« On veut faire de la politique autrement et influencer les partis », déroule la co-fondatrice en 2024 du mouvement des Voies, Amandine Rogeon. Son objectif est de pousser des réformes sans intégrer un parti politique. « Les étiquettes appartiennent au vieux langage partisan », dit-elle. Son collectif se définit comme un « mouvement citoyen » et regroupe une soixantaine de membres à ce jour. Ils travaillent sur des sujets qu’ils qualifient de « progressistes » comme la santé, l’écologie ou l’innovation démocratique, puis portent des propositions concrètes aux maires, présidents de département, députés, ex-ministres ou non. Tous les bords politiques sont abordés, du moment qu’ils font partie de « l’arc républicain » — comprendre sans le Rassemblement national et La France insoumise.
Sur le papier, la démarche s’apparente à un mouvement « classique » dont la ligne semble osciller entre le centre droit et la social-démocratie. À un détail près : le CV des différents membres du bureau. Ils occupent pour l’essentiel des postes importants au sein de grandes entreprises ou géants du numérique comme Amazon, Google, Samsung, Capgemini ou la Société Générale…
À LIRE AUSSI (en 2024) : Philippe Latombe, député macroniste et VRP de la surveillance
Une information facilement repérable sur LinkedIn qui n’apparaît pas dans la rubrique « Qui sommes-nous ? » sur le site de l’association, car tout ça n’aurait rien à voir. Après avoir défendu les intérêts des multinationales, souvent ultra-polluantes et adeptes de l’optimisation fiscale la journée, les membres changeraient de casquette pour encourager le vote des sujets environnementaux et sociaux sur leur temps personnel. « Ces travaux ne sont dictés par aucun intérêt privé », assure Amandine Rogeon. Promis, juré…
Une asso dirigée par des lobbyistes
C’est guère évident devant les CV des différents membres du bureau des Voies. La vice-présidente du collectif, Claire Scharwatt, est présentée comme étant « à l’intersection des sujets d’innovation technologique et d’impact social et environnemental ». Elle publie sur le site au début de l’été une newsletter dans laquelle elle aborde notamment les « bouleversements climatiques en cours ». Une écologiste à priori convaincue qui occupe ses journées en tant que « directrice des affaires publiques » — une qualification pudique du métier de lobbyiste chez Amazon France.
Étant dans le top cinq des plus grandes entreprises mondiales, la multinationale américaine est aussi l’une des plus polluantes de la planète. Quatre membres des Voies font partie du bureau de l’Alliance française des industries du numérique (AFNUM). Créée en 2015, cette organisation a pour but de défendre les intérêts de ses adhérents : des grandes entreprises comme Apple, Google ou encore Samsung. En 2023, l’AFNUM s’était positionnée contre la mise en place d’un indice de durabilité des smartphones au niveau européen. Parmi ces membres, la responsable des affaires publiques et du développement durable chez Google France, Floriane Fay, qui hérite du titre de directrice exécutive environnement chez les Voies. Entre 2019 et 2023, l’entreprise américaine a notamment augmenté de 48 % ses émissions de CO2. Un drôle de choix…
Sens du bien commun toujours : le directeur exécutif emploi et éducation des Voies, Antoine Glasser, travaille pour la Société Générale — une compagnie, qui selon une étude publiée en septembre 2024 de l’association 60 Millions de consommateurs, est en haut du podium des banques qui « ont les pratiques les plus critiquables » sur « le social, la transparence et l’environnement ».
Les deux fondatrices du mouvement, Amandine Rogeon et Alexandra Laffitte, sont respectivement « directrice des affaires gouvernementales et de la diplomatie économique » chez Samsung et « directrice des affaires publiques » chez Lenovo. Interrogée sur le lien que les membres du bureau entretiennent avec ces grandes boîtes, Amandine Rogeon assure ne jamais parler au nom des employeurs. Son engagement au sein des Voies serait « strictement citoyen », assure-t-elle.
Influencer les politiques
Pour qualifier sa ligne, le collectif martèle le mot « progressiste » et annonce vouloir « apporter un souffle idéologique et programmatique novateur à la scène politique française et européenne ». Les membres publient sur le site de l’association des rapports et des notes de réflexion sur les inégalités scolaires, les congés de naissance ou encore le droit à l’avortement. Mais aussi des tribunes ou des interviews de personnalités comme Olga Givernet (députée Renaissance), Anne Lauvergeon (ancienne présidente d’Areva) ou encore Nicolas Bordas — vice-président international de TBWA Worldwide, un des dix premiers réseaux mondiaux publicitaires. Au total, une trentaine de textes assez courts censés incarner leurs idées.
À LIRE AUSSI (en 2024) : À Bruxelles, le RN soutient les lobbies industriels
Le collectif démarche et rencontre des politiques de partis « républicains » (comprendre pas « les extrêmes »). Du Parti communiste français ou Europe Écologie les Verts jusqu’à Horizons ou La France humaniste — parti de l’ancien Premier ministre, Dominique de Villepin. Comme Aurore Bergé, ancienne ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, qui aurait été contactée sur la question des congés maternités ou paternités. Du côté des politiques, le sujet semble gêner : aucune suite n’a été donnée à nos questions.
Illustration de Une par Caroline Varon.
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER

