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    08/07/2020

    On l’appelle « coach de buzz » ou « réseau social » du rap français

    Babalahziz, l'entremetteur du rap français

    Par Inès Belgacem , Yann Castanier

    Une légende dit que Babalahziz habille 80% du rap jeu. De Ninho à Soolking, les plus gros vendeurs de l'Hexagone font appel à lui. Un carnet d’adresses qu’il met au service des maisons de disques qui souhaitent monter des featurings entre rappeurs.

    « Le meilleur réseau social du rap français : Babalahziz. Dans le rap, il est plus fort que Twitter, Instagram et Snapchat », assure Lartiste, dans une vidéo de Rapelite. Babalahziz écoute, silencieux, avec un sourire aux lèvres. Au volant de sa voiture, plusieurs mois plus tard, Salim, de son vrai nom, commente à la troisième personne, en levant les mains au ciel, « Babalahziz s’entend bien avec tout le monde ».

    Depuis cinq ans, l’homme de l’ombre de 37 ans, le plus souvent en casquette et lunettes de soleil, est incontournable dans le rap français. Babalahziz connaît tout le monde. Et tout le monde le connaît. « Il est partout ! Il est plus en place que certains rappeurs », s’exclame GLK, l’un des interprètes du tube « 93% [Tijuana] ». Heuss l’Enfoiré le surnomme « la connexion du rap français ». C’est le grand bonhomme qui l’a présenté à Gradur. Une évidence pour lui :

    « Je présente les gens. Quelqu’un me dit : “J’aimerais bien travailler avec lui”. Pas de problème ! Attends, je l’appelle. »

    Résultat : « Ne reviens pas ». Un tube à ce jour disque de diamant et son le plus écouté du Réveillon 2020. Lartiste et Heuss l’Enfoiré pour Tikka ? « C’est moi aussi. » 21 millions de vues sur YouTube. Ce qui fait dire à RK qu’il est « coach de buzz » ou « sélectionneur du rap français ». Une place et un réseau précieux, qu’il s’est construit… en habillant les stars du streaming. « J’aime bien sa détermination. Il est passé des sapes au milieu de la musique : c’est une dinguerie ! Faut respecter le parcours », commente GLK.

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    Babalahziz, le réseau social du rap jeu. / Crédits : Yann Castanier

    « Viens à la boutique »

    Fin février 2020. Le confinement est encore une dystopie et Babahlaziz poursuit ses petites affaires. Rendez-vous à son magasin, Le Manoir Luxury. Une enseigne de prêt-à-porter haut de gamme, fondée il y a cinq ans, qu’il a depuis installée à Paris, Marseille et Montpellier. Sonnerie. Naps au bout du fil. Le rappeur de Marseille entame sa semaine de Planète Rap sur Skyrock le soir même. Il a besoin d’un barbier pour une coupe. Ni une, ni deux, Salim remue son réseau pour lui en dépêcher un à son hôtel. Second appel. Il n’a rien à se mettre non plus. Ça, c’est son rayon. « Attends, je te mets en visio. » Festival de casquettes or et strass, de veste à motifs ou cloutées. Versace, Moschino, The New Designers, Redfills. Toutes les enseignes qui font le style du rap français. Très fier, il raconte en aparté être l’homme qui a lancé la mode des doudounes Horspist, ces manteaux tape à l’oeil ornés d’énormes fourrures sur la capuche. Comme celui de SCH dans son clip « Fusil » (2015), ou de Ninho sur la pochette de son album « Comme prévu » (2017).

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    Le Manoir Luxury. / Crédits : Yann Castanier

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    Toujours au téléphone. / Crédits : Yann Castanier

    Au mur sont accrochés les disques d’or de Ninho, Vald et Naps, des proches raconte-t-il. Il y a aussi celui de Sofiane. « Il est comme un frère pour moi. Il m’a donné beaucoup de force depuis le début. » Dans le fond de son magasin, un mur de signatures à la craie fait état de toutes les personnalités passées par le shop. Tout comme l’Instagram de l’adresse. Hornet la Frappe, Koba la D, Soolking, et encore les champions du monde Kylian MBappé, Presnel Kimpembe ou le présentateur Cyril Hanouna. Les vestes du dernier clip de Gims ou de Heuss l’Enfoiré sont mises en évidence. Dans le milieu, une légende dit qu’il habille 80% du rap jeu. « Regarde, la coupe de ce jean tue sa mère. Non, celui-là tu l’as déjà, je te l’avais donné quand tu faisais Clique TV. » Babalhaziz continue le tour du magasin en FaceTime avec Naps. Il a l’aplomb des convaincus, conseille beaucoup, a toujours l’air de courir partout. Les rappeurs lui passent commande avant une interview, un clip, un concert, le shooting d’une pochette d’album, ou juste pour renouveler leur garde-robe. Ils se déplacent à la boutique – que le boss privatise pour l’occasion – ou Babalahziz leur livre :

    « Je suis le mec qui déniche tout. »

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    Versace, Moschino, The New Designers, Redfills,... / Crédits : Yann Castanier

    Business

    Résultat : il a les numéros de tout le monde. « Mais t’as vu ?! Ninho vient de passer les 400.000 ventes ! Attends, je l’appelle. Je vais lui dire que c’est trop ! » Il vient de voir passer l’info sur Instagram. Son téléphone est une extension de sa main. Assis avec une crêpe banane-nutella, dans un café à côté du Manoir Luxury, il crie presque d’excitation, sincèrement heureux. Le plus gros streameur de 2019 lui répond du tac au tac. Ils doivent d’ailleurs se retrouver plus tard, après le Planète Rap de Naps où Ninho est invité, notamment pour interpréter leur feat, « 6.3 ». « Babalahziz a beaucoup contribué à ce que le son se fasse », confesse Naps. C’est lui qui présente les deux artistes. Lui qui a aussi, en partie, inspiré le titre du morceau. « On faisait le son et on ne savait pas comment l’appeler. Babalahziz m’a dit : “Il a 63 singles d’or” et on l’a appelé “6.3 singles d’or” », poursuit Naps :

    « On travaille beaucoup ensemble. Il est spontané, positif, dispo. C’est un amour. »

    Babalahziz est partout où sont les rappeurs, y compris en vacances. Juste avant le confinement, il partait en Thaïlande avec Soolking et Heuss L’Enfoiré, qui avaient des showcases programmés sur place. « C’est pour le travail ! », promet-il. Depuis presque un an, l’homme au réseau quasi-illimité a été recruté comme directeur artistique par le label AllPoints, une succursale de Believe – qui a signé de nombreux rappeurs dont Heuss et Naps. « Il n’est pas DA dans le sens où on l’entend. Il ne gère pas les mélo’, les toplines, l’artistique au sens propre. Mais quand un artiste a une envie, ou qu’il a besoin d’une nouvelle direction artistique, il lui trouve la bonne personne avec qui travailler », insiste Bérangère, sa collègue et cheffe de projet chez AllPoints :

    « C’est un magicien du lien social. »

    Et la professionnelle de la musique aurait bien besoin de magie, ce lundi soir à 19h53 à Skyrock. Il ne reste plus que sept minutes avant le début du direct Planète Rap et Naps n’est toujours pas arrivé en studio. « Appelle-le s’il-te-plaît », implore Bérangère à bout de nerfs. Babalahziz sort son téléphone. « Il dit qu’il est en bas, il arrive, ça va le faire. »

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    C'est parti pour une crêpe banane - Nutella. / Crédits : Yann Castanier

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    Au téléphone avec Ninho. / Crédits : Yann Castanier

    Rêve de gosse

    L’homme parle le même langage et a les mêmes codes que les stars qu’il habille. « T’imagine, il y a des gens qui font des études de fou pour faire ce que je fais », contextualise l’autodidacte, à la foi fier de son parcours et éberlué. Les vêtements de luxe, la musique, rien de tout ça n’était prévu. Avant ses 33 ans, Babalahziz est auto-entrepreneur dans le bâtiment, au sein de l’entreprise familiale, avec ses deux petits frères, sa soeur et sa mère. Une Normande qui a épousé un chauffeur de poids lourd immigré, qui livre du poisson. Né en France, le petit Salim grandit dans une petite ville portuaire en Algérie jusqu’à ses sept ans. Il raconte avec nostalgie les souvenirs de son enfance. « C’était si beau. » Et puis il y a eu la banlieue parisienne, une première STT en commerce. Et le bâtiment. Ça lui plaît. « Mais je kiffais le textile et la mode. Je voulais me divertir, faire autre chose. J’ai longtemps fait ça le soir, à côté du travail. »

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    Avant 6.3. / Crédits : Yann Castanier

    Le jeune homme de l’époque est coquet, et surtout déterminé. Il démarche des marques et vend leurs produits en indépendant. « J’étais un mec sérieux, on m’a fait confiance. On m’a dit : “Force, vas-y”. » Fan de rap, le voilà parti pour s’incruster à Skyrock, où les artistes passent par dizaines chaque soir. « Au culot », sourit-il. « Il arrosait les gens de la sécu en fringues, alors ils le laissaient passer », rigole Fred, présentateur historique de la radio, qui a vu arriver le jeune loup. « Il venait de plus en plus souvent, jusqu’à devenir un habitué. Il a ce côté simple, sans prise de tête et généreux : il peut te débloquer toutes les situations, il veut toujours trouver une solution pour t’arranger. »

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    Entre les studios et la régie. / Crédits : Yann Castanier

    Il s’incruste aussi sur les clips, propose ses casquettes, ses polos, ses doudounes. Son ami GLK est très fier d’avoir fait partie des premiers à lui faire confiance. Il le rencontre en 2016, sur le tournage d’un clip de Niska et Gradur. « Il nous parlait de ses projets d’ouvrir un magasin. On lui a donné de la force. C’est un gars comme nous ! Je préfère donner mon argent à lui. » Il ajoute :

    « On a sympathisé. C’est mon gars Baba ! Il régale, c’est un porteur d’affaires. Et quand il est là, il y a de la bonne ambiance. »

    L’ambitieux

    Il est presque 21h. Sur Skyrock, l’émission bat son plein. Babalahziz fait les allers et retours, surexcité, entre les studios – où s’entassent les proches de Naps – et la régie – réservée aux quelques professionnels de maison de disque présents et aux techniciens. Ninho est là aussi. Il est temps de lancer leur morceau « 6.3 ». Babalahziz dégaine son téléphone pour filmer le moment. Le voilà qui danse en régie, bras en l’air.

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    L'homme qui murmurait à l'oreille des rappeurs. / Crédits : Yann Castanier

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    NI. / Crédits : Yann Castanier

    Derrière ses airs fougueux, Babalahziz s’affaire à construire son business. Il voudrait ouvrir de nouveaux magasins. En gardant toutefois ses vieilles habitudes : sa soeur tient le shop de Marseille et sa mère la compta’ de la petite chaîne, comme au temps de l’entreprise de bâtiment. « Je ne suis rien sans ma mère. » Il voudrait agrandir son offre, en proposant des lunettes par exemple. L’auto-entrepreneur a aussi le projet d’ouvrir un club et des studios. Tout en continuant à jouer l’entremetteur du rap français. Et pourquoi pas ?

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    Khapta vers le port, lalalala. / Crédits : Yann Castanier

    Relire aussi notre enquête en trois épisodes sur l’argent du rap :
    Streaming, disque d’or et contrat
    Showcases, tournées et festivals
    Egerie, placement de produit et défilé

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