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    06/12/2017

    Elles projettent de porter plainte

    À Calais, les assos organisent des rondes pour protéger les migrants des violences policières

    Par Tomas Statius

    Depuis près de deux mois, plusieurs associations organisent des rondes de nuit pour protéger les migrants des violences policières et recueillir leurs témoignages. Ils en ont collecté une soixantaine.

    Calais (62) – « One more there », indique Toni dans un hochement de tête. Cramponnée à son volant, la petite brune annonce à John (1) l’emplacement d’un camion de CRS qui campe ce soir sur le Belgium Parking, une station-service bien connue des exilés qui veulent passer en Angleterre. Ce soir, les 2 bénévoles dénombrent 4 fourgonnettes de police dans ce petit périmètre, cerné de grilles surmontées de fils barbelés. Une zone occupée seulement par une forêt de semi-remorques et son lot de routiers à demi assoupis. « Je ne sais pas si tu as remarqué mais il n’y a personne ce soir », lance John à notre encontre.

    Depuis deux mois, John et Toni découchent presque tous les soirs. Comme une vingtaine de militants, les deux jeunes gens veillent jours et nuits sur les quelques 500 exilés qui sont toujours à Calais. Caméras au poing, ils arpentent les lieux de passage. Le but de cette mission mise en place par plusieurs associations, dont l’Auberge des Migrants et Utopia 56 ? Filmer les violences policières et « les atteintes aux droits humains ». Les bénévoles ont récolté une soixantaine de témoignages. Certains feront l’objet d’une saisine du défenseur des droits. D’autres d’un dépôt de plainte.

    Mushkila phone

    Au-dessus du tableau de bord, le téléphone de Toni n’arrête pas de sonner. Sur un logiciel de messagerie cryptée, les 2 bénévoles rapportent leurs observations nocturnes à l’ensemble de l’équipe. Présence policière, plaques d’immatriculation des véhicules, témoignages rapportés par les habitants des différents campements… « Les réfugiés nous appellent aussi en cas de problème. On leur donne notre numéro », ajoute John.

    « En général, on arrive après que la police soit passée. »

    Plus tôt dans la soirée, le binôme a également accompagné une famille à l’hôpital le plus proche. Le « Muskhila Phone » [le téléphone des problèmes en arabe] comme l’appellent les exilés, fait office de véritable ligne de vie :

    « Les réfugiés nous connaissent. On est aussi un véhicule d’urgence. »

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    Dans la jungle, terrible jungle... / Crédits : Tomas Statius

    Chercher une aiguille dans une botte de foin

    Ce soir, pour les 2 compères, la nuit est calme. « Belgium Parking », « Sheitan Parking », « Petite Forêt », « Old Lidl », « Jungle afghane »… Les habituels points chauds de la nuit calaisienne sont étrangement déserts. Pourtant, tout indique la présence d’exilés. Ici, une poignée de chaises qui trônent sur un petit talus au bout d’une impasse. Là, un canapé posté sur un amas de gravats ou des braises encore crépitantes. « On ne touche qu’une toute petite partie de l’iceberg, c’est sûr », regrette John.

    A 8h du matin, de petits groupes éparses se forment aux abords de la rocade. Peu à peu, les exilés sortent de leurs cachettes. Certains s’étaient installés au sommet de la dune qui dominent l’ancienne jungle. D’autres s’étaient planqués à l’abri, dans des camions vides stationnés non loin de là.  Aux premières lueurs du jour, la police les déloge sans violence. « Les violences policières se sont calmées. On a connu un pic, il y a quelques mois, après la publication des différents rapports sur le sujet », explique Sylvain, qui participe lui aussi aux maraudes nocturnes. La nuit a été rude pour nombre d’entre eux. La veille, la police a visité plusieurs campements pour empêcher des « points de fixation » et confisquer sacs de couchage et effets personnels, expliquent plusieurs exilés et responsables associatifs contactés par StreetPress. Le procédé fait enrager Vincent De Coninck du Secours Catholique :

    « Ici, l’Etat assume une stratégie de maltraitance. »

    La préfecture, quant à elle, dément toute confiscation :

    « Les migrants sont systématiquement invités à conserver leurs effets personnels s’ils le souhaitent, notamment duvet et couverture. Lors de ces opérations, sont uniquement ramassés par les services d’hygiène de la ville les objets laissés sur site ou que les migrants ne souhaitent pas garder avec eux. »

    La guerre des duvets

    À Calais, cela fait plusieurs mois que cette guerre des duvets fait rage. Et elle va crescendo. Depuis le 1er octobre, les assos ont dénombré 46 destructions de campements. « Il y a quelques jours à la jungle afghane, les CRS sont passés avec des employés municipaux pour nettoyer la zone et prendre les duvets », détaille John :

    « Un Afghan nous a raconté qu’alors qu’il dormait, un policier a déchiré la toile de sa tente avec un couteau. Il est passé à quelques centimètres de son visage. »

    Mardi 5 décembre, la police a démantelé un petit campement d’exilés, installé sous un pont, à quelques encablures de la Mairie. Et embarqué au passage couvertures et baluchons. « La nuit, les policiers réveillent les exilés. Et presque tous les matins, ils passent avec des bennes pour jeter leurs sacs de couchages et leurs affaires à la poubelle », s’étrangle Vincent De Coninck :

    « Il y a quasiment 1.200 policiers à Calais pour quelques centaines de migrants. On assiste à une véritable chasse. »

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    Ce réfugié afghan a passé la nuit dans la forêt. / Crédits : Tomas Statius

    Jungle Confidential

    Wendesin, lui, est dépité de la situation à Calais. Le jeune éthiopien de 32 ans vit depuis un mois dans la jungle. Et il ne rêve déjà plus de Londres. « Je suis fatigué. Ici la police n’est pas comme à Paris [où le jeune homme a séjourné un mois]. Ils n’ont aucun respect », lâche-t-il bien emmitouflé dans son coupe vent. Son pote Johny renchérit :

    « La nuit, il fait trop froid. Après manger, on n’a plus envie de passer. »

    Pour dormir, les deux hommes se sont trouvés un petit coin, au calme, à l’abri des regards. La nuit, ils posent leur sacs de couchages dans un entrepôt désaffecté, en bordure d’une zone industrielle. Ce n’est pas luxueux, mais la petite bâtisse ouverte aux quatre vents fait l’affaire pour le moment. Quant à leur sacs à dos, les deux hommes les planquent où ils peuvent, à l’abri de la police. « Quand ils viennent, ils prennent tout. Regarde où on met nos sacs », explique le jeune homme en nous dévoilant sa cachette.

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    La planque de Wendesin et son pote. / Crédits : Tomas Statius

    Les assos se rebiffent

    Les assos organisent la contre-attaque. Leur nouveau plan de bataille ? Prêter des duvets aux réfugiés. « On va distribuer entre 600 et 700 duvets et des bâches cet après-midi », annonce le Vincent de Conninck. Ils en distribueront finalement 300 au principal point de distribution, rue des Verrotières. Tous sont floqués aux couleurs des associations qui participent à l’opération.

    Ces dernières se réservent le droit d’attaquer l’Etat en justice si les policiers venaient à les détruire : les duvets restent en effet la propriété des associations. Ils sont simplement prêtés aux réfugiés, contrats à l’appui. « Si on ne fait pas ça, les gens risquent de mourir de froid », alerte le boss du Secours Catholique :

    « C’est un moyen qu’on avait pas encore utilisé. »

    Mais la victoire risque d’être de courte durée craint Sylvain. « Dans l’après-midi, c’est possible que les policiers commencent à les confisquer », lâche t-il fataliste. Avant de se reprendre :

    « Avec cette distribution, on sera au moins tranquille pour une semaine. » 

    Wendesin est moins optimiste :

    « Si tu viens demain matin, tu verras les policiers. C’est sûr. »

    (1) Le prénom a été modifié.

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