« Je ne sais pas, je ne suis pas au courant de tout ça …. Vous savez, on ne fait pas d’enquête de police sur les gens, nous ! » Aïe ! La tête de liste du Rassemblement Bleu Marine pour les municipales à Paris, Wallerand de Saint-Just, est désagréablement surpris quand StreetPress évoque avec lui l’appartenance de son candidat dans le 4e arrondissement au mouvement royaliste l’Action Française .
L’embarras pointe chez le ténor du Front National car c’est bien un partisan du Roi qu’il a choisi pour représenter le parti de Marine Le Pen dans le quartier du Marais à Paris. Elie Hatem, 44 ans, est membre du Comité directeur de l’Action Française et se présente sous couleur Rassemblement Bleu Marine pour prendre la mairie du 4e arrondissement.
Joint par StreetPress, le candidat Hatem explique « ne pas être du tout républicain » et dit vouloir « retourner à l’identité de la France millénaire » :
« Avec un Roi au sommet de l’état et une société purement française, identitairement française et fidèle à sa tradition. »
Avant de préciser :
« Je suis aussi contre la République dans les pays africains. On leur a imposé un système qui n’a rien à voir avec leurs identités nationales. »
Retour vers le futur
Fondée en 1898, l’Action Française est le plus vieux mouvement d’extrême droite encore en activité. A l’origine, son théoricien Charles Maurras prône « un nationalisme intégral » dans une France purgée des juifs, des francs-maçons, des étrangers et des protestants et qui serait dirigée par un roi, incarnation de l’unicité de la société. Le mouvement connaît son heure de gloire dans les années 30, notamment lors des émeutes antirépublicaines du 6 février 1934.
80 ans plus tard, Elie Hatem se revendique de « la pensée de Charles Maurras » et estime que la France vit « sous l’influence d’une propagande qui date de la Révolution ». A StreetPress, le candidat bleu-marine, qui est aussi rédacteur du journal l’Action Française, explique ce qui fait les limites de notre démocratie :
« L’objectif des partis politiques c’est de lutter contre leurs adversaires. Qui sont ces gens sur qui ils sont en train de tirer ? Ce sont des Français comme vous et moi ! Les partis détruisent l’intérêt du peuple et de la Nation. »
Et d’ajouter :
« Il faut un système qui garantisse la continuité de la gouvernance du pays, que ce soit les Orléans, les légitimistes ou quelqu’un qui vient à la Bonaparte restaurer une famille. »
Dédiabolisation
Soirée bling-bling avec Jean-François Copé
Des royalistes soutenus par le Front National en 2014 ? Joint par StreetPress, Nicolas Bay, en charge de la campagne municipale, ne souhaite « pas s’exprimer sur des citations qu’on [lui] rapporte ». Le nouveau secrétaire général du parti préfère insister sur « l’attachement incontestable du Front National à la République » et minore l’influence de l’Action Française – « un mouvement peu actif ». Il rappelle que l’AF est « plus un pôle de réflexion qu’un parti politique », ce qui ne rend « pas incompatible » son appartenance avec un engagement au sein du Rassemblement Bleu Marine. Oliver Perceval, principal animateur de l’Action Française, était d’ailleurs invité au colloque du Siel ce week-end , l’autre composante du mouvement lepéniste pour les élections.
Wallerand de Saint-Just prend, lui, la défense de son poulain, dont il assure ne pas être au courant du militantisme royaliste :
« Le FN n’a rien à voir avec les monarchistes. Monsieur Hatem, en étant candidat Rassemblement Bleu Marine, a son brevet de démocrate et de républicain. »
Et de s’énerver lorsqu’on emploie l’adjectif « extrême droite » :
« Pour vous, l’Action Française est à l’extrême droite, Hatem est à l’Action Française, donc le FN est d’extrême droite. C’est n’importe quoi ! »
Téléphone arabe
Avec Jean-Marie Le Pen et Roland Dumas
Mais la candidature d’un candidat « antirépublicain » gêne aux entournures dans l’équipe de campagne du Front National. Quelques minutes après notre échange avec Wallerand de Saint-Just, c’est Élie Hatem qui nous appelle en insistant pour retirer ses propos « contre la République ». Le candidat reconnaît avoir reçu un coup de fil de son boss, illico presto.
Le 18 janvier dernier, L’Action Française organisait une grande journée de débat à l’occasion des commémorations de la décapitation de Louis XVI . Parmi les invités, plusieurs cadres du Rassemblement Bleu Marine comme Paul-Marie Couteaux ou Aymeric Chauperade. Des convives qui ont annulé au dernier moment pour le plus grand regret des organisateurs. « Ils ont reçu des ordres qui viennent d’en haut », peste, joint par StreetPress, un responsable du mouvement.
Décromatie
Avec l’ancien secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali
Car les idées de l’Action Française tranchent dans un FN « dédiabolisé ». Joint par StreetPress, le politologue Jean-Yves Camus, s’étonne de la candidature d’un royaliste comme tête de liste à Paris « alors que le FN n’a de cesse de se revendiquer républicain. » Le spécialiste de rappeler « qu’il s’agit de deux boutiques totalement différentes », même si dans les années 70 l’historien royaliste Jean-François Chiappe devient vice-président du FN. Camus d’insister :
« Par la nature même de ses principes, L’Action Française offre peu de débouchés politiques. Les militants les plus sérieux vont soit à droite, soit au FN. »
Aux dires d’Élie Hatem, c’est la première fois depuis 20 ans qu’un membre de l’Action Française se présente à une élection. Le candidat surmonte ses contradictions démocrates :
« Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’on reste à agiter des drapeaux en criant “Vive le Roi” et “A bas la République“ ? Il faut un travail sur le terrain, même si c’est sous la couverture de la République. »
Cadre
A StreetPress, Élie Hatem se présente comme une personne avec de l’entregent. Citant le député PS Pascal Cherki ou l’ancien ministre de Mitterrand Roland Dumas parmi « ses amis », il se vante d’être un proche des Le Pen – il fréquenterait Marine depuis ses 19 ans – et de Wallerand de Saint-Just qui l’a nommé candidat. Avocat international, Élie Hatem s’est aussi fait remarquer en défendant le mercenaire Bob Denard lors de son procès en 2006. Mais le fringant monsieur est surtout le descendant d’une belle lignée d’aristocrates libanais de confession maronite parmi lesquels Cheikh Eid Hatem, nommé gouverneur du Liban par Louis-Napoléon Bonaparte en 1861.
C’est ce joli pedigree qui lui vaut d’être propulsé tête de liste Rassemblement Bleu Marine pour Jean-Yves Camus qui estime que le Front National n’a toujours pas surmonté son problème de cadres :
« Là, ils ont quelqu’un d’intelligent avec une aura. C’est un avocat international reconnu, une personnalité du milieu libanais à Paris. »
Élie Hatem sait aussi se montrer séducteur : entre deux blagounettes, il propose à StreetPress de devenir notre avocat gratuitement ! C’est d’ailleurs sur ce thème qu’il compte faire campagne :
« Les citoyens ont besoin d’élus disponibles qui travaillent sur le terrain. Je suis prêt à leur donner mon numéro de portable pour trouver des solutions à leurs problèmes. J’ai l’habitude en tant qu’avocat, je pourrais traiter leurs affaires comme si je m’occupais des dossiers d’un client. »
Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.
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