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    10/06/2014

    « T'as l'air si doux. Et qu'est ce que t'es beau... »

    A Paris, les Yétis vendent des cocktails dans la rue

    Par Barbara Bourreau

    Il est 2 heures du mat' à Oberkampf et vous avez croisé quelques yétis poilus dans la rue qui servent des cocktails ? Pas de doutes, vous venez de rencontrer le Bar Déambulant. Une bande de potes qui vend des boissons pour faire vivre une recyclerie.

    Paris, Oberkampf – A côté du Café Charbon, il est 2 heures du mat’ et deux yétis poilus interpellent les passants :

    « - Une petite poirette pour avoir la patate M’sieur Dame ? C’est 3 euros !
    - C’est fort?
    - C’est fort bon ! »

    Le groupe de jeunes, déjà éméchés, se délaisse de quelques euros et repart avec un gobelet rempli d’un étrange breuvage.

    ZE STORY

    « La première fois que j’ai fait le yéti, c’était il y a un an et demi, sur un coup de tête, j’ai préparé 20 litres de cocktails et je me suis fait 185 euros. Quand je suis allé me coucher j’avais la tête pleine d’étoiles et de gens rencontrés » nous confie Étienne, grand gaillard dreadeux, entre deux bouchées de pâtes veggie.

    Tout commence au squat de La Bobine, à Clichy. Une petite asso y monte une recyclerie mais tout ça a un prix. Qu’à cela ne tienne, Étienne Soubrié, ex-étudiant en cinéma arpentera désormais les rues affublé d’un costume de Yéti en vendant du vin chaud l’hiver et des cocktails l’été. « Le Bar déambulant était né ! »

    BUSINESS

    Dans les grosses soirées, Étienne et sa clique de poilus délurés rencontrent jusqu’à 500 personnes. Un business plutôt rentable, puisque chaque verre est vendu 3 euros.

    « Mais au final on fait des prix si plusieurs personnes en prennent, on fait goûter et on offre pour les anniversaires ! »

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    Paré pour une longue soirée. / Crédits : Barbara Bourreau

    En tout, ils auraient de quoi faire 100 verres chacun, nous expose Dem en enfilant sa combinaison à poils, « mais on les fait jamais, au mieux on doit vendre 80 verres chacun dans les bons soirs ». Pour un baril de 15 L qui leur revient à environ 100 euros, un bon yéti sachant tchatcher se fait généralement une marge de 110 euros. La moitié va au yéti-vendeur, l’autre à l’asso.

    Dans leur backpack on trouve « de la poirette ou de la fraise romanov‘ », des cocktails de leur invention faits maison et avec « des produits sains » issus du marché ou de petits producteurs. « Bon pour l’instant, le cidre on l’achète à Leclerc, mais il faut que j’aille en Normandie pour récupérer le meilleur cidre que j’ai goûté de toute ma vie » nous explique Étienne en versant son jus de poire de Groslay (95) dans les barils qu’il portera plus tard.

    DIY

    Au squat, en attendant que le dessert cuise, on échange des idées autour de futurs produits comme des smoothies ou de nouveaux points de vente pour élargir le terrain entre deux blagues potaches. Du pont Alexandre III aux Solidays, les yétis n’ont pas leur ambition dans la poche sans pour autant vouloir devenir une grande chaîne :

    « Ce qui nous plaît c’est l’humain, le contact avec les gens, bouger tout le temps, si tu perds ça, tu perds l’essence yéti »

    Vendeurs à la sauvette de boissons chaudes dans les trains le jour, Yétis la nuit, la vente de boisson est leur principale source de revenus, alors autant vous dire qu’ils mettent le paquet. « On fait tout maison, des cocktails aux costumes, alors du coup on peut tout revendre et tout refaire à la demande ! » sourit Dem. Et de la demande il y en a, ce ne sont pas moins de 9 personnes qui les interpellent au cours de la soirée pour savoir où il était possible de se procurer les combi’ de Yéti.

    C’EST PARTI MON YÉTI

    Après une dernière clope, et les ultimes retouches aux costumes, les yétis se lancent à l’assaut de Paris. De Bastille à Pigalle, les poilus quadrillent Oberkampf, Châtelet et Mouffetard à pieds ou à vélo, équipés de leur 15 L de mélanges home-made épicés et d’une centaine de gobelets. « La première heure c’est un peu rude, mais plus ça se vide et plus c’est léger et mieux ça va », transpire Dem dans le métro.  C’est en tout plus de 20 kilos que les créatures velues se trimballent sur le dos dans tout Paname. Étienne renchérit :

    « Depuis que j’ai commencé, j’ai pas pris un gramme mais je suis devenu super balèze, la clé, c’est de ne pas rester statique. »

    A chaque soir son quartier, en fonction de l’humeur de l’équipe, qui refuse de s’imposer un lieu à l’avance pour laisser place à l’aventure et au feeling.

    YETI LOVE

    C’est Étienne qui se lance en premier à l’assaut des passants. La tchatche facile, le petit mot rigolo, il arpente les rues un sourire toujours vissé sur le visage. Dem le suit joyeusement, en prenant des chemins de traverses, les petites rues sur le côté. Il est artiste, et profite des aléas des rencontres pour donner sa carte :

    « Salut, je suis artiste, je moule des corps de femmes, ça t’intéresse? »

    Yéti Power !

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    Quelques instants plus tard, c’est lui qui se fait alpaguer par une cliente. « Oh WAOW ! Mais tu as l’air si doux. Et qu’est ce que tu es beau… Tu me fais vraiment penser à John Snow … », susurre une fille légèrement éméchée à Dem dans le métro. Bizarrement à l’ère de l’épilation intégrale, le total look poil fait fantasmer.

    « Ça arrive assez souvent que des mecs ivres te regardent avec des grands yeux en marmonnant que tu les excites avec tous tes poils » nous raconte Léa, la bouche pleine de schtrudle au melon.

    Sportif et doux, le yéti qui baroude dans les rues de Paris a un grand capital sympathie. Partout où il passe – même si les gens n’achètent pas – ça câline, ça touche, ça caresse dans le sens du poil, ça fantasme et ça selfise sans fin. Souvent les clients interpellent les bêtes à poils pour savoir si ce n’est pas la nouvelle opération de com’ d’un bar à la mode ou d’une marque de téléphonie. Et quand Étienne explique que l’argent va à la recyclerie, les passants décollent carrément.

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    « Par courtoisie, on ne sert pas juste devant les bars. » / Crédits : Barbara Bourreau

    LES RELOUS

    De 23 heures à 4 heures du mat’, garder la pèche, c’est tout un art. Surtout que les clients en face ne sont pas toujours faciles, comme nous raconte Renard :

    « On tombe parfois sur des sorties de soirées genre sur les quais, où il n’y a que des drogués. Avec la MDMA, en 50 mètres ma cuve était à moitié vide mais avec la kétamine, c’est autre chose, les gens sont tendus et suspicieux. »

    S’ils ne se sont jamais fait agresser, les yétis font gaffe. A partir d’une certaine heure et d’un certain taux d’alcoolémie, les gens ne calculent plus ce qu’ils font. « Eh viens là que j’t‘arrache les poils du cul ! » hurle un mec vers 3 heure du mat’, sous les éclats de rires de ses potes. Dem lève les yeux au ciels et nous lâche :

    « Ça c’est notre quotidien, 50% des gens sont débiles, et à partir de 3 h du mat’, ça passe à 88 % »

    Légalité

    « Faites attention y a les flics quand même, c’est pas grave? » demande un client en regardant autour de lui comme s’il achetait de la weed en pleine rue. Pas d’inquiétude, chacun des membres du Bar Déambulant – le nom officiel de la troupe à poils longs – possède une carte de vendeur ambulant ce qui permet d’après Étienne « de vendre toutes les boissons du monde ». Ce n’est pas encore la licence 4, mais ça fait l’affaire :

    « Une fois je me suis fait confisquer mon matos par des flics, ils ont même menacé de prendre mon costume de yéti et de me laisser à poil sur le trottoir, mais je me suis pointé le lendemain au comico avec ma carte de commerçant ambulant et ils m’ont tout rendu illico. »

    Ceux qui font un peu plus la gueule, ce sont les patrons de bars. Les yétis sont de plus en plus connus dans le quartier à force de roder dans le coin mais ils ont une règle élémentaire : « par courtoisie, on ne sert pas juste devant les bars. » Salués avec plus ou moins de froideur par tous les videurs, certains boivent tout de même un godet avec eux :

    « C’est mes potes les yétis, ils apportent de l’animation, c’est bien » nous dit Stefan* le baraqué, une oreillette scotchée au crâne et un verre servi par les yétis dans l’autre.

    Le Bar Déambulant vadrouille dans les rues de Paris les vendredi / samedi / dimanche à partir de 23 h et jusqu’à 4 h du matin. La recyclerie des yetis, est au Squat La bobine Alternative, à Clichy.

    *Stefan ne s’appelle pas Stefan

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