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    03/01/2024

    Les lobbyistes l’adorent

    Philippe Latombe, député macroniste et VRP de la surveillance

    Par Clément Pouré

    Élu MoDem depuis 2017, Philippe Latombe est devenu un spécialiste des questions technologiques à l'Assemblée nationale. Mais sa proximité avec les lobbies de la surveillance, avec qui il fait des bouffes ou soirées mondaines, est fortement critiquée.

    Il est 20 heures ce 27 juin 2023. Après quelques verres, la soirée commence vraiment. Le musée des Arts forains, dans le 12e arrondissement parisien, accueille ce soir un public particulier : près de 300 participants aux « Nuits de l’AN2V », l’association nationale de la vidéosurveillance. Un « think-tank », dixit son président et fondateur Dominique Legrand, à mi-chemin entre le lobby et un club de rencontre entre entrepreneurs du secteur qui se réunit tous les deux ans. « À chaque fois, j’essaie d’avoir un trio avec un intellectuel qui donne de la hauteur, une pépite qui innove et un député qui a les mains dans la colle », précise Dominique Legrand. Dans le rôle du besogneux cette année : Philippe Latombe, député MoDem de la première circonscription de Vendée. Le membre de la majorité, très investi sur les dossiers en lien avec le numérique depuis son premier mandat en 2017, est venu présenter son récent rapport d’information « sur les enjeux de l’utilisation d’images de sécurité dans le domaine public dans une finalité de lutte contre l’insécurité ».

    Devant l’assemblée, il tient à « rassurer » les invités, qui ont payé 180 euros pour participer à cette petite sauterie, sur l’utilisation prochaine de la vidéosurveillance automatisée et de la reconnaissance faciale. « L’ensemble des sujets commence à infuser partout. Et pas que simplement dans la sphère politique avec le Sénat et l’Assemblée », indique-t-il, selon la Quadrature du net, principale association de défense des libertés numériques en ligne en France, qui a assisté au discours. L’élu MoDem continue :

    « Je sens que les élus sur l’ensemble du territoire sont conscients des évolutions technologiques et qu’ils ne peuvent pas rester à l’écart. La vraie question ensuite est de savoir comment on fait la bascule. »

    Un discours aligné sur celui de l’ensemble des lobbies du secteur. Mais guère étonnant pour celui qui s’est imposé dans la majorité comme le VRP de l’industrie de la surveillance. Problématique quand on est également membre de la Cnil, le gendarme français des libertés individuelles numériques. Si l’on reconnaît sur tous les sièges du Palais Bourbon son profil de bosseur, le député Latombe est aussi critiqué pour son absence de colonne vertébrale idéologique et son amour du coup de com’. L’un l’amène à être le premier élu de la coalition gouvernementale à signer un amendement aux côtés de l’extrême droite pour prioriser les entreprises européennes de vidéosurveillance. L’autre à lancer quelques fake news. Un acteur du secteur le résume :

    « Il n’est pas dogmatique même s’il a ses dadas et une vision un peu franchouillarde de la souveraineté numérique. »

    VRP de la surveillance ?

    Reste que les entreprises du secteur et leurs représentants d’intérêts ne tarissent pas d’éloges sur le parlementaire. « C’est une personnalité qui compte dans le milieu du numérique », pointe François Mattens, vice-président aux affaires publiques et aux partenariats stratégiques de XXII, une des figures de proue de l’analyse algorithmique d’image en France, qui décrit « un besogneux, qui connaît très bien les sujets, qui n’a pas de problème à parler avec tout le monde ». Des éloges qui s’expliquent, aussi, par la proximité entre le député et William Eldin, le fondateur de l’entreprise XXII, avec qui il a pris l’habitude d’échanger. Ce dernier précise :

    « J’ai été auditionné à l’Assemblée en vue des lois sur l’intelligence artificielle et j’ai fait quelques restos avec lui pour lui expliquer notre technologie. »

    Lors des « Nuits de l’AN2V », les participants et Philippe Latombe ont « fait un jeu ». Les lobbyistes ont « noté les différentes propositions » du rapport de Philippe Latombe sur la vidéosurveillance « intelligente ». « Il y avait tellement de propositions pertinentes, c’était dur de trouver quelque chose à redire », s’extasie Dominique Legrand.

    L’élu aurait-il passé trop de temps dans les salons du numérique et au chevet des vendeurs d’outils de surveillance ? Un de ses collègues député de la majorité nuance : « Les gens voient Philippe comme un méchant, mais c’est un peu plus compliqué que ça. C’est un libéral, pro-industrie, mais aussi pro régulation parce que souverainiste, qui pense qu’il faut produire les technologies en France pour les encadrer. Les industriels n’ont pas besoin de le convaincre parce qu’ils partagent la même vision de la sécurité et de la technologie. Mais il sait aussi être en défense sur des sujets quand il s’agit des libertés publiques et à une méthode coup-de-poing qui le rend sympathique. »

    Un crédit épuisé

    Philippe Latombe a un temps été dans les bonnes grâces des associations de défense des libertés publiques. L’élu s’est d’abord illustré par son opposition à la loi Sécurité globale en 2020 – la réforme gouvernementale prévoyait notamment de pénaliser la diffusion d’images des policiers et avait provoqué de nombreuses manifestations. « J’ai pointé ce qui me semblait anticonstitutionnel. Le Conseil d’État m’a donné raison. Ça m’a donné du poids au sein du groupe sur ces sujets-là », analyse-t-il aujourd’hui. L’élu de la majorité est d’abord vu comme un libéral raisonnable, capable de taper du poing sur la table si les choses vont trop loin. Latombe est omniprésent dans les milieux du numérique et un des rares parlementaires à maîtriser le sujet. Dernier exemple en date ? En septembre, l’élu Modem déposait un recours devant le tribunal de l’Union européenne pour contester la validité du Data Privacy Framework, un texte encadrant les échanges de données entre l’Europe et les États-Unis, contraire, selon le parlementaire, au RGPD et à la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

    Mais son crédit s’est épuisé. Le 5 septembre, la Quadrature du Net écrit à la Cnil dont l’élu est membre au titre de son rôle de parlementaire. L’association pointe :

    « Les relations que Philippe Latombe entretient avec le secteur de la vidéosurveillance semblent donc se heurter aux modalités d’exercice d’un mandat de membre de la Cnil. »

    L’association liste ses griefs. Outre le fait de se prononcer en faveur de l’extension de la vidéosurveillance comme lors des « Nuits de l’AN2V », il est accusé d’avoir prévenu les membres de ce lobby de la surveillance de la publication de décrets du projet de loi sur les Jeux olympiques, adopté en avril 2023. Des infractions au devoir d’indépendance du parlementaire, soulève la Quadrature. Le 27 septembre, la Cnil a répondu à l’association, dans un courrier que StreetPress a pu consulter. Si l’institution reconnaît « des propos inappropriés » de la part du député, elle estime surtout que les faits pointés par la Quadrature ne constituent pas une atteinte au code déontologique de la Cnil. « Je ne suis pas représentant de l’industrie de la surveillance. Je pense juste que nous ne pouvons pas nous passer de cette technologie qui, de toute façon, va arriver. Soit on décide d’avancer, de fixer un cadre. Soit on se fait déborder », balaye Philippe Latombe au téléphone. Le parlementaire continue :

    « Les caméras sont déjà là. On ne va pas les enlever. La vidéoprotection intelligente arrive déjà dans les entreprises. La biométrie existe déjà. Dans le contexte d’insécurité, les concitoyens ne supporteraient pas. »

    Et tant pis si une étude de 2021 a montré que seulement 3% des affaires étaient résolues par la vidéosurveillance.

    De Chirac à l’Assemblée

    Lorsqu’il arrive à l’Assemblée en 2017, rien ne semble pourtant prédestiner le parlementaire à s’emparer du sujet du numérique. Né à Paris, longtemps basé à Nantes (44), il fait à l’époque partie de la longue liste d’inconnus élus en surfant sur la vague macroniste. « J’ai fait campagne pour Chirac en 1995 quand j’étais étudiant. J’ai abandonné parce qu’il fallait bosser », se souvient le député Modem. Après un passage chez Deloitte, premier cabinet d’audit mondial, il entame une carrière au Crédit agricole. Recruté par un militant syndical – « une des premières personnes que j’ai rencontré dans la boîte » –, il rejoint la CFE-CGC, le syndicat des cadres et devient vite délégué du personnel. « C’est là que je me suis formé au militantisme, que j’ai appris à négocier, que j’ai appris comment ça fonctionnait », confie-t-il.

    En parallèle, il enseigne à l’université et s’engage à Nantes, lors des élections municipales de 2014, sur une liste divers droite menée par Sophie Van Goethem. Rebelote en 2015, ou il est candidat aux régionales avec la même équipe mais qui s’affiche sous la liquette du parti d’extrême droite Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan. Logique pour un souverainiste libéral ? Lui affirme : « Cela devait être une liste divers droite. On s’est fâché, je n’ai pas fait campagne ». Contactée, Sophie Van Goethem ne souhaite pas parler de Philippe Latombe « car nous n’avons plus de contacts ». L’élue nantaise précise tout de même qu’elle et lui n’ont « pas été adhérent » du parti de Nicolas Dupont-Aignan. C’est aussi à cette époque qu’il rencontre Sarah El Haïry, aujourd’hui secrétaire d’État chargée de la Biodiversité, qui le convint d’intégrer le Modem.

    À l’Assemblée, le parlementaire s’illustre d’abord en déposant un projet de loi sur la garde alternée. Le parlementaire souhaite que cette dernière soit la priorité pour placer la garde lors de la séparation des parents – aujourd’hui, c’est la résidence chez l’un ou l’autre qui est d’abord examinée par le juge. Un sujet important pour ce père divorcé, qui s’avère être une vieille revendication des mouvements masculinistes. De nombreuses associations féministes montent au créneau. Encore une fois, sa proximité avec un lobby lui est reprochée. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes demande à l’époque le « retrait immédiat » de ce texte, « inspiré des mouvements masculinistes sous couvert d’égalité ». « Ça tanne le cuir », commente Philippe Latombe, qui se prononce toujours en faveur d’une telle réforme.

    En 2018, l’Assemblée nationale doit retranscrire dans la loi française le Règlement général sur la protection des données (RGPD) adopté en 2016 au niveau européen. « Le sujet arrive. Il fallait que quelqu’un s’en occupe, j’avais envie de me la coller. C’était super intéressant, une autonomie complète, on se retrouvait le soir en séance avec les députés de toutes les orientations pour avancer sur le texte », se souvient Philippe Latombe.

    Prêt à signer un amendement sur la surveillance avec le RN

    « Il a une démarche iconoclaste, audacieuse, avec du panache. Ça lui apporte du crédit et de la reconnaissance dans l’écosystème mais on ne peut pas le taxer de faire l’électoralisme. Le numérique, ce n’est clairement pas ça qui fait des voix, en Vendée comme ailleurs », loue Jean-Michel Miss, parlementaire entre 2017 et 2022 – comme Philippe Latombe, membre de la majorité et identifié sur les sujets du numérique. Le député de l’Ouest soigne donc son style un peu rentre-dedans. Aux communiqués de presse offensifs s’ajoutent parfois des procédures judiciaires, à l’instar de la plainte déposée à la Cnil en 2022 contre le projet de Cloud de Confiance de Google et Thales. « Taper fort, ça permet de faire avancer le dossier », synthétise celui qui se rêve aujourd’hui candidat « à une place éligible » aux prochaines européennes.

    Cet amour du coup de com’, mêlé à sa porosité aux lobbies, l’a amené à être le premier député de la majorité à signer un amendement au côté de l’extrême droite. C’était en mars 2023, lors des débats autour du projet de loi relatif aux jeux olympiques et Paralympiques de 2024. Philippe Latombe cosigne alors un amendement avec deux élus du Rassemblement national qui souhaite prioriser le recours à des entreprises européennes pour utiliser des images de vidéosurveillance avec des algorithmes – une méthode très contestée. « Je l’assume, ce n’est pas un souci », a balayé l’élu devant les entrepreneurs lors des « Nuits de l’AN2V ». Philippe Latombe avait déjà été tancé lorsqu’il avait dénoncé en 2021 une prière de rue musulmane qui aurait eu lieu dans sa circonscription. L’info est reprise dans toute la fachosphère et se révèle fausse. Un parlementaire qui se définit à « l’aile gauche » de la Macronie tacle son collègue fan des caméras :

    « C’est le problème quand on n’a pas de colonne vertébrale idéologique. On se retrouve à reprendre les positions des masculinistes, à balancer les musulmans comme l’extrême droite aime à le faire puis à cosigner des amendements avec des frontistes. »

    Illustration de Une par Caroline Varon.

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