13/09/2013

Le ministère de l'Intérieur poursuit le projet lancé par Brice Hortefeux

Efficace et pas cher : un tribunal pour les sans-papiers à Roissy

Par Mathieu Molard

Deux tribunaux réservés aux sans-papiers à Roissy et dans le plus grand centre de rétention de France pourraient ouvrir d'ici à fin 2013. Mais Christiane Taubira veut freiner le projet de la place Beauvau, confie une source proche du dossier.

Deux tribunaux réservés aux étrangers sans-papiers pourraient ouvrir d’ici la fin de l’année. Les travaux se terminent à l’aéroport de Roissy et dans un centre de rétention de Seine-et-Marne. Les sans-papiers y auraient des salles d’audience toutes neuves construites rien que pour eux – la classe ! Et surtout, ce serait beaucoup plus pratique : ils seraient jugés sur place. Le ministère de l’Intérieur, qui a financé ces projets, souhaite éviter à ses forces de l’ordre de devoir faire la navette en permanence pour accompagner les sans-papiers jusqu’aux tribunaux. Sauf qu’ une source proche du ministère de la Justice confie à StreetPress que Christiane Taubira « est à titre personnel contre le principe même de la salle d’audience dans les aéroports »… Bingo, le match Valls-Taubira est sur le point d’être relancé !

Délocalisation

Dès la fin du mois de septembre, les juges des libertés et de la détention (JLD) disposeraient donc d’une salle d’audience toute neuve, accolée au plus important centre de rétention administrative (CRA) de France, celui du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne (voir encadré) qui peut accueillir jusqu’à 380 retenus.

La seconde salle d’audience serait voisine de la « Zapi » (Zone d’attente pour personnes en instance) de l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. C’est dans cette « zone » que sont maintenus les étrangers qui se voient refuser l’accès au territoire français par la Police aux frontières (PAF).

Au milieu de nulle part

« Le caractère public de la justice est remis en cause » par ces tribunaux perdus « au milieu de nulle part », s’agace Xavier Gadrat, secrétaire national du Syndicat de la magistrature, joint par StreetPress. La Cimade a compté qu’il fallait emprunter 3 lignes de bus pour aller du tribunal de Meaux à son antenne délocalisée au Mesnil-Amelot…

Autre argument des opposants au projet : la séparation entre les lieux de rétention des étrangers et les lieux de justice est obligatoire. Au Mesnil-Amelot comme à Roissy elle n’est que symbolique, rappelle la Cimade : « permis de construire unique, même parcelle de terrain, même enceinte grillagée… ». La sécurité des tribunaux serait assurée par la PAF qui gère déjà… les centres de rétentions. « Juges, policiers, traducteurs et avocats vont évoluer tous ensemble dans un milieu fermé. A la longue ça peut créer une forme de connivence qui peut affecter l’impartialité de la justice », argumente Emeline Lachal du Syndicat des avocats de France.

Made in Sarko

Mais pas de chance, c’est (presque) légal ! Car depuis que Nicolas Sarkozy a introduit cette possibilité dans sa loi sur « la maîtrise de l’immigration » de 2003, trois centres de rétention ont obtenu leur tribunal. Si la Cour de cassation en a fait fermer deux, elle en a autorisé un troisième, toujours en place, à Coquelles (62).

Illégal, donc ? Pas exactement : grâce à un joli tour de passe-passe, Brice Hortefeux avait réussit à contourner le problème. Il n’y a pas un, mais deux centres « totalement distincts ». Pourtant, de l’aveu même du ministre de l’intérieur de l’époque, « construits sur une même parcelle et par le même service ».

Ca peut créer une forme de connivence qui peut affecter l’impartialité de la justice

Dans la foulée de 2003, une salle d’audience avait aussi été construite dans la « zone d’attente » de Roissy. « Il y avait eu une belle mobilisation du monde judiciaire pour s’opposer à ce projet », se souvient Emeline Lachal. La droite, alors au pouvoir, remise le projet dans ses cartons.

Air Hortefeux

Mais en octobre 2010, l’idée fait son grand retour. Le ministère de l’Intérieur, avec Brice Hortefeux aux commandes, lance un appel d’offres de 2,3 millions d’euros pour l’extension du site et la construction d’une seconde salle d’audience.

D’ici décembre prochain, le complexe de Roissy – financé donc par l’Intérieur – sera prêt à accueillir ses premières audiences. Car depuis son arrivée place Beauvau, Manuel Valls a laissé se poursuivre ce projet tant souhaité par la police aux frontières.

Taubira vs. Valls

Mais Christiane Taubira enverra-t-elle siéger ses juges dans l’aéroport ? A priori, elle n’a pas le choix : « le ministère de la Justice s’était engagé par courrier en date du 5 mai 2010 à utiliser ces locaux faute de quoi il devrait rembourser à la place Beauvau l’intégralité des travaux avoisinant les 2,7 millions d’euros », reconnaît la ministre dans une lettre adressée aux opposants au projet.

(img) La lettre de Taubira

Pourtant, « rien n’est encore décidé », confie à StreetPress une source proche du ministère de la Justice pour qui « Madame Taubira est tout à fait prête à passer outre la question des 2,7 millions d’euros, ce n’est pas ça le problème ! » Le ministère freine au maximum le projet, « en posant de nombreuses conditions préalables à l’ouverture de la salle d’audience de Roissy.

Comme ces négociations n’aboutissent pas, tout est reporté. » Avant d’ajouter un peu plus tard dans la conversation : « A titre personnel, Christiane Taubira est contre le principe même d’installer une salle d’audience dans un aéroport. »

Mais qu’en pense Manuel Valls ?