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    26/04/2022

    Les sales méthodes de l’ancien numéro deux de la CSI 93

    Quatre policiers dénoncent la violence, le management et les méthodes illégales de leur chef

    Par Matéo Larroque

    Violences policières en manifestation, méthodes d’enquêtes illégales et management par la terreur. Quatre policiers racontent à StreetPress les méthodes du capitaine Cyrille Delcourte. L’un d’eux a alerté l’IGPN.

    La vidéo a été tournée le 14 juillet 2021, à l’occasion d’une manifestation contre le pass sanitaire. La caméra de l’agence CLPress suit une charge des Brigades de répression de l’action violente (Brav) au niveau du 91 rue du faubourg Saint-Martin, dans le 10e arrondissement de Paris. Sur la vidéo, l’officier Cyrille Delcourte de la CI 22 croise un manifestant surpris par la charge et lui assène une manchette avant de saisir son bras droit pour lui porter un second coup au visage. Durant les 70 secondes précédant la charge, la victime, à distance des policiers, ne présente aucun signe de dangerosité. Il n’a d’ailleurs pas été interpellé, affirme à StreetPress un agent présent.

    Le 1er avril 2022, Cédric Vladimir, délégué national de la fédération professionnelle indépendante de police (FPIP), se présente à l’IGPN pour signaler cette agression mais sa plainte est refusée. Dans le procès-verbal de l’audition que StreetPress a pu consulter, le délégué syndical explique que « les policiers qui [lui] ont dénoncé les faits », étaient présents lors de l’opération, et « l’identifient donc formellement ». Il ajoute dans le PV de l’audition à l’IGPN qu’une « dizaine de policiers de la CSI 93 et de la CI 22 » sont prêts « à engager des poursuites contre le capitaine [Delcourte] » pour dénoncer son « management tyrannique ».

    La police des polices n’accepte de prendre qu’une main courante pour « conduite inappropriée de fonctionnaire » et avertit Cédric Vladimir que sa hiérarchie « sera avisée de [sa] démarche ». Une manière de lui passer l’envie de dénoncer ses supérieurs, juge ce dernier. Contactée par StreetPress, la préfecture de police de Paris explique qu’après un signalement sur la plateforme Pharos, l’IGPN a été saisie d’une enquête, ouverte le 15 juillet 2021, et transmise au parquet de Paris. « La dénonciation arrive bien après, ils l’ont depuis longtemps identifié, c’est pour ça, je pense qu’ils n’ont pas pris la plainte », justifie une source policière. Les conclusions des investigations n’ont cependant toujours pas abouti alors même que le capitaine Delcourte a été immédiatement identifié grâce à son indicatif radio.

    Ça n’est pas la seule affaire dans laquelle son nom apparaît. Le capitaine Cyrille Delcourte était l’adjoint du chef de service, Patrick Lunel au sein de la tristement célèbre CSI 93. Souvenez-vous : à l’été 2020, cette compagnie est visée par 17 enquêtes judiciaires pour violences, propos racistes, racket de dealers, interpellations illégitimes, faux et usage de faux… Il est aujourd’hui en poste à la CI 22, dans l’Est parisien. Quatre fonctionnaires qui travaillent ou qui ont travaillé sous ses ordres dénoncent son management et ses méthodes illégales.

    Politique du chiffre

    « Systématiquement, la hiérarchie n’est jamais inquiétée alors que ce sont eux les donneurs d’ordres, eux qui poussent les collègues en première ligne à faire plus de chiffres », s’énerve Cédric Vladimir. Le représentant de la FPIP accuse les deux officiers à la tête de la CSI 93 d’avoir entraîné leurs troupes dans la mauvaise direction. « À partir des années 2010, on a des gars qui ont mis en place des coups d’achat illégaux [en Seine-Saint-Denis] parce qu’il fallait ramener plus de biscuit [de la drogue] pour que le chef de service [Patrick Lunel] et son adjoint [Cyrille Delcourte] atteignent leurs objectifs », abonde Jérôme (1), qui a travaillé à la CSI 93 de sa création jusqu’à l’annonce de sa dissolution à l’été 2020. Des policiers se font alors très régulièrement passer pour des acheteurs de drogue sans l’accord du procureur afin de faire plus de saisies. « Une fois, il a demandé à un collègue noir d’aller faire un coup d’achat à Aulnay en disant qu’il se fondrait dans la masse parce qu’il était black », rembobine le fonctionnaire :

    « Mais le collègue avait trop peur. Quand vous êtes tout seul au quatrième étage d’une tour face à des mecs cagoulés et armés même si les renforts arrivent dans cinq minutes… Il peut se passer beaucoup de choses. Personnellement, je ne me sens pas capable de faire ça. »

    D’autres en auraient fait « des centaines » de ces fameux coups d’achats. « La CSI 93, c’était des vestiaires de déguisements, il y avait des tenues de La Poste, d’Uber Eats, des djellabas… Certains prenaient même leurs voitures persos. » Tout ça pour jouer différents rôles d’acheteurs. « Je suis devenu un croquemitaine pour les dealers. Delcourte me demandait de ne pas lui raconter pour dire qu’il n’était pas au courant. Et il me remerciait avec une pizza », raconte Thomas (1). « La hiérarchie était contente, quand vous preniez 500 grammes [de cannabis], Delcourte vous payait une pizza, vous aviez des lettres de félicitations donc on ne pensait plus au côté : “On n’a pas le droit” », complète Jérôme :

    « C’est de notre faute aussi, on n’aurait jamais dû le faire mais si on ne l’avait pas fait, on aurait sûrement été mis au placard… »

    Abandonnés en rase campagne

    Julien C., un brigadier handicapé, en poste à la CSI 93 de 2014 à 2020, a accepté de témoigner à visage découvert pour dénoncer la gravité des agissements de l’officier. « Vraiment, on était poussés [à faire des coups d’achats], et quand ça a tourné au vinaigre, ils nous ont jetés en pâture aux lions », confirme-t-il. « Il finira par y avoir des morts à cause de lui si ce n’est pas déjà fait… », craint le brigadier. « C’est bien pire que dans Bac Nord, parce qu’ils nous ont demandé de faire du chiffre et, ensuite, ils nous ont balancés à l’IGPN quand ça a commencé à puer à l’été 2019 », poursuit Jérôme. « J’ai vu Delcourte et Lunel [ex-chef de service de la CSI 93] parler à un journaliste plusieurs fois avant que l’affaire sorte. Et après, Lunel a avoué devant toute l’équipe nous avoir balancés », explique le trentenaire.

    Les policiers évoluant sous les ordres du capitaine Delcourte dénoncent un « management par la peur, du copinage au vu et au su de tous ». Une fois, « un fonctionnaire a fait une faute de manipulation dans un stand de tir et la balle est passée à cinq centimètres de la tête d’un collègue. Mais Delcourte l’a couvert et, maintenant, il est à la protection des hautes personnalités », racontent des anciens membres de la CSI 93. « En fonction de si vous étiez copain avec Delcourte, vous n’aviez rien du tout ou sinon vous aviez l’échafaud », poursuit Jérôme (1). Et ce même si ces erreurs peuvent mettre en péril des dizaines de procédures :

    « Un collègue a porté un grade pendant plus de deux ans, donc on avait cru qu’il avait réussi l’examen et il a fait des écrits… Mais quand l’arrêté d’échelon est arrivé, ils se sont aperçus que le gars avait raté l’examen. Donc tous les écrits étaient des faux. Delcourte l’a couvert. »

    Si ceux qu’il avait à la bonne pouvaient se permettre presque tout, d’autres subissaient des humiliations à répétition. « Delcourte me disait : “T’es handicapé mais t’es pas une fiotte alors tu vas me faire un coup d’achat” », raconte Julien C. « Quand ma voix est devenue rauque à cause de ma maladie, il a commencé à m’humilier en m’imitant dans les couloirs, en disant mon nom et en criant : “Tu vas la fermer ta gueule”. Je n’ai jamais rien dit pour ne pas passer pour un faible », poursuit-il. Des humiliations récurrentes confirmées et dénoncées par plusieurs autres agents, sans que ça n’ait la moindre conséquence sur la carrière du capitaine Delcourte. La préfecture de police de Paris n’a pas souhaité commenter l’absence de sanction à son encontre malgré les signalements dont il a fait l’objet.

    Ça recommence !

    D’autres fonctionnaires, cette fois à la CI 22, dans laquelle Cyrille Delcourte officie depuis la dissolution de la CSI 93 il y a un an, confirment ses dérives managériales. « La CI 22 allait bien jusqu’à ce qu’il arrive. Maintenant, il a mis de côté le lieutenant et on vient au travail avec la boule au ventre », raconte Sébastien (1). Delcourte est encore accusé d’humilier ses agents. « À la base du garage nord de la CI 22, Porte de la Villette, lors de l’appel, il a dit devant 150 agents en rang militaire : “Vous n’êtes que des numéros, je peux vous remplacer en claquant des doigts mais le matériel ça prend plusieurs mois à être remplacé”. Je me souviens encore de sa voix qui résonne dans le hangar », témoigne Sébastien :

    « Il veut mettre en place un truc paramilitaire. Il instaure un climat de peur pour avoir le pouvoir qu’il n’avait pas à la CSI 93 parce qu’il y avait plus d’anciens. Chez nous, il y a pas mal de sorties d’école donc il sait très bien qu’ils ne vont pas parler. »

    D’autant que l’officier met immédiatement la pression sur les têtes qui dépassent. À l’été 2021, lors d’une opération de maintien de l’ordre, il demande à ses hommes de traverser une voie rapide où circulaient des voitures à plus de 80km/h :

    « Quand certains ont protesté, il a demandé à notre chef de section de “nous faire fermer notre gueule”. Je suis désolé mais au bout d’un moment, je tiens à ma vie. »

    Mais le policier se sent impuissant. « Si on fait un signalement, il faut faire un rapport écrit qui va suivre la voie hiérarchique et qui va passer par Delcourte. Si vous vous attaquez à plus gradé que vous dans la police, vous n’avez plus de vie », raconte Sébastien qui craint « un retour de bâton ».

    Contacté par StreetPress, l’officier Cyrille Delcourte n’a pas souhaité répondre aux accusations qui le visent.

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