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    19/05/2021

    Un ancien policier témoigne

    Bac Nord de Marseille : Vols, deals et policiers ripoux

    Par Mathieu Molard

    En 2012, 18 policiers Marseillais sont arrêtés pour « vols et extorsions », « violences » et « acquisition de stupéfiants ». Ils viennent d’être jugés et écopent de condamnations modestes. Un ancien policier raconte ce que la justice n’a pas trouvé.

    « Bien sûr qu’il y en a qui se sont mis de l’argent en poche en rackettant les dealers », s’agace Thomas (1). À la fin des années 2000, il est policier en poste à la Bac Nord de Marseille. Il a été le témoin direct, dit-il, de vols et racket de cash et de stupéfiant, commis par des fonctionnaires. C’est pour ces faits présumés que le 2 octobre 2012 au matin, 12 policiers sont arrêtés. Six autres seront mis en examen un peu plus tard. C’est près de la moitié des effectifs de la Bac de jour en charge des quartiers nord de Marseille qui est mise en cause. Les accusations sont lourdes :

    « Vols et extorsions en bande organisée, violences aggravées, acquisition et transport de stupéfiants. »

    Trois policiers ont, au cours de la procédure menée par l’IGPN (la police des polices), témoigné contre leurs collègues. Les véhicules de la Bac ont été pendant plusieurs mois placés sur écoute. Au cours des perquisitions au commissariat, les enquêteurs découvrent des barrettes de shit et des liquidités.

    Face aux caméras, le procureur de la République au moment des faits, M. Jacques Dallest évoque une « instruction criminelle de vaste ampleur » au sein d’un service « gangréné ». Les mots sont forts. Manuel Valls, à l’époque ministre de l’Intérieur annonce même la dissolution de la Bac Nord.

    Un dossier qui se dégonfle

    Et puis, l’affaire tombe aux oubliettes. La dissolution annoncée est en fait une réorganisation et on n’entend plus vraiment parler de cette affaire. C’est seulement neuf ans plus tard, en avril 2021, que la justice se décide enfin à présenter les 18 fonctionnaires devant un tribunal. Mais voilà, l’histoire qu’on raconte face aux magistrats n’est plus vraiment la même. Le juge d’instruction n’a finalement pas retenu la circonstance aggravante de « bande organisée ». Faute de preuves, il a également abandonné les poursuites pour « violences volontaires ». Et les stupéfiants volés ? C’était pour payer des indics et ainsi arrêter des plus gros poissons, jurent les fonctionnaires.

    « De la gangrène, on est passé à un rhume des foins » lançait avant le procès, Alain Lhote, avocat de la défense. Ce que semblent confirmer les verdicts. Après une semaine d’audience, sept policiers ont été totalement acquittés. Les 11 autres ont écopé de peines de prison avec sursis allant de deux mois à un an (2).

    Des vols de cash

    « On a tout fait pour discréditer la parole des policiers qui ont dénoncé les malversations de leurs collègues », soupire Thomas, l’ancien policier de la Bac Nord. L’un d’eux a même été viré de la police pour une autre affaire. Aucun des trois fonctionnaires qui témoignent contre leurs collègues dans la procédure n’a été appelé à témoigner à la barre. La seule partie civile, un dealer qui a porté plainte pour le vol de 9.000 euros, ne s’est pas présentée à l’audience. Pour Thomas, la justice n’a pas fait son œuvre :

    « Moi je suis choqué : en gros ils ont volé mais ce n’est pas très grave. C’étaient des petits oublis administratifs. Mais c’était couru d’avance. On a tout fait pour laisser faire le temps pour qu’à la fin tout ça accouche, comme ils disent, d’une souris. Si voler des gens dans la rue quand t’es policier, c’est une souris, pas de soucis. »

    Il a, dit-il, été témoin des méthodes de ses ex-collègues ripoux. Il décrit un système bien huilé. « On montait un plan stup », une opération visant à choper en flag’ des dealers. « Dès que les mecs étaient interpellés, ils séparaient l’individu du butin, avant l’arrivée au commissariat, et c’est là qu’ils servaient. » Quelques centaines d’euros que se répartissaient, dit-il, les policiers malhonnêtes. Pas de véritable trésor de guerre, mais de quoi améliorer l’ordinaire. « C’était dépensé le lendemain pour une paire de baskets ».

    Policiers dealers

    Les policiers gardaient parfois des stupéfiants. À la barre, tous ou presque l’ont reconnu. Certains affirment que lorsque la saisie était modeste, le cannabis était détruit sans qu’une procédure ne soit rédigée, histoire de s’épargner la paperasse. D’autres expliquent que ces barrettes servaient à rémunérer des indic’. Une pratique tolérée par la hiérarchie obnubilée par les résultats, disent-ils. Ces gradés, pourtant au cœur des débats, n’ont eux non plus, pas été invités à témoigner au procès.

    « C’est vrai que ça servait parfois à payer des indics », acquiesce Thomas, confiant l’avoir lui-même déjà fait. « Effectivement, on en oubliait la procédure parce qu’on nous l’avait instruit comme ça et parce qu’il y avait un officier qui était d’accord avec cette manœuvre-là. » Mais le vol de stup’ ne servait pas qu’à ça. Certains auraient revendu une partie de la marchandise :

    « Une fois, l’un des chefs nous a demandé de revendre de la résine de cannabis qu’on avait pu trouver pour enrichir la caisse noire du commissariat. C’est un peu drôle quand on te dit, tu vas te mettre dans le hall et revendre ce qu’on a récupéré… C’est un peu particulier. »

    La procédure ne permet pas de confirmer les accusations de Thomas, mais des stupéfiants ont été saisis au commissariat et aux domiciles de certains policiers.

    Un indic mort

    L’ex de la Bac Nord évoque une autre affaire trouble qui se murmure dans les rues de Marseille. Certains policiers ont un temps été soupçonnés d’avoir fait tuer un indic. Pour notre témoin, ses anciens collègues ont bien la mort de Lyes Gouasmia sur la conscience. « Lyes Gouasmia est un indic qui nous offre les délinquants qui ont mis le feu au bus de Mama Galledou. Une affaire qui a été retentissante sur Marseille », rembobine Thomas. « Une collègue avait pu recueillir son témoignage et en avait fait son indic. » D’autres fonctionnaires « seraient, par jalousie, allés le dénoncer au sein de la cité » :

    « Ils lui ont tendu un piège, ont laissé un message en lui faisant croire que c’était [la fonctionnaire qui le gérait] qui l’avait appelé et le lendemain, il était retrouvé dans une voiture cramée. »

    La famille de Lyes Gouasmia, l’indic décédé a porté plainte contre X pour complicité d’assassinat. L’avocat qui les défendait était maître Yassine Bouzrou. Il garde encore aujourd’hui un souvenir précis de ce dossier. Selon lui, il y avait plusieurs éléments et notamment des témoignages qui confirment ce que dénonce notre policier, mais le juge d’instruction n’a pas voulu creuser, dit-il, et a rendu un non-lieu.

    Le très médiatique procès de la Bac Nord n’a, semble-t-il, mis en lumière qu’une partie de l’histoire. Certains policiers sont passés entre les gouttes. Le parquet a fait appel pour 12 des 18 verdicts. Un nouveau procès va donc se tenir.

    (1) Le prénom a été modifié à sa demande.
    (2) Le parquet a fait appel pour 12 d’entre eux.
    Photo d’illustration du film Bac Nord de Cédric Jimenez, prise par Jérôme Mace/Chifoumi Productions.

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