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    22/09/2011

    Analyse des 120 jours de présidence de Sweet Micky avec le professeur de l'ENS Port-au-Prince

    Jean-Marie Théodat: « La classe politique haïtienne semble n'avoir rien compris »

    Par Vanessa Vertus

    Sur StreetPress Jean-Marie Théodat, professeur à l'ENS Port-au-Prince, ne croit pas beaucoup aux promesses du président Martelly. Heureusement il y a la société civile: «90 % des écoles sont privées, c'est la société qui fait son travail».

    Le 14 mai 2011 Haïti accueillait son nouveau président quel premier bilan pouvons-nous tirer ?

    Le bilan est mitigé. Il y a un bilan économique, un bilan intellectuel, un bilan financier. Bien sur il ne s’agit pas de tout mettre ensemble, de faire un jugement à l’emporte pièce et de dire il a réussi ou il a échoué. Par contre ce que je peux dire, c’est que pratiquement quatre mois après son élection, il n’y a toujours pas de gouvernement, pas de véritable budget de l’état. Nous assistons à une sorte de guérilla politique entre le président et le parlement ce qui n’aboutit pas véritablement à faire avancer le pays. Un an et demi après le tremblement de terre, la classe politique haïtienne semble n’avoir rien compris, n’a pas réussi à tirer des leçons de la catastrophe et continue de faire comme si ce pays avait toute l’éternité devant lui, comme si nous avions la garantie que l’aide internationale volerait toujours à notre secours. Haiti subvient pour à peine 30% de ses besoins, et avec tout ça, on continue d’avoir un discours d’une arrogance et d’une futilité par rapport aux urgences du pays qui me laisse pantois. Mon jugement sur la classe politique haïtienne est sévère.  

    Aujourd’hui encore dans les rues de la capitale, tout le monde a son bracelet «Martelly président», est-il encore en état de grâce ?

    On dit généralement que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Il a fait des promesses le peuple l’a cru et je pense que c’était de bonne guerre parce qu’il a touché à un problème de fond. Il a raison de dire que la scolarité doit être gratuite et obligatoire ( plus de 90% des écoles haïtiennes sont privées ndlr). Je pense que ce n’est pas à Martelly qu’il faut jeter la pierre mais à ceux qui l’ont précédé. À 200 ans de gestion complètement irrationnelle de la chose publique en Haiti. Maintenant si il ne fait rien pour se distinguer du lot le reproche que nous adressons à notre société, s’adressera aussi à son gouvernement. 

    Jean-Marie Théodat est professeur à l’école normale supérieure de Port au Prince. Géographe et Maître de conférences à l’Université Paris I – La Sorbonne, il est retourné vivre à Haïti pour travailler à la reconstruction du pays. Il écrit des chroniques pour la radio et a participé à la revue XXI .

    L’état ne tient pas ses promesses, l’état ne fait pas son travail mais malheureusement, l’état existe en Haiti

    Le président Martelly a repoussé la rentrée scolaire d’un mois pour mener à bien son projet de scolariser gratuitement 145.000 enfants défavorisés, doit-on y croire?

    Comme je l’ai dit, les promesses n’engagent que ceux qui y croient, j’attends de voir avant de dire que c’est fait. Ce que je vois c’est que 145.000 enfants à scolariser en l’espace d’un mois, c’est complètement irréalisable. Ce qui m’importe ce n’est pas le délai mais plutôt le fond du discours, si 145.000 enfants entrent à l’école en janvier prochain, j’estimerais que le président a tenu sa promesse. Le plus important c’est qu’ils rentrent à l’école, peu importe le jour, peu importe l’heure. Si nous avons véritablement la volonté politique de l’aider à concrétiser ses promesses, le défi il l’aura levé pour tout le monde. 

    Dix-huit mois après le séisme, les sinistrés sont toujours sous des tentes, que se passe t-il?

    Les camps de réfugiés qui étaient au départ une solution provisoire sont devenus dans l’esprit des gens la solution par rapport au problème de logement. Comme souvent dans ce pays, on improvise. On a pris deux problèmes à la fois, celui des sinistrés et celui des sans abris. Aujourd’hui celui qui habite dans un bidonville à Cité Soleil ( le plus grand bidonville du pays ndlr), s’il a envie, il peut aller s’installer dans un camp de réfugiés. Il aura l’eau, l’électricité et en plus la sécurité parce qu’il est à côté d’un commissariat de police. Le fléau qui nous touche est sans nom, il y a une incompétence manifeste des gens qui sont amenés à prendre les décisions. 

    145.000 enfants à scolariser en l’espace d’un mois, c’est complètement irréalisable

    Wargny, un historien français a écrit, «Haiti n’existe pas» pour souligner le fait qu’il n’y avait pas d’état dans ce pays, qu’en pensez-vous?

    Si Haiti n’existait pas, le problème serai résolu. L’état ne tient pas ses promesses, l’état ne fait pas son travail mais malheureusement, l’état existe en Haiti et il fait pire que ne pas remplir sa mission. Si l’état n’existait pas en Haiti, cela voudrait dire que la société serai là pour prendre la relève. L’équation est simple, la nation c’est l’état et la société. L’état ne fait pas son travail mais la société elle, elle est debout.  90 % des écoles sont privées, c’est la société qui fait son travail. En Haiti avec seulement 9.000 policiers pour 10 millions d’habitants, normalement on devrait avoir un assassinat toutes les heures mais ce n’est pas le cas… Quand j’entends dire que Haiti est un pays violent, instable, je dis regardez ailleurs, faites le rapport entre le nombre de policiers et le nombre d’homicides par jour, vous verrez que nous avons un pays relativement calme. 

    Les ONG qui ne devraient opérer ici en urgence et seulement en cas d’urgence sont installées durablement et on fait de ce pays un état sans droits

    Les ONG et les églises évangéliques semblent d’ailleurs prendre la place de l’état

    Ce sont les deux versants d’une même montagne. L’état s’est effondré et il reste la société qui ne peut pas remplir les fonctions de l’état. Elle sont donc remplies par ces structures qui se substituent à l’état mais qui ne pourront jamais le remplacer durablement. Si vous faites appel à un pompier, aussitôt qu’il a éteint le feu il doit s’en aller. S’il s’installe durablement chez vous, ce n’est plus une maison mais une caserne de pompiers. Les ONG qui ne devraient opérer ici en urgence et seulement en cas d’urgence sont installées durablement et on fait de ce pays un état sans droits, sans lois, une sorte de terrain vague où chacun vient avec ses petites solutions. On dit que un médecin soigne, deux médecins doutent, trois tuent et bien en Haiti c’est le cas. Haiti est un malade entouré de médecins qui sont en train de se perdre en conciliabules pour savoir comment soigner la fièvre, en attendant il n’y a pas de solution au problème. 

    Avec seulement 9.000 policiers pour 10 millions d’habitants, normalement on devrait avoir un assassinat toutes les heures mais ce n’est pas le cas…

    Le tableau brossé est très sombre, avez vous cependant une note d’espoir ?

    Lorsque vous avez une rage de dents, vous n’êtes pas devant le miroir à faire des éloges sur votre costume, cependant il n’y a pas des petites notes mais de grosses notes d’optimisme dans ce pays. Par exemple que des parents se saignent aux quatre veines pour envoyer leurs enfants à l’école, cela veut dire que nous sommes dans un pays où le peuple croit encore en l’éducation. L’état ne fait pas son travail en matière de sécurité et qu’il n’y ait pas plus de morts, pas plus d’assassinés, je dis bravo au peuple haïtien. Si l’état faisait correctement son travail, la société n’aurai pas besoin d’improviser et ça irai mieux. Je vois Haiti comme une voiture de course à l’arrêt. Haiti est dans la caraïbe comme une pépite, un véritable joyau mais nous n’avons pas les dirigeants que nous méritons. Si celui qui vient d’être élu prend le bon chemin nous serons 10 millions à le suivre mais si il part de travers nous serons 10 millions à lui aboyer derrière, moi le premier.

    bqhidden. Des parents se saignent aux quatre veines pour envoyer leurs enfants à l’école, cela veut dire que nous sommes dans un pays où le peuple croit encore en l’éducation

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