenants grâce à une puce qui permet de gérer les stocks. « C’était une start-up avec une vraie mission, du concret et pas des réunions », raconte Julia (1), 27 ans, qui a rejoint la boîte pour une alternance avant d’être embauchée en tant que directrice d’un service. Même son de cloche pour Laurent, 27 ans aussi, qui cherchait une « entreprise à impact » après la fac. « Le projet n’était pas facile. », admet l’ex-salarié chez Pyxo.

    « Les consommateurs ont l’habitude de prendre et de jeter donc il y avait ce gros challenge de changer les mentalités. »

    « Mais on avait de belles perspectives, notamment avec la loi qui tournait en notre faveur, donc on se disait qu’on allait y arriver. » En janvier 2020, la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) est votée. La législation prévoit l’interdiction des emballages à usage unique pour la restauration sur place au 1er janvier 2023. Les « Pyxers », surnom des employés, sont gonflés à bloc : ils savent qu’ils ont un rôle clé à jouer.

    McDonald’s veut être le bon élève

    Quelques mois plus tard, un jour de septembre, Benjamin Péri et son associé reçoivent un appel inattendu. Au bout du fil : McDonald’s. « À ce moment-là, ils veulent prendre le leadership sur le sujet », rembobine le start-upper. Forte de ses deux millions de repas servis par jour en France, la multinationale choisit Pyxo pour se mettre au diapason de la législation d’ici 2023. Si la mission commence par du conseil, les Américains voient grand et s’imaginent étendre la vaisselle réutilisable aux ventes à emporter et à la livraison à domicile. Bingo : Pyxo lève sept millions d’euros en novembre 2021 et fait les gros titres des médias de la tech. C’est une véritable success story dans le monde des start-ups à impact. Elles reçoivent rarement de tels montants de la part d’investisseurs en quête de rentabilité. L’entreprise recrute en masse et passe de trois à quarante salariés en six mois.

    À LIRE AUSSI : Sexisme, grossophobie et harcèlement, 78 employés de McDonald’s brisent l’omerta

    Très vite, quelque chose bloque. Les « franchisés » font remonter qu’ils sont mécontents. La plupart des restaurants McDonald’s appartiennent à ces patrons indépendants tenus d’appliquer la charte de l’entreprise, d’acheter ses produits et d’être rentables. La vaisselle réutilisable leur coûte cher. L’effort « financier, logistique et opérationnel » a été « considérable » assure McDonald’s France à StreetPress. Pourtant, les franchisés ne voient pas KFC ou Quick appliquer la loi AGEC. Le risque pour McDonald’s est que certains passent à la concurrence. Le siège panique. Il faut dire que les restaurateurs n’ont aucune raison de s’y mettre : deux ans après le vote, aucune sanction d’envergure n’est tombée. Ce qui provoque un non-sens, selon Benjamin Péri. « Le réemploi, ça ne sert à rien s’il n’y a qu’un acteur qui s’en empare. »

    « Le but du jeu, c’est de générer une réelle transformation des usages des consommateurs. S’il n’y a qu’une chaîne de restaurant qui leur impose, ils ne vont pas prendre l’habitude ! »

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    « On a beau faire des choses bien pour la société, c’est toujours le capital qui gagne », se désole Julia, une ancienne salariée de Pyxo. / Crédits : Yann Bastard

    Du « greenwashing » au ministère de l’Écologie ?

    Sentant le vent tourner, Pyxo s’associe avec le cabinet d’affaires publiques Écolobby pour secouer le cocotier. Les start-upers contactent des ONG et publient des tribunes. Ils enchaînent aussi les rendez-vous avec des politiques. Le ministre de la Transition écologique est alors Christophe Béchu, du parti Les Républicains (LR). « Le gouvernement s’est rendu compte grâce à nous que les entreprises n’étaient pas prêtes », se remémore Benjamin Péri, désarçonné par la naïveté de certains membres du ministère :

    « J’ai eu une discussion lunaire avec une proche du cabinet de Christophe Béchu qui m’a dit : “De toute façon, il y a une loi. Toutes les entreprises doivent déjà être d’équerre !” J’ai dû lui expliquer que s’il n’y pas de sanctions derrière, les lois environnementales ne sont pas respectées… »

    Le gouvernement organise aussi des réunions avec les acteurs de la restauration pour qu’ils s’engagent à respecter la loi avec un délai supplémentaire. En réalité, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l’organisme chargé d’appliquer la loi AGEC, ne bénéficie d’aucun moyens supplémentaires pour contrôler les restaurateurs. Benjamin Péri analyse :

    « Tant qu’il n’y a pas une volonté politique d’aller au-delà de l’annonce grandiloquente, avec tout ce que ça comprend en termes d’organisation et d’allocation de budget, ça coince forcément. »

    Au Parlement européen, McDo retourne sa veste

    En novembre 2022, la Commission européenne propose la réglementation PPWR (pour « packaging and packaging waste regulation »), largement inspirée de la loi AGEC. Celle-ci doit être votée au Parlement européen en 2023. Refroidie par son expérience française, la reine du Big Mac s’engage à fond… contre la loi européenne pour la fin des couverts à usage unique !

    Avec des acteurs de la restauration rapide et ceux des emballages en carton et papier, McDonald’s monte l’une des plus grosses opérations de lobbying de l’histoire de l’Union européenne. Pendant un an, les lobbyistes s’emploient à vider la réglementation de sa substance, comme l’explique Contexte dans un article fouillé. Les consultants multiplient les réunions avec les députés européens, produisent des contre-études, placardent le métro bruxellois d’affiches… Mission accomplie : en novembre 2023, la loi PPWR est votée avec un amendement qui supprime carrément l’interdiction des emballages à usage unique.

    « Comme il s’agit d’un règlement européen, il s’impose au niveau national. Du coup, si McDo décide de revenir aux emballages à usage unique en France, ce ne sera plus la loi AGEC qui va la contraindre », juge Jordan Allouche. Pour le fondateur d’Écolobby, qui a fait du lobbying avec Pyxo :

    « Ça a été une très grande désillusion parce qu’on a déployé une énorme énergie pour l’application de la loi AGEC. Mais les lobbies ont bien plus de moyens que nous. »

    À LIRE AUSSI : À Bruxelles, le RN soutient les lobbies industriels

    En mai dernier, un rapport parlementaire. tire un bilan sévère de la loi AGEC. Pour les députés :

    « Plusieurs dispositions de la loi sont peu appliquées, voire pas du tout appliquées, ne font pas l’objet de mesures de suivi ou de contrôle, ou se heurtent à divers blocages, que ce soit à l’échelle locale, nationale ou européenne. »

    La fin de l’aventure

    McDonald’s a vite compris qu’investir dans le réemploi pour la vente à emporter et la livraison à domicile lui ferait perdre trop d’argent par rapport à ses concurrents. En avril 2022, la filiale française de McDo revoit drastiquement à la baisse les ambitions de sa collaboration avec Pyxo, qui se réduisent à du conseil. La start-up perd son plus gros client. Elle est écrasée par les trois millions d’euros de dettes qui devaient financer le déploiement dans 1.500 établissements. McDonald’s France confirme avoir confié « différentes missions d’accompagnement » à Pyxo, qui ont pris fin définitivement en 2023. Benjamin Péri détaille :

    « De manière générale, tout le secteur du réemploi a pâti de cette histoire. »

    Les boss doivent se résoudre à faire un plan de licenciement économique. Une quinzaine de salariés sont remerciés à la fin de l’année 2023. Puis, c’est le redressement judiciaire. Les « Pyxers » ne sont plus que six et, en avril 2024, Pyxo est rachetée. « C’était hyper violent, ça met un coup à l’estime de soi », admet le cofondateur. Le trentenaire se dit révolté par « les lois environnementales qui ne sont là que pour faire des coups politiques ». « Les enjeux écologiques ne sont pas la priorité des gouvernements des pays occidentaux qui ont surtout peur des puissances financières », abonde l’activiste Jordan Allouche. Laurent, l’ancien employé de Pyxo, se souvient avoir réalisé petit à petit que le projet auquel il croyait tombait à l’eau :

    « C’était triste parce qu’on était une équipe soudée qui avait la volonté de changer les choses. Je trouve ça dommage qu’on mette un coup de poignard à des start-ups innovantes et d’utilité publique. »

    Le vingtenaire cherche un nouveau boulot, mais fini pour lui de chercher un impact dans son travail : « Ça m’a démotivé, ça ne sert à rien. » Son ancienne collègue, Julia, veut toujours travailler dans le domaine de l’environnement, mais voit les choses de façon plus pragmatique. « J’ai l’impression qu’il faut faire un produit qui rapporte de l’argent à nos clients », déroule cette végétarienne engagée. « Si c’est juste pour la planète, je n’ai plus espoir que ça puisse fonctionner. Ni que les lois environnementales puissent nous aider. » La jeune femme a vécu la fin de Pyxo comme une injustice :

    « On a beau faire des choses bien pour la société, c’est toujours le capital qui gagne. »

    (1) Le prénom a été modifié.

    Illustrations de Yann Bastard.

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