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    15/04/2011

    Le 18 avril, le Zimbabwe et Mugabe fêtent l'indépendance

    Enfants-soldats, majorettes et esquimaux à 1$: Bienvenue à Harare pour la fête nationale

    Par Eugénie Baccot

    Il y a un an le Zimbabwe fêtait les 30 ans de son indépendance. Eugénie Baccot a assisté à ces célébrations « nord-coréennes » dans le stade de Harare à la gloire de Mugabe et « sa moustache brosse à dent ».

    Ce matin du 18 avril 2010 les habitants de la capitale zimbabwéenne semblent tous suivre la route qui avance vers le lieu de célébration des 30 ans d’indépendance du pays. Ce stade est le plus grand de la capitale, certains diront qu’il a été construit « par les Chinois », d’autres par les Coréens. Le bâtiment circulaire ressemble un peu au stade de France ou alors au « Nid », symbole des Jeux Olympiques de Pékin. Cette année la municipalité a mis en place un système de transport public, alors tous les habitants peuvent se rendre au stade gratuitement.

    Grand aigle zimbabwéen Les Zimbabwéens sont nombreux à attendre ce jour avec impatience et comme bon nombre de citadins, Mary fera le déplacement mais, seulement « après la messe ». Grace quant à elle ne célèbre plus le jubilé depuis longtemps, parce que « cela fait 30 ans que c’est la même histoire ! ». Les routes sont calmes ce matin mais un embouteillage attend l’automobiliste à l’entrée du site où les bus libèrent leur flot de passagers. La foule s’engouffre sans plus attendre dans le monument en forme de soucoupe volante. Le public est hétéroclite, familles, groupes d’adolescents ou amis, tout le monde se retrouve dans la joie et l’excitation. La fouille est succincte, les vêtements tâtés à la recherche d’un quelconque objet suspect. Sur le sol s’entassent des bouteilles en verre et quelques décapsuleurs. Une imposante statue du grand aigle zimbabwéen, symbole de la nation, se dresse à l’entrée du bâtiment. L’esplanade parsemée de cocotiers a des airs de foire populaire en ce dimanche. Des nuages de fumée émanant des barbecues et de la musique entrainante envahissent l’air. Même si il semble difficile de distinguer un militaire en service d’un quidam vêtu d’un costume patriotique, la présence policière se fait sentir. Les visiteurs sont orientés d’une porte à l’autre, au fur et à mesure que les quelques 60.000 places se remplissent. Des agents de sécurité montent alors la garde pour bloquer l’entrée.

    C’est où Harare ?


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    Cela fait 30 ans que c’est la même histoire !

    Pyongyang La scène qui se présente aux yeux du spectateur offre une vision nord-coréenne. Le stade est presque plein et des milliers de petites têtes bougent au loin. Armes à la main, des rangs de militaires sont dressés sur une pelouse plus ou moins verdoyante. Le pavillon officiel accueille Robert Mugabe, le président à la tête de l’État depuis son arrivée au pouvoir en 1980.

    Les discours ont déjà commencé et le flot de logorrhée est incessant, il n’y a pas une minute de silence. De loin il est impossible d’apercevoir les pontes du gouvernement alors un écran géant permet de suivre la cérémonie. Même en ce jour historique pour le pays, rares sont les auditeurs attentifs aux propos des intervenants. Dans les gradins on ne parle pas de politique ; pas une once de désaccord ni un quelconque signe de mécontentement n’émane des masses. La célébration de l’indépendance est une rencontre bien plus sociale que politique, une occasion rêvée pour une sortie familiale. Les marchands d’esquimaux vendus US$ 1 sont nombreux, ils sautent les barrières,  paniers en bandoulière et se faufilent dans l’assistance. Assommés par la chaleur ambiante, quelques spectateurs partent à la recherche d’un coin d’ombre et l’écran géant sert alors de parasol. Encerclé par d’imposantes colonnes d’enceintes, l’orchestre se tient prêt à côté de la tribune officielle. La fanfare, trompettes et tambours à la main, patiente sur la pelouse postée derrière la parade militaire. Telles des sentinelles, officiers et policiers sont à leurs postes. Aux motos et vieux engins de police se sont ajoutées onze ambulances  stationnées sur le terrain.

    Moustache brosse à dent L’hymne national retentit et l’assemblée se lève. Imposant à première vue, l’orchestre manque cruellement d’envergure. Enfin, le président se dresse. Le visage grave, l’homme vêtu d’un costume noir et de quelques décorations sur l’épaule se tient droit. Sa petite moustache, qui porte le nom de technique « moustache brosse à dent » et que certains Zimbabwéens portent fièrement, est en place.

    Du haut de ses 86 ans, l’orateur est en forme, sa voix posée et son corps solide. Il parle, il parle pendant de longues heures. Robert Mugabe utilise principalement l’anglais mais pour les plaisanteries il préfère sa langue maternelle, le shona. « Si vous cherchez une femme venez me voir ! » provoque les rires hilares des spectateurs. Le président vocifère contre « l’occupant » et contre « l’Occident », ses ennemis sont les mêmes depuis plus de trente ans. Fier et puissant, il parle, de temps à autre il tend le point en l’air. Le premier ministre et rival du président, Morgan Tsvangirai, apparaît brièvement à l’écran sans prendre la parole. Un militaire s’écroule sur la pelouse, le gladiateur déchu quitte alors la parade sous les sifflements de la foule.

    La marche militaire débute, les pas sont rythmés et la parade façonne des figures rectangulaires parfaites. Les majorettes bicolores et les porteurs de fanions rouges entrent en scène. Le public apprécie les jupettes virevoltantes et les danses rythmées bien plus que les discours du président. Puis, la place est faite aux enfants-soldats. Mitraillettes à la main, ces apprentis militaires en tenue de combat répondent aux sollicitations du leader par de grands coups d’armes en l’air et des petits jeux de jambes.

    « Zim at 30 » Le président a repris sa place et la tribune qui lui fait face se transforme en une immensité blanche. Des milliers de panneaux colorés tenus par des écoliers sont simultanément retournés pour laisser apparaître un message, « Zim at 30 ». Puis, les danseuses brandissent des placards découvrant de nouveaux mots doux en l’honneur du régime. Alors que Robert Mugabe a laissé la parole son portrait géant apparaît pendant de longues minutes, face à lui, comme le reflet d’un miroir à distorsion mégalomaniaque. La foule contemple ou s’émerveille. Les petits porteurs de panneaux ont quitté les gradins, ils tiennent tous fièrement leurs cartons à dessins remplis de feuilles colorées et se repositionnent avant une dernière entrée pour le tableau final et un salut au président, en attendant l’année prochaine.

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