Jeudi 26 août – 17h32. Lunettes Ray-Ban très 60’s , costard sombre distingué et teint légèrement hâlé, Bertrand Mayer – adjoint au maire de Levallois-Perret – nous accueille au commissariat de police municipale à l’angle des rues Anatole France et Kléber. 10 jours plus tôt, le ministre de l’Industrie Christian Estrosi s’était fendu d’une sortie remarquée dans la presse où il remettait en question les maires qui n’avaient pas doté leur ville d’un système de vidéo-surveillance. A Levallois – champion du genre – StreetPress a voulu savoir qui se cachait derrière Big Bother … Et combien de temps il mettrait pour appréhender Samba et Géraldine en train de perturber la voix publique avec des poms-poms de cheerleader.
Des prouesses hi-tech dignes de 24h Chrono
MAP Levallois
« Au PC » – le petit nom du très officiel « Centre de Surveillance Urbain » – M. Carpentier et Gérard (les noms des deux policiers municipaux ont été modifiés à leur demande) ont remplacé Jack Bauer et Tony Almeida . La salle vidéo du commissariat de Levallois-Perret a un petit coté CAT , les mètres carrés en moins. Mais coté high-tech, pas grand chose à lui envier: Le mur d’écran affiche 12 vidéos en simultané, les policiers orientent à distance des caméras à 360 degrés et zooment en un clic pour repérer une crotte de chien étalée sur un trottoir.
« Montrez-lui le ‘floutage’ M. Carpentier » ordonne fièrement l’adjoint de M. Balkany, Bertrand Mayer. « Regardez ! Voyez comment l’image se floute dès que vous tentez de regarder au travers d’une fenêtre. » L’effet est saisissant: Après avoir zoomé sur plus de 300 mètres, l’image sur l’écran de contrôle se crypte façon Canal +, au moment où l’on croit reconnaître le visage d’une jolie blonde installée dans son salon. On est rassuré: « Big Brother » Mayer ne peut pas nous voir tout nu sous la douche grâce à « ce système qui protège la vie privée ».
2 agents pour 50 caméras
M. Mayer est l’adjoint au maire Patrick Balkany mais aussi « le délégué à la Sécurité publique, à la Sécurité civile et aux questions de Défense » (sic). Un titre a rallonge révélateur de la fierté qu’accorde la mairie à son système de vidéo-surveillance. « C’est vrai que d’autres mairies viennent nous demander conseil » répond-il, visiblement ravi qu’on lui pose la question.
Dans Levallois-Perret, 50 caméras filment en permanence balayant plus de 90% de la ville. Deux policiers municipaux – parmi les 80 agents de la ville – sont affectés aléatoirement « au PC » qui centralise les images. Ils scrutent le mur d’écran pendant des permanences de 9h en alternant: l’un s’occupe du standard tandis que l’autre observe la ville. « Comme ça, moi j’appelle les collègues dès qu’on remarque quelque chose », explique l’agent Carpentier, tout en caressant sa moustache.
La ville de Levallois-Perret a été la pionnière en France en matière de vidéo-surveillance. Dès 1991 son maire RPR Patrick Balkany installe 86 caméras capables de couvrir presque toute la ville. Le système est rénové par le maire élu en 1995 Olivier De Chazeau qui fait passé les caméras au numérique: elles pivotent dorénavant sur 360 degré et sont donc en conséquence réduites au nombre de 50. En 2001 Patrick Balkany est réélu à la mairie après avoir été condamné pour trafic d’influence. Bien que remises en question par plusieurs études, les camera ne sont pas désinstallées.
« Quand on n’a pas l’œil, ce n’est pas évident »
Que remarquent-ils ? « Des attroupements à la sortie du lycée », réfléchit l’agent Carpentier. Son collègue renchérit: « Quand il y a des manifestations étudiantes aussi. On essaie de cibler ». Et les gens qui urinent dans la rue ? « Personne n’urine dans la rue à Levallois » répondent-ils le plus sérieusement du monde. L’adjoint au maire M. Mayer se félicite lui, d’avoir pu suivre depuis « le PC » un voleur à la tire jusqu’au 17ème arrondissement de Paris. Il y a eu aussi « ces Roms qui dévalisaient les horodateurs ». M. Mayer reprend l’agent Carpentier: « On va éviter d’être polémique hein … Ce n’était pas des Roms ». Le policier se rattrape: « On va dire que c’était des étrangers alors ».
Mais de l’aveu même des agents municipaux: « Quand on n’a pas l’œil, ce n’est pas évident ». Difficile en effet de repérer un fait précis parmi le magma d’information, surtout qu’il n’existe pas de système d’alerte en cas de détection d’un incident. « Thalès développe un système qui puisse nous prévenir en cas d’augmentation du niveau sonore », révèle Mayer. En attendant, tout se fait à l’œil nu.
Partie de cache-cache avec Big Brother
18h11: Les policiers relèvent le défi quand on leur propose de chronométrer le temps qu’ils mettront à retrouver deux journalistes de StreetPress. Samba et Géraldine, aisément identifiables par les poms-poms jaunes de cheerleader qu’ils agitent, sont placés sur une avenue fréquentée de Levallois. « Allez on y va », s’enthousiasme Bertrand Mayer, sous le regard sceptique de son attachée de presse: « Vous êtes sur que nous avons les autorisations ?».
Les policiers Gérard et Carpentier jouent le jeu à fond. Les caméras pivotent, zooment, alternent pendant que les souris glissent sur les tapis. M. Mayer est à l’affut, les yeux rivés sur le mur d’écrans. « Comment sont vos amis ? », demande t-il. « C’est un jeune homme noir et une jolie blonde, avec des ustensiles de pom-pom girl » je réponds. M. Carpentier se marre: « Ah ouais, ça devrait se voir ça ! ».
18h17: « Faut nous dire dans quelle zone ils se trouvent aussi ! » demande un des deux agents. Après 6 minutes, la partie de cache-cache commence à sentir la loose pour la police. La tension est palpable. Pour les aider, Samba et Géraldine nous apprennent par téléphone qu’ils sont à proximité d’un métro. « Ça ne peut être que ‘métro de Pont de Levallois’ ! », s’impatiente un des policiers. Mais autour du métro Pont de Levallois toujours rien. « Ils sont peut-être masqués par des feuillages », tente M. Mayer. « Et puis il y a trois caméras qui ne fonctionnent pas », ajoute Gérard, qui contredit involontairement l’adjoint au maire. Celui-ci affirmait quelques minutes plus tôt qu’aucune camera ne servait de leurre … Silence pesant.
13 minutes: le temps qu’il a fallu pour retrouver Samba et Géraldine
18h23: Samba et Géraldine ont enfin été alpagués après que nous ayons informés les policiers qu’ils se trouvaient au métro Anatole France. « On va leur envoyer une équipe pour trouble à l’ordre public ! », vanne M. Mayer. M. Carpentier répond du tac-o-tac: « Pour la fille surtout ! Elle fait du racolage ! » L’atmosphère se détend: « Allez on envoie un scooter! », s’exclame Gérard, plutôt amusé par notre petit manège.
Les policiers jouent à la caméra-cachée en dépêchant un collègue non averti du stratagème sur les lieux du faux incident. Sauf que celui entre en trombe dans le PC: il ne trouve pas les clefs pour démarrer son scooter. La blague tombe à l’eau. Le jeune policier va quand même interpeller Samba et Géraldine: « Des gens se sont plaints que vous faisiez peur aux automobilistes » leur repproche t-il. « Quels gens ? » se défendent les deux journalistes.
Un gadget de riches
De l’aveu même de M. Mayer, c’était comme « chercher une aiguille dans une botte de foin ». Le chef de la vidéo-surveillance à Levallois-Perret est formel: pour être efficace, il faut « cibler» les délits contre lesquels lutter. « A Orléans par exemple, ils ont installé une vingtaine de caméras pour protéger des bâtiments qui se faisaient couvrir de graffitis. L’année suivante, ils n’ont eut que 100.000 euros de dégâts. » (Lire aussi: L’efficacité de la vidéo-protection: un sujet polémique)
Mais à Levallois quelle est la cible des caméras de surveillance ? Hormis les attroupements à la sortie du lycée évoqués plus haut par les policiers, M. Mayer explique qu’il s’agit avant tout d’un outil « généraliste », pour prévenir par exemple de « la chute d’une vieille dame », « d’un incendie » ou « d’une voiture mal-garée qui bloque la circulation ». Apparemment rien de très ciblé … Et surtout, pas sûr que les caméras avertiraient les services de police plus rapidement qu’un bon vieux coup de fil.
« De toute façon on ne peut pas quantifier l’impact de la vidéo-surveillance isolée des autres moyens de la Police Municipale. Ce n’est qu’un outil », avance M. Mayer quand on lui demande d’évaluer la rentabilité du système. Un « gadget de riche » ? Il ne s’oppose pas à cette définition. « Mais c’est le travail du maire de faire le maximum pour garantir la sécurité dans sa ville. Et le verdict tombe tous les 7 ans ».
L’attaque à la voiture-bélier de mars 2010
Mais malgré toute sa technologie, le système de vidéo-surveillance de Levallois ne dissuade pas les malfrats: En mars 2010 un distributeur de la BNP a été attaqué à la voiture-bélier. L’instruction est en cours et selon l’adjoint au maire ce sont les images de vidéastes amateurs autant que les vidéos de la police, qui ont permis de constituer un dossier. Pour M. Mayer c’est la preuve que « la menace vidéo vient plus des gens qu’on ne contrôle pas que de la police, soumise à des règles de déontologie. » On pourrait répondre que cela montre aussi les limites de l’efficacité du système de vidéo-surveillance.
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