C’est une conférence pour le moins fumeuse qu’accueillait le squat d’artistes le 6b, samedi 1er décembre à Saint-Denis : le Cannabis Social Club France tenait sa deuxième assemblée générale, rassemblant la fine fleur du militantisme cannabitique. Dans une atmosphère nuageuse loin d’avoir ramolli les esprits, les débats se sont faits vifs et affûtés, autour d’une question portée à la tribune par Farid Ghehioueche, un de ses membres les plus actifs :
« Moi ce que je veux savoir, c’est quand est-ce qu’on va se déclarer en préfecture ? »
Ze Story Le Cannabis Social Club ? StreetPress vous les avait déjà présentés au mois de novembre à l’occasion d’un salon sur la réduction des risques liés à la consommation de drogue. Son fondateur, Dominique Broque, 42 ans, y expliquait alors les objectifs de son association :
« L’idée, c’est de constituer un réseau de petites unités de consommateurs – maxi 20 membres – qui s’entraident et partagent des récoltes solidaires, sans faire le moindre bénéfice »
Un réseau qui permettrait aux consommateurs d’échapper au monopole des dealers et de fumer plus sain. En gage de bonne volonté, chaque cellule membre du Cannabis Social Club s’engage à tenir « un book de culture » où les récoltes sont notées « au milligramme près ». « On sait qui a consommé quoi, qui a planté quoi, qui est qui,…» insiste le boss Dominique Broque. « Tout est fait dans la transparence pour assurer une prestation non-marchande. »
Il n’y a pas mieux comme système de régulation !
Ska-P En Espagne – où chaque citoyen est autorisé à cultiver 5 plants – les Cannabis Social Club sont un succès avec plus 500 associations créées à travers le pays. Dominique Broque est enthousiaste : « Il n’y a pas mieux comme système de régulation ! Ça permet à l’Etat de savoir ce qui se passe, et ça permet au consommateur de réduire les risques pour sa santé ! ».
Le jardinier de profession entend séduire les hommes politiques en important ce système de « régulation » made in Spain… Oui mais voilà, en France, malgré Hollande et les Verts au pouvoir, la consommation de cannabis est toujours illégale. Et le Cannabis Social Club France, est, lui, bel et bien une association clandestine. Même si Dominique Broque – « Dom’ » pour les intimes, préfère parler « d’association de fait ».
Martyr « Moi, j’en ai ras-le-cul de leurs conneries. Ils peuvent m’arrêter s’ils le veulent, je n’en ai plus rien à foutre ! » Au micro, Jean-François est remonté comme un coucou devant la petite assemblée de quinquagénaires en k-way et de jeunes blancs-becs emmitouflés dans des sweats à capuche. Jean-François fait partie de la petite poignée de cultivateurs qui s’affichent comme membres de l’association clandestine, au mépris de notre police nationale. Le papa de 55 ans a déjà fait 2 mois de prison à cause de ses activités agricoles et dit aujourd’hui « n’avoir plus peur de rien ». Il ajoute, bravache :
« J’ai même écrit à la préfecture pour dire que je cultivais. Tout le monde le sait, ils n’ont qu’à venir m’arrêter. »
Dominique et Jean-François, du CSCF
J’ai même écrit à la préfecture pour dire que je cultivais. Tout le monde le sait, ils n’ont qu’à venir m’arrêter
Désobéissance civile C’est qu’avant d’être un hypothétique instrument « de régulation » en cas de dépénalisation, le Cannabis Social Club est un outil politique qui se revendique de « la désobéissance civile ». Dans la salle, des visages bien connus du militantisme cannabitique comme Farid Ghehioueche – qui s’était présenté aux législatives 2012 sous bannière « Cannabis, santé, libertés, justice » – ou l’avocat de la cause, maître Francis Caballero. Ce dernier de résumer la démarche du Cannabis Social Club :
« Ils souhaitent créer un mouvement sur le thème de la résistance à l’oppression. Avec une forte mobilisation si des cultivateurs se font mettre en prison. Ce qu’ils veulent, c’est se victimiser. »
A StreetPress, Dominique Broque explique le volet politique du Cannabis Social Club :
« Si nous sommes fédérés et qu’un maximum de groupes de cultivateurs jouent la transparence en montrant ce qu’ils produisent, les tribunaux ne pourront pas absorber toutes les plaintes. Et cela montrera que la loi est inadaptée. »
Le stratège compte aussi sur l’indulgence du pouvoir socialiste. « Dom’ » ne manque pas de rappeler qu’au dernier congrès du PS, la motion « Maintenant la gauche », sous l’impulsion de Gérard Filoche, est arrivée en deuxième position, en reprenant selon lui « mot pour mot à partir de l’article 4 les arguments du Cannabis Social Club ! »
Au 6B, après la bataille
Malheureusement, le milieu cannabitique n’est pas d’un naturel militant
Loi 1901 Depuis le mois de mai dernier – date du lancement officieux du Cannabis Social Club – Dominique Broque sillonnerait la France afin de constituer un réseau de petits cultivateurs. Objectif : les convaincre de déposer en préfecture leur « club », en mode association loi 1901. Il revendique avoir rencontré « plus de 150 personnes intéressées ». Le clou du spectacle pourrait avoir lieu à la fin février, date évoquée pour un dépôt « massif » en préfecture de tous les Cannabis Social Club. Un happening qui doit entraîner une mobilisation et relancer le débat sur la dépénalisation. Une autre association, « Les Amis du Cannabis Social Club », a d’ailleurs déjà été déposée en août dernier pour engranger les soutiens politiques. Elle permet aussi à Dominique et son crew de louer officiellement des salles pour tenir meeting, comme ici au 6b.
Plouf Sauf que dans la salle, les avis sont mitigés. Arthur, 19 ans, venu de Rouen pour assister à la réunion, ne se dit « pas du tout prêt » à prendre le risque de la prison pour « résister à l’oppression. » Robin, 21 ans et 150 grammes cultivés depuis 6 mois, regrette, lui, « l’absence d’une structure hiérarchisée pour pouvoir faire le lien. » « Là, j’ai encore trop peur d’être tout seul au niveau juridique. » Tandis qu’un autre sympathisant, bédo à la main, ne semble pas avoir compris le concept de la réunion : « Ici, c’est une amicale. On est là pour se réunir au chaud, partager des conseils. »
Pour le moment il n’y a que 3 Cannabis Social Clubs qui se disent prêts à se déclarer en préfecture. Et pour sa réunion au 6b, Dominique attendait 150 personnes. Mais ils ne sont qu’une soixantaine à avoir fait le déplacement. L’organisateur de se lamenter : « Malheureusement, le milieu cannabitique n’est pas d’un naturel militant. »
Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.
StreetPress, parce qu'il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.
Nous avons besoin de renforcer StreetPress et garantir son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces dons récurrents, nous pouvons nous projeter. C’est la condition pour avoir un impact démultiplié dans les mois à venir.
Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer, anticiper, et nous préparer aux batailles à venir.
Je fais un don mensuel à StreetPress
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER