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    10/10/2014

    Le rap dissident tente l’OPA sur le rap conscient

    Le rap français part en quenelle

    Par Mathieu Molard

    C’est l’évènement de la rentrée dans la Dieudosphère : le producteur Mathias Cardet lance une plate-forme pour diffuser le meilleur du rap dissident. Un bon filon à l’heure où les big up à Dieudo sont devenus la norme.

    La quenelle. Janvier 2014, dans les studios de Skyrock, rue Greneta à Paris. Médine, star du rap français, squatte les lieux pour une semaine en tant qu“’invité vedette de Planète Rap”:https://www.youtube.com/watch?v=do_5shmdc3s , l’émission hip-hop la plus écoutée de France. Il en profite pour glisser une quenelle et s’empresse de publier la photo sur Facebook. Un geste « antisystème » justifie l’artiste quelques mois plus tard.

    Dans les sommets des charts du rap français, Médine n’est pas le seul à revendiquer son « antisystème » à la sauce Dieudonné. En vrac : Rohff, Booba (à une époque), El Matador, Kamelancien, Sadek et la liste est encore longue…

    Après le rap conscient, le rap dissident ?

    Du rap commercial à l’underground

    Plutôt « une opération marketing », dénonce Mathias Cardet qui leur reproche de ne soutenir l’humoriste antisioniste qu’à demi-mot. Dans son pamphlet “L’effroyable imposture du rap”:http://www.kontrekulture.com/produit/l-effroyable-imposture-du-rap, ce proche d’Alain Soral qualifie le rap de « nouvelle musique de l’Empire ». L’industrie du hip-hop serait un système de domination et d’abrutissement des quartiers populaires, aux mains de quelques milliardaires « libéraux-libertaires ». Une thèse qu’il défend à l’occasion de plusieurs conférences données aux côtés du fondateur d’Egalité et Réconciliation.

    Pourtant c’est bien tout le rap français qui se nourrit de quenelles. Du plus célèbre, comme Rohff. En concert au Zénith de Paris le 11 avril dernier, il interprète le morceau intitulé « Le Soleil », reprenant en guise de refrain l’expression « Au-dessus, c’est le soleil ». Une allusion au peuple juif, popularisée par l’humoriste Dieudonné.


    Vidéo – Le clip “Quenelle Epaulée” du Dailand Crew

    Mais aussi des groupes plus confidentiels comme le Dailand Crew, qui est allé tourner le clip de son morceau « Quenelle Epaulée » devant la mairie de Levallois, en guise d’hommage aux époux Balkany. Joint par StreetPress, Kezo Kiliblack, un des MC du crew, explique :

    « Quand j’ai lu dans la presse qu’ils avaient fait une demande d’allocation au nom d’Isabelle Balkany, je me suis dit : “Ils sont trop forts ! C’est des Jedi ! En fait ce sont eux les vrais maîtres quenelliers !” C’est pour ça qu’on a décidé de tourner là-bas »

    Au nom de la liberté d’expression

    Le Dailand Crew était au « Bal de la quenelle 2014 », le grand raout de « la dissidence » organisé à Saint-Lubin-De-La-Haye, le village où réside Dieudonné. Ils ont pu y partager une merguez avec Laurent Louis , le chef du groupuscule Debout les Belges, ou Farida Belghoul, la pasionaria des anti-gender.

    Mais quand on leur demande s’ils soutiennent Dieudonné, les rappeurs du 92 bottent en touche :

    « Chez Dieudo, je ne prends pas tout. Ses conneries avec Le Pen et Soral, je n’adhère pas. Par contre, ce n’est pas au gouvernement de le censurer. »

    El Matador, auteur du morceau « Polémiquement incorrect », explique aussi dénoncer la censure. Entre deux tacles au Crif et à BHL, il se compare à Dieudonné. En cause, la suppression d’un de ses clips sur YouTube qu’il impute, entre autre, à un lobby.

    Sollicité par StreetPress, il se contentera d’un message sur Facebook :

    « Tout ce que je pourrais dire au sujet de la quenelle sera utilisé à contre sens. (…) Le Crif a décrété que c’est un salut nazi, donc on ne retiendra que ça dans les livres d’histoires car ce sont eux qui les écrivent. (…) Ça ne m’intéresse pas d’en parler car je ne suis pas dans le bon camp. »

    Ambiguïté et hypocrisie

    De tous les rappeurs que StreetPress a contactés, ils ont été une poignée à accepter de répondre à nos questions. Et aucun ne reconnait un soutien à Alain Soral ou Dieudonné. A l’image d’Alibi Montana, qui a pourtant écrit un morceau dénonçant la censure du propriétaire du théâtre de la Main d’Or, sobrement intitulé « Dieudonné » :

    « Moi je ne soutiens pas les positions politiques de Dieudonné et Soral. Mais Valls ferait mieux de nous trouver du travail plutôt que de s’occuper de Dieudonné. »

    (img) Médine devant une copie du mur de séparation de Bétlehem medine-quenelle-4.jpg

    Ambiguïté toujours, Médine glisse une quenelle dans les locaux de Skyrock. Puis devant une réplique du mur de séparation de Bethléem. Mais face aux caméras de Canal+ il, jure que « [sa] quenelle n’est pas celle d’Alain Soral ». Son attitude confine à l’hypocrisie quand il se rend au théâtre de la Main d’Or pour assister à une conférence du tribun « panafricaniste » et antisémite Kémi Séba. Médine se fera ovationner pendant plusieurs minutes à la demande de Séba qui le présente comme « un ami ».

    « Assister à la conférence d’un homme ne veut pas dire épouser ses idées », s’est justifié Médine dans un droit de réponse suite à notre article sur le sujet. Ce qui ne l’a pas empêché de poster sur Facebook des messages accompagnés du hashtag « #freekemi » après l’incarcération de ce dernier le 17 septembre. Ou d’être annoncé en première partie pour une conférence à Bruxelles de Kémi Séba, flyers à l’appui.

    Bras d’honneur production, un label « dissident »

    Pour récupérer les rappeurs attirés par la dissidence, Mathias Cardet a lancé une plate-forme de téléchargement et de diffusion, « Bras d’Honneur ». Mis en ligne au début de l’été, le site totalisait 90.000 visiteurs uniques le premier mois. « Bras d’Honneur » produit aussi une poignée d’artistes à l’idéologie assumée, via sa branche label :

    - Zirko, rappeur au flow hard-core, qui à coup de punchlines dénonce en vrac, le nouvel ordre mondial, le lobby LGBT, le Crif, les francs-maçons et ceux qui « étouffent tout le travail de Faurisson »

    - Ousman qui a joué en première partie du Bal des Quenelles 2014 son morceau « SS »… pour « Suceur de Sioniste ». Sur son Facebook, il pose bras dessus – bras dessous avec Robert Faurisson.


    Vidéo – Soral, Cardet et Pérone présentent Bdh

    Pour ses artistes en contrat, le label assure à ses frais le conseil artistique, l’enregistrement dans ses propres studios et le tournage des clips. En échange l’artiste reversera 50% des bénéfices à venir.
    Pour le lancement, Alain Soral y joue le rôle de parrain, comme il l’explique dans une vidéo. Mais quelques semaines après l’interview, la plateforme est en stand-by. Et Cardet nous rappelle pour préciser que la nouvelle version sera en ligne le 20 octobre, sous l’intitulé BDH-Musique :

    « Avec ce nouveau nom on sort du politique. »

    Réseau dans le milieu du rap

    Dans son projet, Mathias Cardet est accompagné par Stéphane Pérone. Si son nom n’est pas connu du grand public, il a pas mal bourlingué dans le monde des musiques urbaines : il a produit « Et c’est parti », tube de Nâdiya vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires en 2004. Mais aussi plusieurs titres pour Rohff en compagnie de Mathias Cardet déjà, sur le label Banlieue Sud Recordz. Il est aujourd’hui à la tête de « 1D for life ».

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/quenelle-nid1.jpg

    Au centre : Mathias Cardet, en compagnie de son associé Stéphane Perone / Crédits : Mathieu Molard

    Il peut compter, pour relayer ses actus, sur un autre ancien du game : le rappeur Tepa. « Les Spécialistes », groupe de rap engagé qu’il fonde à la fin des années 1990 avec Princesse Aniès, a connu un certain succès. Notamment grâce à l’album Reality Show, produit par Kool Shen sur son label « IV My People ». Passé par l’UPR de François Asselineau, il est désormais l’un des tauliers du site dissident Meta TV .

    Côté marketing, « Bras d’Honneur » sponsorise une équipe de foot de Gentilly et prochainement un club de boxe. 400 t-shirts siglés « BDH » auraient été distribués dans les quartiers. Reste à savoir si des gros poissons du rap game se sentiront de les rejoindre. Mathias Cardet jure que tant que les artistes ne joueront pas plus franc-jeu, il ne mangera pas de ce pain-là :

    « Ils acquièrent leur lettres de noblesses dissidentes, tout en faisant bien attention à ne pas aller trop loin, à ne pas franchir la ligne jaune, sous peine de s’aliéner une partie des médias et de ses parts de marché. »

    Certains semblent pourtant prêts à franchir le rubicon. Dans son dernier morceau, Médine y va de son petit big up au patron de Bras d’Honneur :

    « J’vais tuer ce métier comme un bouquin de Mathias Cardet. »

    Ce dernier en prend bonne note :

    « Moi je suis fraternel, il me tend la main je la prends. »

    Article modifié le 14/10 : Edel Hardiess n’est pas en contrat avec « BDH ».

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