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    18/11/2019

    Insultes, surveillances policières et discriminations institutionnelles

    Le racisme a eu raison de ce club de foot ariégeois

    Par Christophe-Cécil Garnier

    Depuis sa création en 2014, l’1JA Pamiers a enchaîné les succès sportifs. L’équipe a pourtant jeté l’éponge, lassée des insultes racistes des adversaires, des contrôles de police et des magouilles du district.

    Pamiers (09) – En 2014, Jamel Oubakhou fondait avec quelques potes, le club de foot Un Jeune Avenir (1JA). Pendant cinq ans, l’1JA enchaîne les victoires et les montées successives, de la dernière à la première division départementale. L’équipe s’installe dans la vie appaméenne avec une école de foot qui réunit une centaine de « petits » et une vingtaine de filles.

    À l’été 2019, le club décide pourtant de s’auto-dissoudre, épuisé par le racisme. Insultes des supporters, sanctions et autres coups bas du district (l’organe départemental de la Fédération française de football) ont eu raison de leur motivation. « Je suis parfois rentré chez moi avec une forte haine, à en vouloir à des autorités alors que ça ne devrait pas être le cas », se souvient Stéphane Mailhol, entraîneur au sein du club pendant trois ans. « Je pense que l’arrêt de l’1JA doit ravir pas mal de monde sur le territoire », estime un acteur institutionnel.

    « Je ne veux pas de ces dealers dans mon club »

    Les débuts sont classiques. Deux jeunes de Pamiers, Jamel Oubakhou et Ismaël Boulouiha – 22 et 21 ans – veulent monter un club de football, avec leurs amis d’enfance. « On s’est rendu compte qu’on jouait dans plein d’équipes ailleurs qu’à Pamiers. On s’est dit que ce serait bien de faire un truc pour notre ville », explique Jamel, aujourd’hui âgé de 26 ans. Tous jouent déjà ensemble en futsal pour le loisir.

    Les deux jeunes contactent des médiateurs de leurs quartiers pour leur filer un coup de main. Au lieu de les pousser à créer leur propre club, ces derniers leur propose de devenir l’équipe 2 du FC Pamiers, le club local créé en 1949. Ils les mettent en relation avec le président. Jamel rembobine :

    « Je l’appelle avec un des médiateurs en haut-parleur qui nous présente. Le président répond : “Je ne veux pas de ces bandits, ces dealers, dans mon club”. Le médiateur est embêté, il dit qu’on est des gens sérieux mais il [le président] ne veut rien entendre : “C’est tous les mêmes, je ne veux rien avoir à faire avec eux” »

    Un acteur social dans la ville ariégeoise confirme que le FC Pamiers ne brille pas par sa capacité d’intégration : « Si l’1JA a été créé, c’est pour une raison. Il y avait la place pour deux clubs car il y avait trop de jeunes « laissés sur la touche » par le club local ». Été 2014, l’association se lance sur les terrains de foot. Le début des emmerdes.

    Suivis par les RG

    « Ça ne plaisait pas que ce soit un club métissé. Sur les 20 joueurs [en équipe première], deux ou trois étaient blancs », détaille Stéphane Mailhol. Pendant trois ans, ce gérant d’une menuiserie de 51 ans a été entraîneur de l’1JA. C’est dans ses bureaux que se réunissait le club toutes les deux semaines. Une fois, les flics sonnent à sa porte. « Ils m’ont dit : “Il paraît qu’il y a des réunions islamistes par ici ?” », se souvient le quinqua. Un passant qui a vu la petite bande se réunir s’en est ouvert à la police. Abasourdi, Stéphane est obligé d’expliquer la situation. À l’autre bout du fil, le quinqua souffle :

    « Je vous jure, il n’y a que des trucs comme ça. Je peux en écrire un livre ».

    Jamel Oubakhou pourrait aussi sortir son best-seller. Juste après la création du club, le président âgé alors de 22 ans reçoit un appel d’un membre des Renseignements Territoriaux [les anciens RG, ndlr]. « Je n’ai pourtant jamais eu de problèmes avec la justice, je n’ai pas de casiers. Il m’a posé des questions sur la religion ». À l’époque, l’Ariège est suivie attentivement par les services en raison de la présence de la communauté d’Artigat et d’Olivier Corel, « l’émir blanc » qui a formé de nombreux djihadistes dont Mohammed Merah ou les frères Clain. Les services surveillent l’1JA pendant un an. La méfiance finit par disparaître. « Le RG s’est rendu compte qu’on était inoffensif ».

    Du racisme en pagaille

    Côté terrain, tout roule. Les Appaméens terminent chaque saison avec 20 points d’avance et quelque 150 buts marqués. Mais les matches de l’1JA sont souvent émaillés de sorties racistes de leurs adversaires. « On est dans l’Ariège ici, vous savez », déplore un travailleur social de la ville qui accompagne le club.

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    « Ça ne plaisait pas que ce soit un club métissé. Sur les 20 joueurs [en équipe première], deux ou trois étaient blancs » / Crédits : 1JA

    Face à ce racisme ambiant, Stéphane Mailhol serine à ses joueurs qu’ils doivent être « trois fois plus exemplaire qu’un blanc ». « Certains avaient du mal avec ça. Ils me demandaient pourquoi. Ils payent pour tout ce que les gens voient à la télé. C’est comme ça dans la vie et malheureusement pas qu’au football. Ils ont vraiment pris sur eux ».

    Pas toujours facile : l’1JA a parfois été reçue par des cris de singes ou des jets de bananes. Comme cette fois au Vernet, une commune au nord de l’Ariège. « Les gens étaient tous à deux grammes, des fous furieux », se souvient Stéphane. Toute la partie, l’équipe se prend « des insultes raciales comme pas possible » de la part des spectateurs mais aussi des officiels, comme le trésorier du Vernet, rapporte l’ex-entraîneur de l’1JA :

    « Il nous a constamment traité de sales bougnoules : “Mais il n’y a que des nègres et des Arabes dans cette équipe. Il faut les mettre dans le bateau”. Sans arrêt. »

    Une autre fois, l’éducateur d’un club lui demande comment il peut entraîner « cette équipe de sauvage ». La saison suivante, alors qu’ils s’apprêtent à entrer sur le terrain, l’1JA entend :

    « Hé, le quota des Arabes ou de noirs, vous savez pas ce que c’est ? »

    Dans le viseur des arbitres

    Sur le terrain, les Appaméens ne sont pas des joueurs rugueux. Et pour cause, Stéphane Mailhol leur interdit de tacler. « S’il y en avait un qui le faisait, je le sortais de mon équipe. Les autres clubs ne savaient pas ça », confie-t-il. Pourtant, l’arbitrage est loin d’être en leur faveur. « On ne sait pas pourquoi mais on ressentait une tension », lance Jamel Oubakhou. Sous couvert d’anonymat, un arbitre du district confirme que l’équipe de Pamiers était dans le viseur de plusieurs de ses collègues. Pourtant, durant deux ans, l’1JA a remporté le challenge du fair-play dans l’Ariège, qui récompense les clubs qui ont le moins écopé de cartons.

    Certains officiels iront jusqu’à mettre en place une cabale visant à les faire perdre. L’histoire est rocambolesque. L’1JA ambitionne de gagner la coupe d’Ariège. Lors de la saison 2015-2016, l’équipe aux maillots blancs et noirs gagne 3-0 son quart de finale. Sauf qu’après la partie, le district les informe qu’ils sont éliminés sur tapis vert : ils auraient aligné un joueur qui avait récolté trois cartons jaunes en trois mois, ce qui est normalement interdit. Le club conteste l’un des cartons. « Par chance, on avait gardé la feuille de match où tout est inscrit : les buts, les cartons », se souvient Jamel. Pas de trace de la fameuse biscotte sur la feuille de match.

    Le club fait appel et découvre que l’arbitre et le délégué du district ont ajouté le carton après coup sur les deux autres feuilles, sans en avertir l’1JA. « C’est une falsification », accuse Stéphane Mailhol, qui a été convoqué comme Jamel par le district :

    « Ils ont essayé de me prendre la feuille et ont mis un briquet dessous pour voir si on n’avait pas triché et mis du blanco [pour cacher un possible carton]. Ils ont ensuite présenté leurs excuses ».

    Des scandales à répétition

    L’1JA est réintégrée dans la compet’ et gagne la coupe. Mais c’est la seule qu’ils remporteront. Les deux années suivantes, ils sont encore éliminés sur tapis vert. « C’est pas compliqué, j’ai fait trois ans dans ce club, j’ai joué trois fois la coupe d’Ariège. J’ai perdu zéro fois, je n’en ai gagné qu’une. C’est un scandale », estime aujourd’hui l’entraîneur.

    En 2016, l’1JA mène 2-0 à l’extérieur quand le match est interrompu par un jet de fumigène de ses propres supporters. Ils sont éliminés sur tapis vert. L’année d’après, rebelotte. La coupe les envoie à Caumont, dans les Pyrénées. L’équipe de Stéphane et Jamel vient sans public pour éviter tout débordement. Peine perdue. À dix minutes de la fin, un Caumontais rentre sur le terrain avec un bâton et tente de frapper deux joueurs des blancs et noirs. L’équipe adverse évacue le fauteur de trouble mais l’homme en noir arrête tout de même le match. Stéphane sent l’histoire se répéter et proteste :

    « L’arbitre me dit : “J’arrête car il y a insécurité pour vous et le corps arbitral. Vous n’avez rien à craindre, vous gagnerez” ».

    Quelques jours plus tard, le secrétaire général du district, Gérard Gonzalez, appelle même Stéphane Mailhol pour lui dire de ne pas se rendre en commission de discipline :

    « Je veux quand même envoyer quelqu’un mais il me certifie que ce n’est pas la peine, que c’est joué. »

    Finalement, la commission décide d’éliminer les deux clubs.

    Des amendes et des suspensions à gogo

    Face à tant de magouilles, Stéphane quitte son poste et l’1JA, alors que l’équipe vient de monter en première division départementale. « Je n’en pouvais plus. Ma femme en avait marre, ma société en pâtissait. Je partais dans des combats perdus d’avance. Mais quand vous vous dites que vous n’avez rien fait de mal… », soupire ce dernier.

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    L'équipe a enchaîné quatre montées en quatre ans en championnat, mais elle a été éliminée deux fois de la coupe d'Ariège sur tapis vert. / Crédits : 1JA

    Cette dernière saison est « exécrable » selon Jamel Oubakhou. La tension accumulée chez les joueurs explose et les sanctions se succèdent, alors que les arbitres ont toujours l’1JA dans le viseur, d’après des témoignages. Lors d’une partie, deux joueurs disent à l’arbitre en place qu’il est nul et le traite de « connard ». Au district, on évoque une menace physique. Quatre joueurs sont suspendus, dont trois pour dix matches. Le même weekend, une bagarre survient sur un autre terrain, un joueur impliqué ne prend que sept matches et moitié moins d’amende. « On prend tout le temps le max », expose Jamel.

    Le climax des tensions a lieu lors d’un match à Coussa. Sur le terrain de ce petit village de 200 habitants, un joueur de l’1JA se fait encore insulter. À la mi-temps, Jamel entend des cris des vestiaires et voit deux équipiers se faire brocarder. Un d’entre eux se prend même une baffe. La situation dégénère et les gendarmes présents gazent tout le monde. Côté 1JA, six joueurs et Jamel sont suspendus préventivement. Chez Coussa, personne.

    Un district en colère

    Avant la commission, l’équipe de Pamiers découvre les rapports de l’arbitre et du délégué. Chez le premier, le texte fait « 4-5 lignes, il dit qu’il n’a pas pu tout bien voir », détaille Jamel. Chez le second, le dirigeant de l’IJA est accusé d’avoir appelé des joueurs dans le vestiaire pour « qu’ils sortent avec des barres en fer ». Deux Appaméens sont accusés d’avoir dit : « Sales Français », ce que réfute le jeune président.

    Une semaine plus tard, le rapport de l’arbitre est garni de deux pages supplémentaires, selon Jamel. Le nouveau texte confirme la version du délégué. En commission, l’ambiance est lourde et le ton monte de part et d’autre. Le district décide d’exclure l’1JA du championnat.

    Sauf que le club fait appel et la ligue régionale d’Occitanie casse la première décision. « Leur avocat a apparemment appuyé le doigt où il fallait, sur le racisme », confirme un membre du district en off. « Certains dirigeants étaient dans une colère noire d’avoir été cassés par la région », estime cette source.

    La fin de l’1JA

    La vengeance finit par tomber. Durant la saison, le montant des amendes liées aux expulsions a atteint environ 5.000€. Le club ne peut les payer d’une traite. Un échéancier est mis en place. L’1JA s’engage à débourser 1.000€ par mois. Le président rédige l’ensemble des chèques avec la garantie qu’ils ne seront encaissés qu’au compte-goutte.

    À la fin de l’été, Jamel reçoit un appel de sa banquière. Il est en déficit de plusieurs milliers d’euros. L’échéancier n’a pas été respecté. Selon les informations de StreetPress, le service de comptabilité du district a reçu une lettre du président Jean-Pierre Masse, qui demande d’encaisser l’ensemble des chèques. Motif :

    « Établissement d’un échéancier sans mon accord ».

    Il avait pourtant participé à la réunion où avait été décidé de mettre en place l’échéancier. Au district, on valide le mauvais coup du président car aucun procès-verbal n’a été fait lors de la réunion en question. « Normalement, la parole du président prévaut. D’autres clubs ont été aidés de cette façon sans qu’il n’y ait jamais de PV », renchérit le membre anonyme du district. Après cette décision, le trésorier de l’instance a présenté sa démission en signe de désaccord. Contacté par StreetPress, le district refuse de s’exprimer sur la question des chèques : « le dossier est en instruction ». Sur les différentes sanctions, on se contente de dire que l’instance suit le barème fédéral de la Fédération française de football. En off, un responsable départemental reconnaît cependant le caractère raciste de l’affaire, tout en précisant qu’on ne peut accuser le district dans son ensemble.

    Le 4 septembre, Jamel et Ismaël – les deux fondateurs – écrivent un post Facebook pour annoncer la fin du club. L’ex-président du club est encore aujourd’hui interdit bancaire. « Et ça, c’est juste dans un coin paumé de l’Ariège. Qu’est-ce qu’il doit se passer dans les banlieues des grandes villes ? », se demande le jeune homme de 26 ans.

    « C’est devenu politique alors qu’à la base, on voulait juste jouer au foot ensemble. »

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