En ce moment

    08/09/2020

    À peine 500 euros d’amende avec sursis

    Violence contre un supporter toulousain : le policier plaide coupable

    Par Christophe-Cécil Garnier

    En mai 2018, l’après-match de Toulouse-Lille a été marqué par une charge violente de la police. Yves, un ultra, a été frappé. Le policier auteur des coups écope d’une petite amende.

    Toulouse, palais de justice (31) – Dans les couloirs du Tribunal de grande instance, traversés par des avocats en robes noires et aux masques blancs, Yves détonne avec son sweatshirt violet siglé Toulouse. Ce supporter de 39 ans s’est fait frapper en mai 2018 par un policier après un match de foot entre son club et Lille. Ce lundi 7 septembre, il se tient enfin devant le juge et l’agent en question pour obtenir justice. Depuis deux ans et demi, Yves attend ce moment. « Je n’y croyais plus. »

    L’audience promet d’être rapide, car Karim H. – le policier – passe en reconnaissance préalable de culpabilité, autrement appelé le « plaider-coupable ». Les faits de « violences par une personne dépositaire de l’autorité publique sans incapacité » ont été reconnus par le pandore, il ne reste plus qu’à décider de sa peine. « C’est le bas de l’échelle pénale mais, symboliquement, c’est important », témoigne maître Pierre Debuisson, l’avocat d’Yves.

    Un rassemblement calme

    Dans la petite salle d’audience ronde du Palais de justice, une tapisserie usée est accrochée derrière le juge. L’assemblée est limitée à une trentaine de personnes, Covid-19 oblige. Le magistrat voit passer les affaires les unes après les autres. Avant qu’on arrive à la sienne, Yves rembobine l’histoire.

    En mai 2018, le Toulouse Football Club – Téfécé ou Tef pour les intimes – vient de perdre une nouvelle fois à domicile contre les Lillois. L’énième défaite a plongé le club dans la zone de relégation. C’est la crise. Au sortir du stade, Yves comme d’autres supporters restent sur le parvis pour demander des comptes à la direction. Malgré la situation sportive des Violets, l’attroupement est bon enfant et rassemble plusieurs centaines de personnes. On y trouve les ultras des Indians Tolosa, dont Yves fait partie – les ultras sont les supporters en virage qui lancent les chants et font les animations dans les tribunes –, mais aussi des familles et des enfants. « Certains veulent avoir des autographes des joueurs, il y a de tout », confie un autre supporter présent ce jour-là (1). L’intendant du TFC et le capitaine de l’équipe viennent discuter calmement avec les fans. Un de ces derniers craque un fumigène. « C’est festif quoi. » Même si l’attaquant Andy Delort se fait chahuter pour ses prestations ternes.

    Pendant que les supporters attendent, le responsable sécurité du Tef informe Yves et ses comparses que la direction « est d’accord pour recevoir une délégation de dix personnes ». Les supporters refusent et demandent à ce que les dirigeants assument et viennent les voir. « On n’est pas leurs portes-paroles. Il n’y avait pas de raison de décider qui aurait le droit d’y aller ou non », narre Yves.

    Une charge violente

    Soudain, la police déclenche une charge contre les fans. « Soi-disant sur l’information de la vidéo, ils ont voulu embarquer la personne qui avait allumé le fumigène », se rappelle Yves. Les policiers mettent l’homme a priori en cause à terre. Sauf que les bleus foncent dans le tas et renversent des femmes, des gamins, des personnes âgées et même un handicapé pour lui mettre la main dessus. Le directeur de la sécurité du TFC et un membre de son équipe sont également bousculés. « Un jeune que je connaissais a reçu un coup. Je me suis interposé pour dire qu’il n’avait rien fait de mal mais on m’a répondu qu’il n’avait “qu’à pas être présent” », se souvient ce dernier (1).

    Certains ultras sont également pris pour cible. Yves se fait par exemple courser par des pandores de la Section d’intervention rapide (Sir). Une force de police exclusivement présente dans les stades français et très décriée par les supporters pour la violence et la tension qu’elle peut provoquer.

    Lors de son sprint, les agents alpaguent Yves : « On va t’avoir, le gros ! Ça fait longtemps qu’on te veut ». Ce n’est pas la première fois qu’ils le ciblent. Lors de précédents matches, des policiers lui ont déjà fait un signe d’égorgement de loin. « Un de ces gars m’a déjà dit sur le parvis du stade que j’étais l’ennemi public numéro 1 », renchérit le trentenaire. Yves a pour seul malheur « d’avoir une grande gueule et de connaître les lois ». « Je leur reproche quand ils dépassent les limites », précise-t-il.

    Conscient que la situation peut déraper, l’ultra se dirige vers la boutique du stade pour entrer dans le champ de la vidéosurveillance. À l’intérieur, il se retrouve nez à nez avec un membre de la Sir :

    « Il m’a mis un coup et je suis tombé par terre. Ma tête a heurté un rebord en béton. »

    L’unité toulousaine bien connue pour ses débordements

    Suite aux événements, Yves et les Indians Tolosa déposent plainte auprès de l’IGPN pour « violences par personne dépositaire de l’autorité publique » et montent l’Association de défense des intérêts des supporters toulousains (Adist). En plus du trentenaire, un leader des ultras s’est pris un coup de pied par un pandore. Un autre supporter de 22 ans a aussi été frappé par la police mais la justice l’a condamné à huit mois de prison avec sursis pour avoir attaqué les forces de l’ordre. Quant au supporter qui avait prétendument allumé le fumigène de la discorde, il a été relâché, faute de preuves.

    À VOIR AUSSI : « Supporters comme Gilets jaunes, on a été mutilés pour nos idées »

    « Tout démarre par un manque de communication entre le TFC et ses ultras. Ces derniers ne sont pourtant pas très virulents, mais un ordre a été donné par le chef du service, qui venait d’arriver à Toulouse et n’était pas accoutumé au Stadium ni aux matches de football », explique policier qui connaît bien le contexte local (1). Si la Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) a défendu ses troupes, un cadre a confirmé en coulisses qu’il y avait un « problème » avec la Sir toulousaine. Le fonctionnaire anonyme est du même avis :

    « Là-bas, il y a un peu trop de testostérone. Ce ne sont pas des méchants garçons mais pour la plupart, ce sont des bourrins qui ne sont pas pour le dialogue. On charge et Dieu reconnaîtra les siens. »

    Une petite amende

    C’est au tour d’Yves et de Karim H. de passer à la barre. Face au supporter toulousain, le policier est en jean et polo bleu. Âgé de 46 ans, il a les cheveux poivre et sel. Sur les bancs derrière lui, deux de ses collègues sont là en soutien, dont le fonctionnaire qui a lancé à Yves qu’il était « l’ennemi public n°1 ». Les faits sont rapidement rappelés. Pour défendre son client, l’avocate de Karim H. avance qu’Yves était à l’époque président des ultras – ce qui n’a jamais été le cas – et qu’il y a « souvent des problèmes entre les ultras et la police ». « Là, on montre que c’est l’inverse, c’est la police qui a un problème avec les ultras », se désole Yves après l’audience.

    Autre argument de la robe noire : il n’y a aucun papier pour prouver un préjudice physique ou moral – Yves confesse que les ultras n’ont pas été faire constater les traces de coups par un médecin. Après une courte suspension de séance, le juge tranche : le policier incriminé écope de 500 euros d’amende avec sursis et doit verser à Yves 400 euros pour le préjudice moral et 400 euros pour les frais d’avocat. Rien ne sera inscrit sur son casier judiciaire. Après l’audience, Yves se console avec le symbole que représente une telle condamnation :

    « C’est déjà fort d’avoir obtenu ça. Ça va faire réfléchir les policiers dans les stades et éviter que ça se reproduise. »

    (1) Propos récoltés par l’auteur de l’article et le journaliste Frédéric Scarbonchi dans le cadre d’une enquête sur la Section d’intervention rapide en 2019 pour le numéro 170 du magazine SoFoot.

    Photo d’illustration du groupe ultra des Indians Tolosa, prise le 17 mars 2018

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER