Deux fumigènes s’allument sur le trottoir qui borde le siège de TF1. Le premier est tenu par un ado au look de skinhead arborant un drapeau français. Le second est brandi par une maman avec un fanion de la Manif pour tous dans l’autre main. Dans cette micro ambiance de stade serbe, le 30 décembre 2014, Electre prend la parole face caméra :
« Hollande, Taubira ! Vos lois on n’en veut pas ! Parce qu’on en a marre, parce que la première chose à faire quand on en a marre… »
Un message écrit apparaît : « Éteins ta télévision ». Puis Electre et le baby skin éclatent à coups de masse trois téléviseurs, tout en criant :
« Ca fait du bien ! Hollande démission ! »
Electre éclate des téléviseurs devant le siège de TF1. / Crédits : Electre
Bien que la vidéo ait été partagée sur Facebook par la page non officielle d’Eric Zemmour (plus de 55.000 fans tout de même), elle affiche à peine plus de 2.000 vues.
Ca, c’est pour le volet action politique. Côté passion-boulot, Electre donne, entre autres choses, dans le porno. En mode auto-entrepreneur, elle gère le site Electrexxx.com, dédié à ses œuvres. A première vue, ça parait louche. Comment peut-on, le matin, défendre le mariage comme privilège de deux individus hétéros portant un anneau de fidélité et, le soir, vendre l’intimité de son corps à différents partenaires sexuels ?
« Toute la terre à tes trousses »
Quand StreetPress lui propose un premier rencard, Electre hésite. Par « peur du rendu », confie celle qui se revendique sur le net « faf », pour « La France aux Français ». Quelques mails plus tard, dans un café, l’actrice-militante croise ses collants déchirés. Des collants encadrés d’un poum poum short et de Doc Martens glacées aux lacets blancs. Pour ceux qui ont loupé la grande époque des bastons keupons, les lacets blancs peuvent signifier « white power » ou simplement indiquer à un skin porteur de lacets rouges qu’il est en présence d’un ennemi.
« Désolé pour le retard, j’ai eu une commande de dernière minute pour mon client principal. » Electre travaille comme web designer pour des sites à connotation politique – sa ligne politique. Elle accepte de se livrer à une condition : ne pas avoir à donner son vrai nom.
« C’est une question de sécurité. C’est déjà problématique quand t’es actrice X avec les pervers. Si tu ajoutes les islamistes et les antifas, laisse tomber, t’as toute la terre à tes trousses. »
Du wesh au faf
Afin d’embrasser en un seul mot ses activités, Electre se qualifie de « mini agence digitale » ou, de façon plus juste, de « couteau suisse ». Comprendre : un même corps déployant différentes fonctions, certaines se tournant le dos.
Sur le web, sa courte autobio indique qu’elle est passée « du wesh au faf ». Ado, les punchlines hardcore la dégoûtent. « Je me disais, les raps super offensifs, c’est de la merde. A l’époque, j’arrête de voir mes copines qui écoutent ça. » Sa politisation s’accélère devant une téloche non défoncée.
Premier souvenir, des parents électeurs du FN qui se lâchent devant le 20h :
« Comme une ado, je disais encore à mes parents : ’Halala mais vous ne pouvez pas dire ça, vous êtes racistes !’ Puis, j’ai compris que c’était eux qui avaient raison. »
Un 21 avril au champagne
(img) Electre feat le prez’
Peu à peu, celle qui ne s’appelle pas encore Electre se met « à militer pour le prez’ », alias Jean-Marie Le Pen. Militer se résume à faire des collages nocturnes pour le Front national. Pas en mode militant, « je ne suis encartée nulle part », précise-t-elle. La jeune activiste a tendance à faire ses trucs dans son coin, en louve solitaire. Elle va sur le site du FN et imprime à ses frais 100 fausses cartes vitales à l’effigie « du prez’ ». Puis va les coller, toujours en solo.
Le 21 avril 2002 joue les catalyseurs. Jean-Marie Le Pen remporte le premier round des présidentielles aux côtés de Jacques Chirac :
« Quand j’ai vu à la télé le résultat du premier tour, c’était surréaliste, j’étais hystérique. On a sorti le champagne ! »
Au bahut, le lendemain, tout le monde n’a pas l’air chaud pour trinquer. Sa prof d’histoire lance à la classe :
« Je ne fais pas cours, je vais manifester, vous devriez y aller aussi ! »
Electre hallucine et lui dit que c’est « anti-démocratique ». Ses parents se font convoquer, elle se fait exclure deux jours. Si le 21 avril a traumatisé une génération de lycéens, Electre, elle, prend sa claque en décalé. Le soir du 5 mai, le prez’ chute sans avoir franchi les 20%. La passionaria brocarde alors un « matraquage médiatique » qui proviendrait d’un unanimisme « gauchiste » commun aux profs et aux journalistes. Ses convictions s’enracinent.
Son « dieu vivant » est une porn-star
Comme pour son militantisme pro FN, Electre s’auto engraine dans le porno. Elle lit le magazine Max très jeune, traîne avec des gars plus vieux et mate beaucoup de films de boules :
« J’ai toujours été perverse dans l’âme, j’ai toujours beaucoup pensé à ça, au sexe quoi. »
Elle rêve de gang bang mais n’ose pas se lancer. Qu’en penseraient ses parents ? Une nuit qu’elle surfe sur kink.com, « le temple du BDSM (ndlr, bondage et discipline, domination et soumission, sadomasochisme) », elle se décide à contacter Mark Davis, un acteur anglais dont elle est fan. «C’est mon maître, mon dieu vivant ». L’étudiante en licence d’info-com trouve le mail de son idole via My Space. Elle entame un dialogue numérico-épistolaire sur plusieurs mois.
Le « complexe d’Electre »
En décembre 2012, Electre est de passage chez sa sœur à Los Angeles, la Mecque mondiale du porn. En pleine nuit, sous une pluie battante, elle débarque à son rendez-vous dans une maison cossue de Woodland Hills. Sur le perron, la pornstar Mark Davis himself l’attend.
« On a passé une bonne semaine et demi ensemble, je te laisse imaginer… C’était fantastique ! »
L’acteur la convainc qu’elle a du potentiel. Elle qui galère un peu niveau job prend la décision de se lancer dans le porno. Elle rentre à Paris et devient Electre. Un surnom tiré du « complexe d’Electre ». Théorisée par le psy Carl Jung, cette notion se veut le miroir du complexe freudien d’Œdipe. En gros, au lieu d’être un mec qui reluque sa mère, c’est une fille qui désire son père. Dans le porno, son père spirituel s’appelle Mark Davis. En politique, c’est le prez’. Ça colle.
Porno low cost
(img) Du wesh au faf
En 2013, sa première scène tournée avec l’acteur « Titof » donne lieu à une interview dans Hot Vidéo, le mag tenu par Tabatha Cash. Candide, Electre annonce vouloir « s’exporter à l’international » et « faire sa petite révolution dans le porno ». Le réalisateur John B. Root constate alors qu’elle a « une énergie sexuelle incroyable ». Deux ans et six films plus tard, Electre déchante.
« C’est un truc de galérien. Le star-system des années 90 et le temps de la VHS sont révolus. Aujourd’hui, en France, tu crèves la dalle, tu ne peux pas faire fortune. » Un film rapporte moins d’un demi smic. Et surtout, pour décoller, il faut confier sa carrière à un agent. « Et si tu fais ça, tu ne vas plus pouvoir choisir les mecs avec qui tu tournes. » Car Electre n’accepte de tourner qu’avec des blancs :
« Généralement, on essaye d’oblitérer la notion de race et il n’y a bien que dans le porno qu’on la légitime. La preuve : avec les agences, tu dois cocher, ou non, la case “pratiques interraciales”. Moi ce sont les mâles blancs qui m’attirent. Après un beau métisse, genre asiatico-espagnol, je dis pas… »
Une croix celtique sur le pubis
Un soir, ses deux vies finissent par se croiser. Coincée en garde à vue après une interpellation lors d’une Manif pour tous, Electre doit expliquer à son réalisateur pourquoi elle ne sera pas demain sur le tournage. « Il m’a traité de “fasciste” quand il a appris mon délire politique», déplore-t-elle.
Le réalisateur de porno en question c’est John B. Root. Il reconnaît avoir été gêné quand il a appris les convictions d’Electre :
« C’est une splendide actrice mais ça m’a un peu coincé car j’ai besoin d’avoir de l’intimité avec les gens avec qui je bosse. »
Aujourd’hui, il tempère. « Ce n’est pas insurmontable pour moi, assure-t-il. De toute façon, elle a le sigle du GUD tatoué sur le pubis, donc elle ne cache pas vraiment ses idées. » Plus exactement, Electre a une « celtos », une croix celtique, tatouée sur le haut du sexe et une seconde derrière l’oreille gauche. Et, derrière la droite, un Phi, lettre grecque symbole du nombre d’or. Sans oublier une récente croix de Lorraine en bas du cou.
Porno nationaliste
Après six films, Electre change de croisade. Place au home porn :
« Je me suis dit que j’allais maintenant devenir indépendante et réaliser moi-même mes vidéos, faire du porno qui s’adresse aux miens, avec le côté nationaliste et égérie. »
En action dans son studio parisien. / Crédits : Michela Cuccagna
Le poste de pilotage de sa vie numérique est implanté dans son studio parisien, lieu d’un second rendez-vous. Face à sa webcam et à son cendrier se dresse une barre de pole dance. Des masques à gaz patientent entre deux drapeaux français enroulés. Au mur, une sorte de blason indique « Aimer n’est pas tuer ». C’est d’ici qu’elle alimente le « Daily sexy », un système d’abonnement à deux euros par mois pour avoir accès au quotidien à ses photos de charme. 62 abonnés versent aujourd’hui leur cotisation. « C’est toujours ça », relativise Electre. Elle lance aussi le premier épisode de sa web série porn, « #EBlows », dont l’acteur principal est un internaute sélectionné. Parmi les critères de recrutement : pas de fautes de français et une photo de son sexe dressé à côté de sa main.
L’anti-femen
(img) Electre en mode anti-Femen
Son « coming out » idéologique dans le porno pousse Electre à faire tomber le tee-shirt en politique. Un combat en particulier semble taillé pour son mode d’action : être anti-Femen. Afin que les militantes venues d’Ukraine en soient dûment informées, Electre les interpelle sur leur terrain.
Le 10 septembre dernier, le tribunal correctionnel de Paris relaxe les Femen pour leur intrusion dans Notre-Dame, et condamne les vigiles pour violences lors de l’expulsion. Electre choisit ce jour-là pour se poster seins nus devant la cathédrale, le torse barré de l’inscription :
« France fille aînée de l’église bafouée, justice à deux vitesses, Femen go home ! »
Son action lui vaut de passer au Grand soir de France 3.
Dans une sorte d’étrange respect des boobs dénudés, semblable à un concours de bites entre ados galérant en colo, le compte Twitter des Femen France répond :
« Que les nationalistes françaises sont belles, mais que leurs idées sont laides. »
Discrétion chez les natios
Les gens qui la connaissent par affinités politiques feignent d’ignorer en public son existence. Electre, c’est un peu la maîtresse que l’on fréquente depuis des années mais que l’on cache toujours à ses proches. Dans sa dernière tribune anti-islam intitulée « Infidèle. #jesuiskuffar » elle constate « avec tristesse un manque de réactivité au sein de [sa] communauté ». Un texte dans lequel elle convoque aussi bien Claude Lévi-Strauss qu’Eric Zemmour.
Electre paye le prix de sa double vie. Après son défonçage de télés à la masse, les nouveaux chefs du mouvement Hollande-démission, des cathos-tradis, hésitent à relayer sa vidéo. De même, chez les identitaires qui la connaissent bien, les sons de cloche se font plutôt discrets. Fabrice Robert, boss du Bloc, tout comme Philippe Vardon, se refusent à donner leur avis. Eric Zemmour, qui suit les vidéos et tribunes d’Electre, « n’a pas le temps de répondre à nos questions ».
Des amis… pro Mélenchon
Ceux qui assument leur proximité avec Electre sont… de gauche. Sa pote qui prend la photo de ses seins devant Notre-Dame vote Mélenchon.
« Ce n’est pas pour ses choix politiques que je me suis liée à elle, explique son amie. Même si sur le coup des Femen j’étais plutôt d’accord avec elle. Personne ne la verra jamais comme je la vois quand elle boit un thé avec moi. Nos discussions sont très dépolitisées, ce sont des questionnements de jeunes femmes. Ca parle d’amour, d’ambition, de nos familles, c’est encore plus intime que la politique. »
Sa famille justement. Sujet sensible puisque son père, sa mère et ses sœurs l’ont reniée depuis qu’ils ont appris qu’elle faisait du porno. « La radiation complète », s’étrangle Electre les yeux humides.
Troisième père fortuit
Un troisième père spirituel a émergé dans sa vie. Il s’agit d’un haut fonctionnaire du nom de Robert Prosperini, inspecteur d’académie chargé des relations avec les universités étrangères. Robert Prosperini a été communiste, s’est présenté à des élections sous la bannière du parti de Jean-Pierre Chevènement et, aujourd’hui, se définit comme « plutôt Mélenchon ».
Electre s'engage contre François Hollande. / Crédits : Electre
Avant de rembobiner l’histoire, Robert pose sa chapka sur une chaise, puis lisse sa cravate floquée d’un étrange papillon. « J’ai rencontré Electre d’une façon tout à fait fortuite » s’esclaffe t-il. Un jour où Robert Prosperini saute dans un train sans billet en direction de la côte d’Azur, le contrôleur lui désigne la seule place disponible. Il se retrouve assis à côté de ce qu’il pense alors être une « gauchiste un peu punk ». Electre engage la conversation sur la thématique politique. Il pige qu’il a tout faux.
« C’était plutôt original. Je lui dit en plaisantant : “vous faites de très mauvais choix idéologiques, il y a trente ans vous auriez été membre du parti communiste ! C’est l’ambiance générale qui vous conduit dans vos choix !”. »
A son grand étonnement, elle ne dit pas non.
« Et là j’ai compris qu’on pouvait discuter avec elle, mais je ne voulais absolument pas la convertir. »
«Electre vit un paradoxe permanent. Elle fait partie des gens originaux. » / Crédits : Michela Cuccagna
Depuis, les deux amis dînent souvent ensemble. Electre lui a fait lire La France orange mécanique d’Obertone, « une thèse complètement excessive » tranche Prosperini. Lui s’est récemment proposé d’aller jouer le médiateur avec ses parents.
«Elle vit un paradoxe permanent, conclut-il. J’aimerais qu’elle assume ses contradictions sans pour cela avoir besoin de faire de la provocation. Ce serait déjà pas mal. Elle fait partie des gens originaux. »
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