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    13/11/2013

    « Mes collègues t'ont bien défiguré. Tu vas pas avoir besoin de masque pour Halloween »

    Des flics matraquent et jurent de «baiser ta femme»: bienvenue au commissariat de Cergy

    Par Mathieu Molard

    «Vous n'êtes pas chez vous… rentrez dans votre pays» crie une policière sympathisante FN, pendant l'interpellation musclée de Florian et Ismahène, un jeune couple de Cergy. StreetPress a recueilli 7 témoignages concordants sur cette bav

    Cergy (95) – « Le policier a approché le porte-manteau de ma bouche et il m’a dit : “Tu veux peut-être faire autre chose avec ? Ça se voit que t’as l’habitude, t’es qu’une sale pute !” ». Ismahène raconte son passage au dépôt du tribunal de Pontoise, et le silence se fait dans la maison familiale. « C’est comme s’il m’avait violée », souffle l’étudiante en master de psychologie du travail, aux longs cheveux bruns. Son mari Florian, un agent territorial de 22 ans, « en a un peu marre de raconter » lui aussi sa soirée du jeudi 31 octobre, quand au même moment au commissariat les fonctionnaires lui ont promis :

    « De toute façon, on va bien s’occuper de ta femme, on va la baiser au dépôt. »

    La soirée de Florian et Ismahène aurait pu se terminer au chaud dans leur appartement. Mais les incidents entre les policiers et le public au sortir du tribunal de Pontoise ont tourné ce soir-là à la bavure policière. StreetPress a recueilli les témoignages de 6 personnes présentes sur place ainsi que d’un avocat qui a assisté à une partie des faits. Dans cette affaire, StreetPress a aussi eu accès à certains éléments d’une autre plainte qui relate les faits, sur la base de témoignages de policiers. Une plainte déposée le jour même par quatre fonctionnaires à l’encontre d’Ismahène et Florian… pour outrage. Nous avons également pu consulter le signalement fait à l’IGPN et constater les marques de coups sur les visages et les corps d’Ismahène et Florian qui s’apprêtent à déposer une plainte au parquet.

    Ze story

    Jeudi 31 octobre, aux Assises pour mineurs de Pontoise. Après cinq jours d’audience à huit clos, le délibéré est public ; Ismahène et son mari y assistent dans une salle bien remplie. Sur le banc des accusés, cinq jeunes dont un de leurs proches, comparaissent pour le braquage avorté d’un bar-tabac au cours duquel un coup de feu a été tiré. Il est 22h10 et les verdicts tombent l’un après l’autre. De trois à sept ans de prison pour quatre d’entre eux, le cinquième est acquitté. « Les peines sont lourdes », juge Naana* la mère d’Ismahène, également présente. « Mais on sait qu’ils peuvent faire appel. » Quelques clameurs de surprises en entendant les condamnations, un applaudissement vite interrompu au moment de l’acquittement. « L’assistance reste relativement calme », témoigne Maître Lemoine, l’avocat d’un des condamnés.

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    Zohra, étudiante en architecture nous dessine le plan de la salle d’audience / Crédits : CC

    Dans la salle, le dispositif policier est important. Les forces de l’ordre sont « sous tension » et un début d’échauffourée commence avec le service d’ordre. Le frère d’un prévenu est tout de suite interpellé et sera condamné à 3 mois ferme en comparution immédiate. Au même moment à quelques mètres, des proches tentent de dire au revoir à l’un des accusés. Les policiers les repoussent et font évacuer la salle en appelant d’autres agents en renfort : « Ils balançaient des coups de matraques. L’un des policiers a sorti une gazeuse et a arrosé », raconte Sophie*, 20 ans, une amie de la famille, présente au tribunal.

    Coup de pied

    A 22h30, Florian et Ismahène sortent enfin du tribunal, les bras chargés des bagages abandonnés par la famille pendant la pagaille. Ils décident d’aller les déposer à leur voiture, garée un peu plus bas. « Un policier nous dit de dégager », raconte Florian. « Nous continuons d’avancer et là il a commencé à me frapper avec sa matraque, puis il m’a balancé un chassé. J’ai été touché à la tête, à l’épaule et dans le dos. »

    Le plan de la sortie du tribunal

    A ce moment Maître Lemoine sort à son tour du palais de justice. Il confirme avoir vu un coup de matraque et un coup de pied « qui semblaient isolés », venant d’un policier avec des lunettes rondes. L’avocat intervient immédiatement. Le policier en civil s’écarte alors. « Il a mis sa capuche, comme pour se cacher et il s’est reculé », raconte Zohra, une étudiante en architecture de 34 ans. Dans son témoignage, porté au dossier, l’agent reconnaît le coup de pied « à la hanche » qui se justifierait par une volonté de « maintenir à distance » Florian, nous apprend une source proche de l’affaire. Le tribunal est équipé de caméras de vidéo-surveillance. Les bandes ont été saisies et versées au dossier.

    « Viens me bouffer la chatte ! »

    Toujours devant le tribunal, c’est quelques minutes plus tard que la chamaillerie vire à la bavure policière, décrite dans les mêmes termes par 5 témoins. « Une policière voulait faire marrer tout le monde », raconte Ismahène : « Rentre donc faire la vaisselle », « rentre chez-toi », lance la fonctionnaire. Les quolibets pleuvent et le ton monte. « Ils nous traitaient sans arrêt de “sales putes” », explique Sophie. La policière « aux cheveux rouges » se fait de plus en plus virulente : « viens me bouffer la chatte ! », « Vous n’êtes pas chez vous, rentrez dans votre pays ! »

    «C’est comme s’il m’avait violée !» Ismahène

    Jusqu’au nouvel incident : « Un policier s’est approché en courant, il a versé une bouteille de jus de fruit sur mon mari et s’est écarté à nouveau », raconte Zohra. Les rires éclatent. Mon mari « n’est pas un délinquant, il travaille dans une banque. Il a su garder son calme », explique-t-elle. Les policiers, dans leurs témoignages, affirment avoir été outragés. Ils décrivent Ismahène comme « assez virulente » ; « elle faisait des doigts » ajoutent-ils. Ce à quoi la policière aurait répondu : « tu vas faire quoi avec ? ».

    Coups au visage

    Un peu plus tard, la petite troupe se dirige enfin vers les voitures en contrebas. L’incident aurait pu s’arrêter là, s’il n’y avait pas eu un nouvel accrochage : « Un policier m’a bousculée. Mon mari s’est interposé », raconte Ismahène. « Je me suis mis entre les deux et j’ai juste dit : “tu fais quoi là ?” », affirme Florian. C’est l’explosion. « Il m’ont poussé. » Le jeune homme tombe. Les coups pleuvent : « Ils sont plusieurs. Ils s’acharnent sur moi. Des coups de pieds, de genoux, de matraques… Dans la pagaille je ne fais plus bien la différence. » Une semaine après, son visage, son torse et ses genoux portent encore les stigmates des coups reçus. « Je me suis jetée sur mon mari pour le protéger. » Ismahène se couche sur son visage. Les coups ne s’arrêtent pas.

    Plus d’une semaine après les faits, le genou de Florian est encore marqué

    « J’entends “tirez la meuf” et on m’a saisie par les cheveux. » Pour lui faire lâcher prise, les policiers assènent des coups de matraque sur les mains. C’est la panique. Leurs proches terrorisés, hurlent. « Je criais : “c’est une femme, lâchez-là !” », témoigne Zohra. Finalement les agents séparent le couple et les menottent. Ismahène est ramenée vers l’intérieur du tribunal. « Ils me portaient à l’horizontale. Je hurle : “Laissez-moi marcher !” » En guise de réponse : « Ah bon, tu veux marcher ? », ils la lâchent. Elle percute violemment le sol, les mains toujours menottées dans le dos. « Au total, ils m’ont laissée tomber trois fois. La dernière fois, c’était dans l’escalier. » Elle est amenée au dépôt du tribunal, tandis que Florian est lui transporté en direction du commissariat de Cergy. Selon le dossier, il est 23h10 quand le couple est interpellé.

    Leurs proches interrogent les policiers pour savoir où ils allaient être amenés avant de rejoindre leurs voitures. Ils sont presque arrivés aux véhicules quand la policière « aux cheveux rouges » réapparaît en haut de l’escalier. Le visage haineux, selon les témoins. Tous rapportent la même scène. Les mêmes propos :

    « Cassez-vous bande de voyous. C’est à cause de vous qu’on est dans cette merde ! Partez de notre pays. De toute façon vous allez voir la montée du FN aux municipales ! »

    Porte-manteau

    Ismahène garde également des stigmates de son arrestation

    A l’intérieur du tribunal, quelques mètres à peine séparent Ismahène de son proche condamné aux assises. A travers la paroi elle tente de le rassurer. « Forcément, on criait pour pouvoir se parler. » L’un des policiers qui l’a interpelée entre dans la pièce. Visiblement excédé. « Il a pris un porte-manteau, l’a approché de ma bouche et il m’a dit avec un regard un peu bizarre. “Tu ne veux pas nous chanter une petite chanson ?” » Ismahène, assise par terre, répond « Non, sans façon ! » Le policier en civil aurait ajouté alors : « Tu veux peut-être faire autre chose avec, de toute façon ça se voit que t’as l’habitude, sale pute ! » La jeune femme s’interrompt. La voix, parfois gouailleuse se fait presque chuchotement. Au bord des larmes elle ajoute : « C’est comme s’il m’avait violée ! » Dans sa déposition le policier reconnaît bien s’être saisi du porte-manteau et de l’avoir utilisé comme un micro. Il affirme lui avoir déclaré « tu ne veux pas chanter une chanson plutôt que de nous casser les oreilles ? » Quelques minutes plus tard elle sera transférée au commissariat de Cergy.

    Dans le même temps, Florian est amené directement au poste. « J’étais dans une pièce. Pas vraiment une cellule, ni un bureau. Peut-être une espèce de salle d’interrogatoire. » Non loin de lui, le jeune homme interpellé dans la salle d’audience. Trois ou quatre policiers sont en permanence dans la pièce. Un autre fait des allers retours. C’est l’agent en civil, qui avait porté les premiers coups sous les yeux de l’avocat, explique Florian. « A chaque fois, il me balançait une petite phrase. Il était de plus en plus énervé » : « Mes collègues t’ont bien défiguré ! » Ou encore : « Tu ne vas pas avoir besoin de masque pour Halloween. » Et un peu plus tard, il se serait fait plus menaçant : « De toute façon je vais te croiser sur Cergy. Je pourrais te faire une deuxième et une troisième bosse. » Jusqu’à menacer sa femme : « On va bien s’occuper de ta femme, on va la baiser au dépôt. »

    IGPN

    Ismahène rejoint finalement Florian dans cette pièce du commissariat. Tous les deux sont placés en garde à vue pour 48 heures. Ils seront emmenés à la médecine légale pour constater leurs blessures, et une confrontation avec des policiers sera organisée : « mais certains n’avaient rien à voir avec les événements et il en manquait d’autres », s’agace Ismahène. Le lendemain de l’interpellation Naana et Zohra se rendront chacune leur tour au commissariat pour témoigner des faits auxquels elles ont assisté. Les policiers « très polis », leurs expliqueront ne pas pouvoir prendre leur déposition et les orienteront vers le site de l’Inspection Générale de la Police Nationale. Une démarche qu’elles avaient déjà effectuée le soir des événements. Joint par StreetPress, le parquet de Pontoise confirme avoir connaissance du signalement auprès de l’IGPN, mais précise ne pas avoir été saisi, pour le moment, d’une enquête sur les agissements des forces de l’ordre.

    Mais pour l’heure, c’est Florian et Ismahène qui sont convoqués au tribunal. Les 4 policiers ont déposé plainte pour « outrage par paroles, gestes ou menaces » à l’encontre de fonctionnaires de police :

    « En l’espèce en leur disant notamment “cons de flics”, “vous êtes qui pour nous ? De la merde”, “bandes de cons”, “sales flics de merde”, “ bande de Sarkozy”.»

    Rendez-vous à la barre, le 5 décembre prochain.

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