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    19/10/2022

    Il voulait une « Sainte Inquisition » pour « nettoyer » la France

    Aldo Sterone, le YouTubeur algérien préféré de l'extrême droite

    Par Victor Mottin

    Vidéaste depuis plus de dix ans, Aldo Sterone a construit sa notoriété autour de thématiques chères à l’extrême droite. Pourtant, une partie de la fachosphère lui reproche ses origines et sa religion supposée.

    « Aujourd’hui ils se servent de la guerre en Ukraine comme d’un prétexte pour créer une méga crise en Europe. Le plan depuis quelques années c’est de détruire l’économie occidentale. » Le visage barré, comme à son habitude, par des lunettes de soleil de type « pilote », Aldo Sterone s’adresse, en plein cœur de l’été 2022, à la centaine de milliers d’abonnés que compte sa chaîne YouTube principale.

    Chez ce vidéaste, Amine Mecifi de son vrai nom, le scepticisme est érigé en véritable marque de fabrique. Cet Algérien expatrié au Royaume-Uni est convaincu, par exemple, que le premier pas de l’homme sur la Lune est une « opération psychologique américaine », ou compare à foison les soignants non vaccinés aux Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Comme beaucoup d’autres influenceurs prêchant un discours similaire, l’habitué des monologues face caméra a gagné en traction à la faveur de la crise sanitaire. Au point de devenir une personnalité influente de la complosphère francophone. En janvier 2020, son compte Twitter, pourtant créé en 2011, dépassait à peine les 30.000 abonnés. Aujourd’hui, il en compte plus de 70.000.

    À gauche, à droite…

    Le YouTubeur est pourtant loin d’être un nouvel arrivant. Dans les années 2010, celui qui se présente lui-même comme « le fils caché de Jean-Marie Le Pen et d’Arlette Laguiller », est devenu la caution maghrébine de l’extrême droite française. À StreetPress, il assure pourtant avoir une « forte sensibilité de gauche » qui se manifesterait par son « hostilité contre les banques et le monde de l’entreprise », ainsi que ses critiques envers l’institution policière. « J’ai grandi en Algérie dans un environnement très socialiste. À 18 ans, je portais le T-shirt du Che », se remémore le wannabe révolutionnaire. De passage en France, il s’encarte même au PCF avant d’en déserter les rangs, s’estimant « plus radical qu’eux ».

    Certaines de ses anciennes vidéos ne laissent néanmoins pas planer de doutes sur ses accointances idéologiques avec les fafs de l’Hexagone. À la suite de l’adoption du « mariage pour tous », il affirme qu’une « civilisation humaine n’a [jamais] tenu en mariant l’homme à l’homme ». Plus récemment, il qualifiait le droit à l’avortement de « victoire de l’instant contre l’éternité » et déplorait un « véritable projet de destruction » de la famille.

    Promoteur du Grand Remplacement

    Surtout, dès ses débuts sur YouTube, le natif d’Oran adopte une ligne anti-immigration forte qui lui vaut la sympathie d’une partie de la dissidence. « Vous les Français, je me demande si vous allez exister dans 50 ans », s’esclaffe-t-il, dans une vidéo publiée en 2013. Avant d’ajouter, tout sourire :

    « Vous allez vous retrouver comme des cons à expliquer que vous aviez un pays et qu’on vous a viré de chez vous. »

    Ce n’est donc pas une surprise qu’il devienne* l’un des chantres de la théorie complotiste du grand remplacement*, théorisée par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus, et qui défend l’existence d’un processus délibéré de substitution d’une population française dite « de souche » par une population non-européenne et majoritairement musulmane. Ce dernier est d’ailleurs familier d’Aldo Sterone, au point de le citer dans son journal en 2018. S’il affirme ne pas avoir échangé avec l’écrivain d’extrême droite depuis plusieurs années, le quadragénaire ne cache pas non plus sa « relation cordiale » avec l’auteur de « La grande déculturation ».

    Un « vrai pote maghrébin qui vous veut du bien »

    Et Renaud Camus est loin d’être le seul à avoir cerné le potentiel du YouTubeur. Cité à de nombreuses reprises sur Égalité & Réconciliation, FDeSouche, Boulevard Voltaire ou Breizh-Info, des médias sur lesquels il est par exemple qualifié de « vrai pote maghrébin » qui « vous veut du bien », Aldo Sterone représente, aux yeux de la fachosphère, une caution. Daniel Conversano, militant suprémaciste blanc dont StreetPress avait brossé le portrait l’année dernière, l’a même élevé au rang « d’ami de l’Occident » en 2018 – avant de se rétracter. Quant à Piero San Giorgio, un temps associé en affaire avec Alain Soral, il s’affiche à plusieurs reprises aux côtés du blogueur algérien et le qualifie d‘« ami » dans un mail adressé à StreetPress.

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    Aldo Sterone en compagnie de Bruno Gollnisch. / Crédits : DR

    Il faut dire qu’Aldo Sterone a su séduire par son sens de la formule choc. Dans la droite lignée d’un Soral, personnage dont il assure « apprécier ses analyses, excepté son obsession pour les Juifs et Israël », il explique sur son site être « du côté de l’ouvrier et contre le migrant qui est transporté par ses associations Soros », réactualisant, au passage, une vieille rhétorique antisémite.

    En 2012, une époque où il soutenait ouvertement le Front National – même s’il confie aujourd’hui qu’il préférait le père Le Pen – il partage dans une vidéo sa crainte de voir « chaque village, chaque rue de la France [ressembler] à certains quartiers de la Seine-Saint-Denis ou bien de Marseille ». Pour lui, la solution est radicale :

    « Il faudrait que du passé revienne la Sainte Inquisition pour nettoyer votre pays ».

    Interrogé par StreetPress sur sa proximité idéologique avec l’extrême droite, Aldo Sterone met désormais de l’eau dans son vin. Pour preuve, il dit avoir rejeté Zemmour et sa promotion du grand remplacement. Pour le vidéaste, « ce qui intéressait l’extrême droite » étaient ses « sorties sur l’immigration ». Choqué et déçu, il analyse son ancienne popularité :

    « Ils peuvent prendre mes vidéos de 27 minutes, les couper et garder ce qui correspond à ce qu’ils veulent entendre, et le reste ne les intéresse pas. »

    « Solidarité raciale envers ses potes racailles »

    Un revirement qui lui a attiré les foudres d’une partie de la fachosphère, à commencer par Daniel Conversano. Le fondateur de « Suavelos » – une organisation prônant le communautarisme blanc – lui a en effet reproché sur Telegram sa « solidarité raciale envers ses potes racailles » et son « empathie pour les futurs remigrés ». Contacté par StreetPress, l’influenceur très raciste affirme qu’il appréciait Sterone car il n’en aurait eu « qu’une connaissance superficielle ». Mais horreur, il aurait depuis réalisé qu’il valorisait « l’islam chiite » et serait « toujours musulman ».

    Conversano n’est pas le seul faf à avoir reproché à Sterone son origine et sa prétendue religion. En 2018, le journaliste identitaire Jean Robin l’accuse d’être un « agent iranien » au service du chiisme et de pratiquer la « taqîya » – un terme notamment utilisé dans la rhétorique islamophobe pour désigner une dissimulation de la foi dans un but de conquête. Pour Jean Robin (1), il est clair qu’Aldo Sterone est un « ennemi de la France et des Français ».

    « Je n’écoute plus l’opinion politique des Arabes sur mon pays »

    Pas simple à digérer pour celui qui se targuait de lutter contre Daesh et l’islamisme via ses vidéos. « À l’époque, j’ai ressenti qu’il n’était pas possible de devenir ami avec ces gens-là. Je viens d’Afrique, il y a une présomption de culpabilité qui plane sur moi », ressasse le principal intéressé.

    Il assure depuis avoir arrêté de parler d’Islam et d’immigration. Reste que le vidéaste n’a pas totalement rompu avec certaines idées conservatrices, en témoigne sa critique des « dérives sociétales à l’œuvre en Occident » ou ses retweets des posts de Philippot, Asselineau ou Damien Rieu. Mais aux yeux de la fachosphère, ça ne suffira jamais. « Je n’écoute plus l’opinion politique des Arabes sur mon pays. Leur avis ne m’intéresse pas. C’est à nous de décider de notre sort », résumait, en avril, Daniel Conversano.

    (1) Contacté par StreetPress, Jean Robin n’a pas souhaité répondre à nos questions, accusant les journalistes de StreetPress d’être des « agents de la police des mœurs d’extrême-gauche soutenus par l’État ».

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