A la différence des centaines de championnats amateurs qui garnissent les terrains de Paris, le Ballon FC, né il y a 3 ans, est plus qu’un tournoi de football. Sur le terrain se mêlent crampons, sponsoring, mode et réseaux sociaux. « Le Ballon, c’est ce qu’on attendait à Paris », lance avec le sourire Christopher Patard, co-capitaine de l’équipe des Glory Hunters. Il partage le brassard avec Chaï Boun. Le premier a un maillot floqué « Mignon », alors que sur le dos du deuxième est inscrit « Tsubasa », en référence au manga Olive et Tom. Entre deux vannes, ils expliquent l’avantage du Ballon FC sur les centaines d’équipes amateurs qui s’affrontent sur les terrains de Paris :
« Ce qui nous attire, c’est cet aspect transversal du football qui n’est pas qu’un sport mais un lifestyle. C’est l’ADN du Ballon ».
Tu t'es vu quand t'as bu ? / Crédits : Michela Cuccagna
Au sein de cette ligue, on retrouve Pedro Winter, l’ancien manager des Daft Punk, le designer footwear de Dior ou le responsable presse de Colette Guillaume Salmon. Jack Whelan, léger accent british raconte en rigolant :
« On a le numéro 2 en terme de design chez Dior. Le gars a du vernis noir sur ses ongles, il parle un français impeccable. Et le mec, c’est un bâtard sur le terrain ! Un boucher qui tacle des deux pieds. Il est toujours en train de saigner mais c’est le mec le plus sympa du monde. »
D’anciens pros ont également rejoint le Ballon FC. Edouard Cissé, finaliste de Ligue des Champions avec Monaco en 2004 et champion de France avec l’OM en 2010, l’ancien attaquant de Manchester United David Bellion ou l’ex-international français Steve Marlet.
Un dimanche à Bauer / Crédits : Michela Cuccagna
Pub football et lifestyle
Jack est un des fondateurs de cette curieuse ligue de football. Posé dans un bar près de Châtelet, barbe de 3 jours et bonnet noir vissé sur le crâne, il commande une pinte. « 17h30, c’est parti ! C’est ça le Ballon. C’est juste une excuse pour boire ! », se marre-t-il en triturant ses lunettes rondes aux montures métalliques qui pendouillent. Il rembobine l’histoire.
Tout a commencé avec un bar justement. Le frère de Jack, James, tenait l’Inconnu, bar branché du 10e arrondissement. Avec la Coupe du monde 2014, le bar s’est concentré sur le football et est devenu Le Ballon. Jack Whelan, balance :
« À Paris, il n’y avait nulle part pour regarder le sport. C’était soit un bar irlandais énorme sur les grands boulevards, avec ses 40 écrans et sa bad atmosphère, ou bien un PMU. Devant ce choix, on s’est dit que c’était insupportable. »
Son frère fait entrer de nouveaux noms au capital et transforme le bar en repère de footeux. Mais ils ne s’arrêtent pas là. En parallèle, ils veulent monter une agence de stratégie marketing et de positionnement de marques autour du ballon rond, avec l’approche de l’Euro 2016 en France. Ce sera l’agence Nutmeg.
Les fondateurs et un Playmobil allemand / Crédits : Michela Cuccagna
Jack et son frère souhaitent aussi faire une équipe de foot pour le bar, dans la plus pure tradition du « pub football » en Angleterre. « Là-bas, tous les bars ont leurs teams. Samedi soir, on picole dans le bar adverse, dimanche matin on joue et l’après-midi c’est encore dans le bar », précise cet ancien mono de ski.
Sauf qu’ils se prennent refus sur refus de la part des autres patrons de bar. Pas abattus, ils commencent à penser à un autre modèle. Aux États-Unis, des équipes de football amateurs allient sport et lifestyle. « On s’est rendu compte qu’il n’y avait pas ça à Paris, se rappelle Jack. Donc on a commencé de zéro ».
Il y a foule sur le bord du terrain / Crédits : Michela Cuccagna
3.000 euros de fringues par joueur
Les larrons du Ballon usent de leurs réseaux pour accélérer la naissance du projet. Pascal Monfort, qui analyse l’évolution des comportements des consommateurs chez Nike en tant que responsable « tendances », qui a contribué à la transformation du bar, leur ouvre les portes de la world-compagnie à la virgule. Jack part pitcher le projet directement chez la marque américaine, en octobre 2014.
L’idée ? 8 équipes qui s’affrontent dans un championnat de 14 matches, avec 100 joueurs « influenceurs ». Des créatifs, des graphistes, des photographes… Des profils qui ont du poids sur les réseaux sociaux. Chaque team doit avoir sa propre identité visuelle : maillot, chants, écusson. « Ils ont kiffé », se souvient l’Anglais. La firme lance justement Nike Football X, son tournoi de street-football, et cherche à booster son image. « On était le moyen de toucher les personnes plus âgées que les 15-20 ans. Pour eux, une ligue d’influenceurs, c’était parfait ».
ET LIBERTÉ POUR LES ULTRAS ! / Crédits : Michela Cuccagna
Les entraînements débutent en janvier 2015. Pendant trois mois, Jack et ses potes mettent les bouchées doubles et fignolent le tout :
« Avec Noël, c’était l’enfer. Parce que les sociétés françaises sont bien fermées. Même Nike ferme ses portes, et leurs téléphones surtout ».
La petite équipe fait quand même bien le taf. Chaque joueur obtient une dotation de 3.000 euros en équipements. Des crampons aux sneakers, en passant par les collants. Un apport qui permet à la ligue de prendre une dimension bien éloignée du « pub football » voulu au départ, détaille Jack avec son accent british qui amplifie les o :
« Pour faire ce truc ambitieux, on avait besoin de quelque chose qu’on pouvait vendre. Parce qu’acheter du matériel pour 100 mecs, louer un terrain pour 100 mecs, on ne pouvait pas le faire. Ça coûte bien trop cher. Sans les dotations Nike, on n’aurait pas eu tous les mecs qu’on a eu. »
Swag / Crédits : Michela Cuccagna
Bernard Diomède en guest
En plus des fringues, des infrastructures sont mises à disposition du Ballon FC, comme le Stade Elisabeth dans le 14e arrondissement de Paris. Et les entraînements sont assurés par des entraîneurs de club. Bernard Diomède, ancien champion du monde 98, est sollicité par la marque. « On a joué dans son tournoi, mais il n’était pas super investi. Il avait trop de choses à faire. C’était marrant de l’avoir comme parrain pour la première année mais on a arrêté ensuite », narre Jack devant sa pinte.
Au bord du terrain d’entraînement du stade Bauer, Rémi Macario encourage ses troupes. Converses noirâtres, veste treillis et une coupe brossée qui, de loin, fait penser à David Beckham. La dotation Nike? « C’était l’arbre de Noël quoi! » Mais pour le capitaine du Pub FC, une équipe très portée sur le foot anglais et plus reconnue pour sa ténacité que pour son beau jeu, c’est surtout le professionnalisme dès le début qui a fait la différence :
« J’ai écumé les matches de ligue à 7 ou à 11 pendant sept-huit ans à Paris. Tu changes de stade toutes les semaines, t’as pas d’arbitres parfois ou les joueurs ne viennent pas… Quand là, t’as tout qui est réuni dans un même endroit ça ne fait qu’augmenter ton envie d’y adhérer ».
La nuit tombe sur Bauer / Crédits : Michela Cuccagna
Nike, le divorce
Le partenariat avec Nike a quand même ses inconvénients. Dès la deuxième saison, les équipes tentent de faire des designs de plus en plus créatifs. « Mais pour faire un maillot avec Nike, le minimum de la quantité, c’est 20.000 pièces. Ils n’allaient jamais lancer les machines pour ça », raconte Jack. L’Anglais trouve un artiste à Bobigny qui fait de la sublimation, cette façon de personnaliser les t-shirts.
La pirouette ne dissipe pas tous les problèmes. « Les gens ont pensé qu’on avait la liberté de faire exactement ce qu’on voulait mais en réalité ce n’était pas du tout le cas. Il y avait toute l’ombre massive de Nike sur nous », assène le co-fondateur du Ballon. La marque veut contrôler son image, jusque que sur leurs réseaux sociaux. Exemple : lors d’une soirée au bar en 2015, les membres de la Ligue prennent une photo avec Blaise Matuidi qui porte le maillot du Ballon FC « pour chambrer avant le match contre le Barça ». Cinq minutes plus tard, ils reçoivent un appel leur intimant de supprimer la photo car le joueur devait faire un shooting pour la firme.
Une autre fois, le Ballon met en vente des maillots sur son site. Sauf que ça produit de nouvelles embrouilles. « Finalement, tout s’est “ended with tears” [terminé dans les larmes] avec Nike, résume Jack. On a eu de gros soucis ».
Les joueurs du Ballon FC ne sont pas des hommes sandwichs / Crédits : Michela Cuccagna
Coca-Cola et chiropracteur
Pour la troisième saison, les équipes sont parties sans un équipementier global car Jack et ses potes en avaient marre d’être caractérisés de « truc Nike » :
« Bon, tous les mecs étaient “head to toes” [de la tête aux pieds] en Nike, donc c’est facile de voir pourquoi les gens ont pensé ça. Mais cette année on évite ça. On n’avait pas envie d’avoir des contraintes ou des boss ».
L’entreprise au swoosh a évidemment repris toute sa dotation. Qu’à cela ne tienne. « On s’est adapté parce que le plaisir de jouer au foot était plus important, sourit Guillaume Salmon, le responsable presse de Colette, le fameux concept store. On a contacté d’autres partenaires. »
C’est donc le logo de Coca-Cola qui apparaît sur le maillot blancs aux fines rayures noires de son équipe des 75ers. Une belle prise, qui résulte pour beaucoup du succès du Ballon et de sa com’ léchée. « Quand on les a contactés, ils savaient direct de quoi on parlait », embraye le trentenaire à sa sortie du terrain. Il enfile un imper bleu qui cache ses tatouages sur ses deux bras, check ses coéquipiers et continue de s’échauffer :
« Coca nous a donné une enveloppe. Ça a permis d’acheter toutes nos tenues, de payer la licence de tous les joueurs, de faire un resto de temps en temps… On a de la chance par rapport à d’autres ».
Tu veux mon poing ? / Crédits : Michela Cuccagna
De quoi se payer également un chiropracteur-joueur et un coach particulier. Au milieu du match, le cadre blague avec ce dernier sur le bord du terrain : « Je peux y aller là ? J’ai un dîner dans le 16e… ».
D’autres équipes, comme le Foot Tang Clan ou les Glory Hunters sont désormais équipées par Puma. La marque féline fournit aussi les ballons, chasubles, gourdes, gants ou cache-col à la ligue. « Pour eux, le cache-col et les gants, c’est toujours visible. Ils vont utiliser les images pour les réseaux sociaux », abonde Jack avec un grand smile.
Et ce n’est pas tout. Le Ballon FC a aussi négocié un « mini-partenariat » avec Adidas via le Red Star qui prête le Stade Bauer au Ballon FC. Toutes les équipes s’entraînent désormais en maillot à trois bandes. Le côté homme-sandwich ne dérange absolument pas les joueurs. Déjà, pour la première saison de la ligue, le logo étoilé était dû à un accord avec Heineken. « C’était bon pour eux aussi, #LoiEvin », balance Jack en croisant ses doigts pour imiter le hashtag.
Instagram de rigueur
Cet attrait des marques pour la ligue engendre son lot de fantasmes sur le Ballon FC. « Il y a eu beaucoup de choses qui ont été dites, comme quoi on était des enfants gâtées », hausse Rémi Macario, le capitaine au treillis du Pub FC. Autre critique : son côté « club fermé ».
Lorsqu’il a réuni les 8 capitaines qui allaient former leurs équipes après son entrevue chez Nike, Jack Whelan a établi 3 critères : S’engager à fond, avoir un bon niveau footballistique et être « influent ». Après une semaine, lui et ses potes du bar regardent les noms des sélectionnés. Il rembobine :
« S’il y en avait qu’on ne connaissait pas, on demandait qui c’était et son compte Instagram. Sans avoir forcément 100.000 followers mais il fallait que ça reste un business. Si tu veux faire partie du jeu, il faut le jouer ».
En additionnant tous les joueurs, le Ballon FC atteint presque les 600.000 followers. Le compte seul du Ballon en a 14 000. Une belle force de frappe quand on sait que des clubs de Ligue 1 comme Bordeaux ou Toulouse en ont 40.000. Et tout est fait pour augmenter la portée sur les réseaux sociaux. Lors des matches à Bauer, des joueurs arborent fièrement des sweats avec la mention « #LBFL »: Le Ballon Football Ligue.
Foot et Super Bock, la base / Crédits : Michela Cuccagna
Des mecs hypes, mais pas uniquement
Si certaines équipes comme les 300, les 75ers ou le Foot Tang Clan se défendent d’avoir des influenceurs dans leurs teams, la ligue a demandé au Foot Tang d’intégrer deux nouveaux joueurs pour « améliorer leur influence » la saison dernière. Rémi Macario n’est pas surpris :
« Il faut avoir un vrai intérêt pour la ligue. C’est du donnant-donnant. Mais j’ai fait rentrer des joueurs qui n’avaient pas forcément cet intérêt. Après, tout se justifiait. Ils avaient d’autres choses à mettre en avant. Ce n’est pas non plus un truc de consanguinité de joueurs soi-disant cools. Parce que sinon, on n’en serait pas à la troisième saison. »
D’ailleurs, Jack précise que lors de la création des équipes, plusieurs joueurs qui ne répondaient pas aux critères ont quand même intégré la ligue, « parce qu’ils étaient méga-forts ». Et cette saison, c’est même « un peu plus souple », témoigne Rémi. Mais Jack assure qu’il ne peut pas aller plus loin:
« Je serais ravi si on pouvait élargir la ligue et en faire une à vingt équipes. Mais ce n’est pas du tout réaliste. Il faut beaucoup d’argent. Et on ferait comment ? On commencerait à téléviser ? Personne ne va acheter les droits pour la ligue du Ballon FC. »
Pour l’Anglais, il faut garder à l’esprit le côté authentique.
Devant l'Olympic, le bar du Red Star / Crédits : Michela Cuccagna
La Franc Maçonnerie du Foot ?
Car en dehors de tout esprit de compétition, les footeux du Ballon sont avant tout heureux de jouer entre personnes qui partagent leur vision du sport. Pendant qu’une des équipes encaisse le but le plus rapide de l’histoire de la ligue, les inséparables Christopher Patard et Chaï Boun s’entraînent en rigolant sur le bord du terrain en sirotant des bières. « À la base, le but du Ballon c’est de gagner mais on ne se détruit pas la gueule. On va boire des coups après le match, c’est l’esprit de la ligue, détaille Christopher Patard en enlevant son sweatshirt kaki. Quand tu joues dans un club ailleurs, ça ne se passe pas comme ça. On se traite de fils de pute. C’est lourd ».
La convivialité entre les joueurs a également un intérêt professionnel. Chaï, petit bouc et les cheveux coupés à ras, embraye après son coéquipier :
« Ceux qui ont les mêmes activités se rapprochent et ça peut créer des liens professionnels. Il y a un noyau dur dans lequel tout un chacun peut dénicher le bon profil. Pas besoin d’éplucher une liste de 30 CVs. »
Le Ballon est peuplé d'hommes à barbes / Crédits : Michela Cuccagna
D’autres, comme Guillaume Salmon, ne jouent absolument pas pour agrandir leur réseau. « S’il y a besoin, les gens savent qu’ils peuvent me contacter ailleurs que sur un terrain de foot », indique le responsable presse de Colette, qui trouve par contre qu’il y a « un esprit de corps » qui se forme.
Le Ballon FC, la nouvelle franc-maçonnerie du foot ? Le constat amuse Rémi Macario :
« J’ai rencontré des gens alors bien sûr, ça aide. Mais c’est comme dans n’importe quel cercle et encore plus dans Paris. Ce n’est pas non plus le LinkedIn du foot ! À un entraînement, on va plus parler du dernier match de Champion’s League que de la santé de ton business. »
En attendant, des projets made in Ballon FC ont commencé à voir le jour. Deux joueurs des 75ers ont lancé la marque de fringues “le Classique”, des DJ’s se sont associés, deux autres footeux ont lancé Sloe – un espace de yoga, work-out et juice-bar – et d’autres ont lancé Footballinclusive, une base de données du foot. Avec l’espoir, un jour, de consigner les stats du Ballon FC ?
Une sacrée de mecs sympas / Crédits : Michela Cuccagna
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