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    14/01/2019

    Le jeune homme est décédé pendant une course-poursuite

    À Massy, la police cible les proches de Curtis

    Par Raphael Godechot , Sévan Melkonian

    Depuis le décès de Curtis, ses proches subissent le harcèlement de la police : contrôles à répétition, insultes, menaces… Ils dénoncent aussi l’inertie de la mairie.

    Warren et Samir (1) nous ont donné rendez-vous sur un parking, près du quartier Place de France. « C’est ici que j’ai vu Curtis pour la dernière fois », raconte Warren. « C’était le jour de sa mort. On faisait du quad ensemble et on se marrait. J’arrêtais pas de caler, il se foutait de moi parce que c’était la première fois que j’en faisais. » Samir se souvient :

    « Un pote m’a appelé : “il faut que tu viennes vite, Curtis a eu un accident”. À la façon dont il le disait, j’ai compris direct que c’était sérieux. »

    Curtis a violemment percuté un bus. Sans casque. Le jeune homme de 17 ans fuyait la police, pour éviter un énième contrôle. Quelques heures plus tard, ce 5 mai 2017, il s’éteint à l’hôpital de la Salpêtrière.

    Depuis la mort de Curtis , « les policiers lancent des piques constamment, surtout lorsqu’ils nous contrôlent », raconte Samir. « Fais pas le malin ou tu vas rejoindre ton pote », a-t-il déjà entendu, ou encore « nous, on pleure pas quand l’un de nos collègues meurt ». Les phrases chocs s’enchaînent au fil des contrôles.

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    Massy, Place de France, le quartier où vivait Curtis. / Crédits : Sévan Melkonian

    Amis, famille, connaissances… Tous dénoncent une escalade de violence physique et verbale avec les forces de l’ordre déployées dans la ville. « Les policiers de Massy ça va encore, ils se sont calmés », affirme Warren. « Mais les pires, ce sont les baqueux d’Antony » (fonctionnaires de la brigade anti-criminalité), surnommés les cow-boys par de nombreux jeunes Massicois :

    « Et on va pas se mentir : ils repèrent ceux qui sont proches de la famille, et les ciblent beaucoup. Ça a commencé direct, dès que Curtis est mort. Ils passaient sans arrêt au quartier, à Place de France, pour nous provoquer, nous insulter… »

    « Ça a toujours été le jeu du chat et de la souris avec la police. Avant, on ne s’aimait pas. Maintenant, on se déteste » lance Samir.

    La police maintient la pression

    « Curtis, je le connaissais depuis le collège. » Alors quand il est mort, Julie* a décidé de porter le t-shirt Vérité pour Curtis. « Pour montrer mon soutien à la famille, normal quoi. » Cela lui a valu, à peine un mois après le décès, un contrôle inopiné de la police nationale. « Ça m’arrive vraiment pas souvent de me faire contrôler, surtout toute seule. Dès le début, j’ai su que le contrôle n’était pas comme d’hab. Leur ton était différent, ils étaient agressifs. Les policiers m’ont dit que je n’avais pas le droit de mettre ce genre de t-shirt. Ils ne m’ont pas dit pourquoi, ils ne m’ont rien expliqué. » Julie ré-affirme son droit de porter le vêtement. « Ça les a énervés, alors ils m’ont embarquée. J’ai rien dit tout le long du trajet jusqu’au commissariat. Dans la voiture, ils me mettaient des coups de coude insistants pour que je réponde à leurs questions : “Pourquoi tu portes le t-shirt”, etc… Je ne voulais pas leur parler. » Une fois au commissariat, les policiers ont continué d’intimider Julie :

    « Ils m’ont dit : “Il va falloir arrêter avec ce t-shirt…” Mais je ne me suis pas laissée faire ! Je leur ai dit : “Mon ami est mort, et c’est en partie à cause de vous. Moi, j’ai envie de porter ce t-shirt et c’est tout. La prochaine fois, peut-être que je le porterai, peut-être pas, vous pouvez m’embarquer une cinquantaine de fois, ça changera rien.” »

    Julie est finalement ressortie quelques heures plus tard, sans contravention ni rappel à la loi. Juste un après-midi de perdu.

    La famille de Curtis n’échappe pas à ces brimades. Depuis le décès de son frère, Léanna et son petit-ami Ezechias subissent des contrôles à répétition. « Déjà quelques jours après la mort de Curtis, il y avait des contrôles sans arrêt. À Place de France, on les voyait tout le temps. Là, ça s’est un peu calmé. Peut-être avec l’hiver, vu que les gens sont moins dehors… mais ils continuent. Et en été, on se fait contrôler facilement une fois par jour », affirme Ezechias. Il raconte :

    « Le 14 juillet dernier, les policiers m’ont tapé et ont cassé mon portable. Ils se sont acharnés sur moi en particulier, alors qu’on était plusieurs. »

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    La tombe de Curtis au cimetière de Massy. / Crédits : Sévan Melkonian

    Les histoires de ce genre s’enchaînent : il y a moins de deux mois, Léanna et Ezechias se sont fait contrôler séparément, mais le même jour. « Lors de ce contrôle, ils m’ont appelée “la fameuse sœur”… Pour vous dire à quel point ils sont mesquins… », soupire Léanna. « Moi, il m’ont tutoyé et appelé par mon prénom. Une fois ils m’ont aussi demandé : “C’est toi le beau-frère ?” », ajoute Ezechias. « Ils savent qui on est, c’est clair. Et ils nous ciblent. Quand ils nous contrôlent et qu’on est avec d’autres personnes, tu les entends chuchoter “C’est le beau-frère, c’est la soeur”… Ils parlent de nous, ils se focalisent sur nous », affirme le jeune couple.

    Des provocations calculées ?

    À Massy (91), comme dans d’autres quartiers populaires, les contrôles au faciès ne datent pas du décès de Curtis. Mais de l’avis des habitants, il semble que ce soit le symbole que Curtis est devenu qui est ciblé. En témoigne une ancienne professeure qui connaissait bien le jeune homme. Au mois de mai dernier, comme tous les ans, elle avait participé à l’organisation de la fête du lycée Jean Perrin, à Longjumeau. C’est dans cet établissement que Curtis suivait des études de maintenance. « Cette année, c’était évident qu’il fallait faire le spectacle en lien avec Curtis. De nombreux élèves venaient nous voir, nous les adultes, pour nous dire qu’ils ne voulaient pas faire la fête après ce qui était arrivé l’année dernière, qu’ils trouvaient cela déplacé. »

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    Alors le programme a été adapté. La famille et le collectif Vérité pour Curtis étaient là. Un artiste a peint son portrait pendant les spectacles. Des stars – Vegedream et le youtuber Kemar entre autres – ont accepté de prendre part à cette journée en l’honneur de Curtis. « C’était très émouvant, vraiment touchant. Tout le monde y avait mis du sien », se souvient-elle.

    Mais la fin de la commémoration s’est vue complètement gâchée :

    « Quand les élèves sont sortis, une fourgonnette de policiers stationnait devant le lycée. Je pense qu’ils avaient eu vent des festivités en l’honneur de Curtis parce que ça avait beaucoup tourné sur les réseaux sociaux. »

    Une présence inédite selon l’enseignante. Les policiers décident de contrôler des jeunes venus pour l’événement, qui se trouvaient dans une voiture stationnée devant l’établissement :

    « Le ton est très vite monté, les élèves et les policiers ont commencé à se battre. Un policier a même sorti son arme et a braqué les élèves qui l’entouraient… C’était affolant. Je n’avais jamais assisté à ça. Une prof s’est même fait gazer. »

    Elle se dit consternée par la présence des forces de l’ordre à ce moment précis. « Quelles étaient leurs intentions ? Pourquoi se montrer dans ce moment si douloureux ? Là, c’était vraiment de la provocation. Ils savaient que la famille était là, ils savaient très bien que ça allait monter en se mettant devant le lycée comme ça », analyse-t-elle.

    Il faut des médiateurs

    Après avoir d’abord été classée sans suite, l’enquête sur la mort de Curtis a été ré-ouverte pour « homicide involontaire par personne dépositaire de l’autorité » et « faux et usage de faux », concernant des témoignages des forces de l’ordre. En attendant que la justice donne à nouveau son verdict, la tension reste palpable entre les proches de Curtis et la police. Comment désamorcer cela ? Pour les proches de Curtis, la municipalité ne joue pas son rôle de médiateur. « Elle fait vraiment le minimum » déplore Léanna. « Elle prête une salle quand il y a besoin pour les commémorations et autres. Mais elle n’est à l’initiative de rien. »

    Les associations essayent tant bien que mal de jouer les médiatrices, mais elles manquent de moyens. « Les montants des subventions allouées par la mairie aux associations sportives et non-sportives stagnent d’une année sur l’autre », reconnaît le maire adjoint aux Sports de Massy, Dawari Horsfall. « C’est une politique assumée, puisque nous devons faire avec la baisse des dotations de l’État. »

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    Quartier Emile Zola. / Crédits : Sévan Melkonian

    Deux mois après la mort de Curtis, la maison de quartier située à deux pas de son domicile a même été détruite. « Même si c’était prévu depuis longtemps, la mairie ne s’est pas adaptée à la situation », constate Samir. Elle aurait pu servir de lieu d’échange pour apaiser les tensions :

    « C’était un repère pour nous, un endroit qui nous permettait plein de choses : y’avait l’aide aux devoirs pour les petits, les adultes nous aidaient dans nos démarches pour trouver un taf, et surtout, ça nous permettait aussi de ne pas traîner dehors. Mais la mairie nous délaisse… »

    À la place de la maison de quartier, des logements modernes devraient être construits. Pas loin de Place de France, une nouvelle maison de quartier est en cours de construction. Elle devrait être inaugurée le 15 juin de cette année… près de deux ans après que l’ancienne a été détruite.

    (1) Certains prénoms ont été changés à la demande des témoins.

    Les proches de Curtis témoignent face à la caméra du Petit ZPL, journal indépendant de Palaiseau (91).

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