En ce moment

    11/12/2012

    « Ceci est la vraie vie, sans courant, sans logement, sans argent (parfois) »

    Jérôme, 46 ans, expose le journal intime de sa vie sur les murs de son appart'

    Par Camille Malderez

    « C'est juste la cocotte-minute de toute une vie qui explose. » Jérôme, un ex-animateur radio, raconte sa descente aux enfers : les dépressions, les impayés, EDF qui coupe le courant il y a 6 mois. Depuis, il vit sans électricité.

    Fatigué, Jérôme, 46 ans, ancien animateur radio, rentre chez lui, portant deux sacs remplis d’objets électroniques récupérés dans les poubelles : « Bah ouais, c’est ça la société de consommation ! Alors moi, je récupère, puis je revends sur Ebay. » Dans la rue, sur la façade de son appartement, il a affiché de nombreux messages. Exhibant ses pensées, comme un journal intime public dans lequel il s’offusque de l’inhumanité d’un système, dont il se dit victime et qui le traite en criminel. On sent rapidement que c’est ce qui le fait tenir, c’est l’humour noir et le cynisme. Sur un des feuillets, on peut par exemple lire :

    « Avertissement, vous n’êtes pas sur un mur Facebook. Ceci est la vraie vie, sans courant, sans logement, sans argent (parfois). »

    Spirale sans fin Des cernes, le teint pâle, un bonnet et plusieurs couches de vêtements pour se réchauffer. Le grand gaillard d’1 mètre 85 m’invite à rentrer chez lui : « Puisque c’est plus chez moi, autant que ce soit chez tout le monde ! » Depuis 2002, Jérôme est pris dans une spirale sans fin. Interdit bancaire, viré des banques, de son emploi, victime de harcèlement moral et dépressions nerveuses chroniques… Les problèmes se bousculent au portillon. La somme de ses loyers impayés s’élève désormais à 47.790 €, ce qui laisse planer la menace d’une procédure d’expulsion. Les huissiers de justice vont d’ailleurs passer aujourd’hui, pour déterminer si Jérôme a des biens de valeur dans son appart’.

    Le 20 mai 2012, la tension est encore montée d’un cran : EDF lui coupe l’électricité. La goutte d’eau qui fait déborder le vase de 16 ans d’emmerdes. Jérôme est alors entré « en résistance pacifiste » :

    « Je reste chez moi, comme dans un château fort. Mes murailles, c’est la loi.»

    Un château fort qui prend des allures de château hanté… Aujourd’hui, mardi 11 décembre, Jérôme fête son 204e jour sans électricité.

    Dépression nerveuse Jérôme s’est retrouvé dans cette situation après un enchevêtrement sans fin de soucis. Malade, il a enchaîné les dépressions nerveuses, et a plusieurs tocs, des troubles obsessionnels compulsifs. Jérôme le dit lui-même, il est « militaire dans sa tête » et a un besoin compulsif de rangement. Autre obsession, le gaz. Un toc dont il a hérité de son grand-père qui vérifiait tous les jours pendant une demi-heure que les clés du gaz étaient bien fermées.

    Après 16 ans de tourments, Jérôme a finalement été reconnu le 6 novembre 2012 « travailleur handicapé », une victoire :

    « Toute ma vie, je me suis retrouvé considéré entre deux eaux, c’est à dire comme un emmerdeur et comme quelqu’un qui était malade, un chieur et un dépressif. Et en même temps, je n’avais pas les avantages qui permettent d’être protégé face à cette fragilité. Du coup, maintenant, je dis que je suis handicapé, ce qui est confirmé par ce statut d’invalidité, même si c’est pas un handicap physique. »

    La somme de ses loyers impayés s’élève désormais à 47.790 €

    Vivre sans électricité Mais son handicap ne lui fait pas récupérer la lumière. Bougies, lampes de poche… sans électricité, le quotidien se complique sérieusement. La plus banale des tâches relève du calvaire. Au lit, par exemple, où Jérôme enfile un tee-shirt, 4 pulls, une couette, une couverture et un plaid. Et, malgré les couches, le sommeil reste léger. Jérôme se lave à l’eau glacée – il admet d’ailleurs qu’il n’en a pas tous les jours le courage. Se faire un café, recharger son Iphone, son ordinateur, sa radio… tout ça se passe dans sa cave, située dans l’immeuble voisin. Il a comptabilisé à peu près 3.000 allers retours depuis la coupure de courant, en mai dernier.

    Sa pension d’invalidité partielle de 532 € par mois, seul et unique revenu, ne lui permet pas de manger tous les jours. Alors il sort le guide « Solidarité Paris » qui répertorie les soupes populaires. Ce même guide qu’il donnait aux SDF quand il était bénévole pour les Restos du Cœur.

    Horloge du temps perdu Un temps qui lui paraît aujourd’hui bien loin. Aujourd’hui, ce qu’il souhaite, c’est d’attirer l’attention sur son sort, dégoûté qu’il n’y ait rien pour aider les personnes comme lui. Son wall-Facebook grandeur nature, rue Chantilly, en a déjà fait une attraction pour les habitants du quartier. De simples feuilles blanches scotchées au mur, gondolées par le temps mais qui tiennent, Jérôme veille au grain. Une pendule arrêtée dénommée « l’horloge du temps perdu », un carton « CAUTION! You’re crossing an area abandoned by the civilization ! » (Attention ! Vous entrez dans une zone abandonnée par la civilisation !) Parmi les écrits multicolores, les slogans vont bon train et les mots ne sont pas mâchés : « La FRANCE : le pays des droits de l’Homme RICHE! », « Bienvenue du côté obscur de la force, une attraction sponsorisée EDF ! »

    Si le budget est loin de celui des grandes campagnes publicitaires, l’effet n’est pas moindre. Rares sont les passants qui ne lèvent pas la tête, interloqués, touchés, indifférents, indignés…

    Facebook addict Depuis plusieurs mois maintenant, Jérôme tient également une vraie page Facebook « Résistance Rue de Chantilly » suivie, à ce jour, par 423 « résistants » et qu’il alimente très régulièrement avec humour et sérieux.

    « C’est un vrai travail, un journal de mon quotidien, que je tiens depuis des mois et des mois. En tout cas, il y a des gens qui suivent et qui participent donc c’est encore plus important de tenir la barre. »

    Rester connecté fait partie de ses besoins vitaux, il y trouve du contact, des soutiens, de l’énergie pour mener de front ses divers combats auprès des institutions publiques et privées. « Je m’en fous de mourir, mais je ne vivrai pas sur mes genoux ! Après 26 ans de travail, 12 heures par jour, j’estime avoir gagné le droit de vivre normalement. Ce qui se passe, là, c’est pas moi, c’est pas mon état normal. Là, c’est juste la cocotte-minute de toute une vie qui explose. Mais mon objectif, c’est juste une vie normale. »

    Avant de pouvoir retrouver une vie normale, avec l’électricité, il va lui falloir retrouver un logement. Une loi fraîchement passée le dit inexpulsable, même au-delà de la trêve hivernale, tant que sa demande de logement social n’aura pas aboutie.

    « Administrativement, j’ai tout fait. J’ai bombardé de recommandés les offices HLM, le DALO. Ils m’ont répondu qu’ils ne pouvaient rien faire, qu’ils le reconnaissaient… C’est déjà ça… Je relance même pour signaler des HLM vides, et leur demander de m’y loger. Je n’ai jamais de réponse. Alors il ne me reste qu’à attendre… c’est pour ça aussi que j’utilise le mot “résistance”. »

    Bienvenue du côté obscur de la force, une attraction sponsorisée EDF !

    bqhidden. Je m’en fous de mourir, mais je ne vivrai pas sur mes genoux !

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER