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    23/05/2013

    Vivaldi et Chopin, pour « améliorer l'ambiance » dans les gares

    RER : Un concours musical pour faire accepter un dispositif anti-jeunes

    Par Johan Weisz

    La SNCF diffusera bientôt dans certaines gares RER des airs de classique choisis par les internautes. Derrière la belle initiative, largement médiatisée par l'entreprise, se cache en fait un dispositif anti-jeunes déjà expérimenté par le passé.

    Du Parisien à Radio Classique, les médias vous en ont parlé en début de semaine : les lignes de Transilien J et L et le RER A lancent un grand jeu-concours intitulé « Choisissez l’ambiance musicale de votre gare ! ». Transilien souhaite « améliorer l’ambiance en gare et y faire entrer la culture et l’art » et appelle ses usagers à voter pour choisir les titres de musique classique qu’ils pourront écouter en attendant leur train. Les participants au jeu-concours qui seront tirés au sort repartiront avec les 3 CD de musique sélectionnées et… « un voyage [RER] en cabine conducteur » !

    Ce dont on oublie de vous parler, c’est du double effet kiss cool de l’opération. Car de Londres à Copenhague, les régies de transport ou les municipalités utilisent Schubert ou Mozart pour lutter contre les attroupements de jeunes ou de junkies.

    Chopin ou Vivaldi

    De la musique classique dans les gares, et en plus choisie par les usagers, quelle belle idée ! Joint par StreetPress, Bruno Rocher, chef du projet « musique en gare » pour les lignes A et J nous explique :

    « Après une petite expérimentation en gare de Poissy (78), on a écouté les attentes et les remarques des clients et on a interviewé les voyageurs, qui nous ont dit que la musique classique rendait effectivement leurs trajets plus agréables ».

    Le communiqué de presse de Transilien complète :

    « De Chopin à Beethoven en passant par Mozart, une phase « test » a démontré que les voyageurs appréciaient cette ambiance qui rend les gares plus sereines et agréables ! »

    Rétablir l’ordre

    Mais surprise, quand on s’intéresse à la fameuse « phase test » évoquée par le communiqué, on découvre ce post sur le blog officiel de la ligne J du Transilien, daté de mai 2012 et titré « De la musique classique pour rétablir l’ordre » :

    « Bonjour à tous, nous menons de nombreuses actions pour faire face aux incivilités. Sûreté ne rime pas toujours avec répression et l’initiative dont je vais vous parler, l’illustre très bien. (…) [Des groupes de jeunes] utilisent les gares comme des lieux de squatte (sic) et les comportements qui vont avec (fumer, cracher, crier, chahuter et écouter de la musique, etc..) affectent l’ordre publique (sic) et instaure un sentiment d’insécurité. (…) Dorénavant, quand les agents constatent qu’un groupe de jeunes vient semer le trouble, ils peuvent diffuser de la musique classique. Figurez-vous que ça marche ! Soumettre ces personnes à des airs auxquels ils (sic) ne sont pas habitués a le mérite de les faire fuir. Nous avons donc commencé à tester cette formule depuis quelques temps. »

    Le post, publié sur un blog institutionnel de la SNCF, ajoute que « cette solution a fait ses preuves dans d’autres pays (Danemark, Allemagne) ». Et effectivement, en Belgique, la municipalité de Coudrai diffuse depuis juillet dernier de la musique classique pour faire fuir les junkies d’un parc de son centre-ville. L’hebdomadaire Politis du 23 mai se fait l’écho de l’opération de la SNCF :

    « La SNCF convaincue par les succès obtenus en Angleterre, où la chaîne Co-op diffuse de la musique classique devant ses points de vente pour empêcher les “attroupements”. Du personnel muni d’une télécommande enverrait la sauce “dès que la situation se gâte”. Dans 31 stations de métro de Londres, Mozart et Pavarotti se montreraient des répulsifs diablement efficaces. »

    Joint par StreetPress, le service de presse de la SNCF refuse de faire le lien entre l’opération « musique en gare » et des objectifs de sécurité :

    « Ca n’est pas la même optique. On s’est rendu compte que les voyageurs, quand ils rentrent du boulot, sont un peu stressés lorsqu’ils attendent leur train. On veut rendre ce moment un peu plus zen. Ca s’inscrit totalement dans la démarche des pianos [en libre accès] qu’on a installés en gare Saint-Lazare ou à Montparnasse ou des concerts de musique classique qu’on peut organiser de temps en temps dans nos gares ! »

    « C’est pas du tout pour [des objectifs de sécurité] qu’on fait ça », nous répond également Bruno Rocher. Le chef de projet chez Transilien d’expliquer que l’opération se base sur « un sondage BVA de 2006, qui indique que la musique classique est la 2e musique préférée des Français. » Et pourquoi ne pas diffuser de la variété alors, puisque c’est la 1ère musique préférée des Français ? « Peut-être, dans le futur… », assure Bruno Rocher.

    Sociologie des usages

    « Mozart, ça me fait rire ! Je choisirais plutôt les Doors, quand on voit l’ambiance dans les gares », rigole Jérôme Thorel, qui signe aux éditions la Découverte le livre “Attentifs Ensemble, l’injonction au bonheur sécuritaire”:http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Attentifs_ensemble__-9782707174215.html. Pour lui, « le côté participatif de ce jeu concours fait croire qu’il y a eu une prise de conscience des gens qui prennent les transports en commun, et que c’est eux qui ont choisi de mettre en place le dispositif ». Le journaliste rappelle l’adage « participer, c’est accepter », qui est selon lui un grand classique de la sociologie des usages.

    Lorsqu’on demande à la SNCF si elle ne prend pas les usagers appelés à participer au concours pour des jambons, en leur masquant le véritable objectif de l’opération, celle-ci nous répond :

    « Il faut regarder les gares, c’est tristounet, il n’y a pas beaucoup d’ambiance. J’ai reçu des centaines de courriers de gens en ce sens. Grâce à l’opération, on fait découvrir la culture à tous, on est dans le partage. (…) Et puis, c’est vachement transparent, ça se passe sur Internet, les gens votent ! »

    Dans la gare, ça se passera donc « comme à la maison ». Les agents SNCF passeront de la musique – classique – quand ils en auront « l’envie » ou quand les clients le leur demanderont : « C’est vous le DJ ! », s’enthousiasme Bruno Rocher, qui revendique déjà 450 votes sur les blogs de Transilien. Il suffira de prétexter une envie pressante de Chopin pour faire fuir les jeunes devant les tourniquets de la gare de Sartrouville.

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