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    01/05/2023

    Les étudiants, les grévistes et même les gens de droite se l’arrachent

    La grande histoire de la casquette CGT à strass

    Par Elisa Verbeke

    Depuis le début des mobilisations contre la réforme des retraites, la casquette en jean siglée des trois lettres CGT en faux diamants est en rupture de stock. StreetPress a rencontré son créateur.

    Victime de son succès. La casquette CGT est en rupture de stock depuis des semaines. « J’en ai recommandé 1.000 ! », assurait Frédéric Pommé, le seul et l’unique designer du couvre-chef préféré des grévistes, il y a encore une semaine. Mais en à peine plus de 24 heures, elles sont de nouveau sold-out. Le grand barbu passe ses journées à la boutique officielle de la CGT, située au siège national du syndicat à Montreuil (93). Il tient le merch’ depuis 25 ans. Le sexagénaire n’a toutefois pas tout à fait saisi l’engouement autour de son produit : « Je ne suis pas sur les réseaux sociaux… »

    Et pourtant, sa casquette est un des memes gauchistes les plus connus d’Internet : Philippe Poutou s’affiche avec, tout sourire, strass en pleine lumière. Plus récemment, Mathilde Caillard d’Alternatiba, plus connue sous le pseudo de MC danse pour le climat, l’a arborée en manifestation. Le rédac chef de Regards, Pablo Pillaud, l’avait lui sur un plateau de RTL. Portée dans les mouvements de contestation contre la réforme des retraites, dans les grèves, dans les AG étudiantes, plus simplement dans la rue en accessoire à la mode, ou même en boîte de nuit, la casquette à la base revendicative est devenue un accessoire de mode. « Elle symbolise un renouveau de la CGT », analyse Nora, une étudiante en socio qui a retourné internet pour espérer se la procurer.

    Engouement général

    « J’ai envie d’avoir la casquette CGT parce que je la trouve cool. Je suis dans le NPA Jeunes, et on ne fait pas de merch’ aussi sympa », explique Elena. La vingtenaire et étudiante en arts continue :

    « Je voudrais un look militant et sympa pour les prochaines manifs. »

    Nora, aussi en rêve : « Je l’ai vue en manif il y a un mois ou deux, je l’ai trouvée incroyable, elle rayonne au soleil ! »

    « Je la porte car je la trouve trop belle. » Pablo Pillaud est rédacteur en chef de la revue Regards et une figure médiatique montante. Invité le 6 avril d’un plateau RTL, il est venu coiffé de la fameuse casquette :

    « Je considère que je fais partie de la grande famille de la gauche, même si je suis un simple adhérent de la SNJ-CGT. »

    Avant quelques plateaux BFM, où il a maintenant son rond de serviette, il est arrivé que des présentateurs – « plutôt de droite » – lui demandent d’où vient sa casquette. Dominique Rizet, journaliste police-justice de la chaîne d’info en continu, s’est même pris en photo avec ! Il a demandé à Pablo de lui en trouver une. « Il m’a dit : Tu la mettras dans mon casier ! » Pablo Pillaud suppose en plaisantant : « Pour eux, c’est un objet exotique. Comme le serait une casquette avec une faucille et un marteau. »

    Totem et symbolique

    Mathilde Caillard aka MC danse pour le climat, elle, s’est fait connaître du grand public pendant les manifestations contre la réforme des retraites, grâce à ses performances de danse dans le cortège d’Alternatiba, mouvement pour le climat et la justice sociale. Elle défend la fête comme moyen de mobilisation, parfois le couvre-chef sur la tête :

    « Cette casquette incarne un totem des jeunes, au sein de la bataille culturelle. Un élément de ralliement qu’on est fiers de porter et de revendiquer ! »

    « Je pense qu’elle plaît parmi les jeunes parce qu’on est nombreux à s’être mobilisés pour la première fois dans ce mouvement social. On a envie de se distinguer avec nos vêtements et de montrer qu’on milite », continue Elena, l’étudiante en arts.

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    Confection

    Tapis derrière son comptoir, dans la boutique officielle au siège de la Confédération générale du travail à Montreuil, Frédéric Pommé prépare les colis, répond aux mails, fait des commandes à ses fournisseurs. Entre deux cigarettes fumées dans sa boutique, il a confectionné le couvre-chef tant convoité :

    « J’ai dit aux fournisseurs que je voulais faire quelque chose en jean avec des strass, on m’a proposé un prototype et c’est parti en production. »

    Un peu honteux, il avoue que les casquettes sont fabriquées en Chine. « Sinon on ne pourrait pas les vendre à neuf euros », justifie-t-il. Les marges ne sont d’ailleurs pas très grosses. « 30% environ », quand celles de l’industrie textile oscillent entre 45% voire 80%.

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    Frédéric Pommé prépare les colis, répond aux mails, fait des commandes à ses fournisseurs. Entre deux cigarettes fumées dans sa boutique, c'est lui qui a confectionné le couvre-chef tant convoité. / Crédits : Elisa Verbeke

    « Je l’ai conçue il y a deux ans, pour les femmes et pour les jeunes. Je voulais changer du côté classique, rouge, de la CGT. » Comme seule lucarne sur le succès de sa collection, Fred n’a que sa boutique, où différents collaborateurs passent en acheter une ou deux, – « jamais pour eux mais pour leurs enfants » – et quelques échanges électroniques :

    « Je reçois plusieurs mails de gens qui me demandent de la remettre en ligne. Je leur réponds que ça arrive. »

    Jusque-là, les meilleures ventes étaient celles des décapsuleurs rouge vif. Iconique, ils lancent l’Internationale à chaque bière décapsulée. « J’ai enregistré le son depuis une vidéo sur mon ordinateur, et je l’ai envoyé à mon fournisseur, ça a fait un tabac ! » Le chant révolutionnaire communard est un hymne populaire et historique de la gauche. À dix mille lieues des strass.

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    Comme seule lucarne sur le succès de sa collection, Fred n’a que sa boutique, où différents collaborateurs passent en acheter une ou deux, – « jamais pour eux mais pour leurs enfants ». / Crédits : Elisa Verbeke

    Le nouveau cool de la CGT

    « J’avais une image de la CGT un peu “masculinistes” », commence Nora, l’étudiante en socio. « Avec son look des années 2000, cette casquette change cette image », poursuit-elle :

    « Je trouve trop chouette de détourner complètement les codes classiques des syndicats. »

    Clément Laré, lui, est journaliste mode chez Stylist, il ajoute : « Je trouve cool ce décalage justement, entre une casquette CGT et une esthétique Paris Hilton ou Britney Spears ! » « Ce qui me plaît, c’est justement le côté “bimbo” de ces années ! », renchérit Elena. Depuis quelque temps, les années 2000 ou y2k, sont au goût du jour et des tendances. L’autrice et spécialiste d’anthropologie de la mode, Alice Pfeiffer a même écrit un livre sur le sujet : Le goût du moche. Dans une interview donnée au magazine l’ADN, elle explique : « Les années 2000 incarnent l’ostentatoire, le sexy revendiqué du corps féminin, le corps joyeux, jeune et musclé. » Strass, jean troué et bling-blings à gogo, c’est la règle. Le fait que cette esthétique se retrouve dans les espaces de lutte fait tout aussi sens : « On peut y voir une revanche du peuple, une relecture populaire de codes qui indiquent la réussite », poursuit l’experte. Fred, le créateur de la casquette, certifie à StreetPress qu’il n’avait pas conscience que les années 2000 étaient revenues à la mode.

    La tendance de la casquette à strass s’inscrit aussi dans les codes de la « génération Internet », comme la nomme Clément, le journaliste. Pour lui, « ce qui est cool avec cette casquette, c’est que cette génération se mobilise. À l’image des gens qui vont en manif avec des pancartes memes ! » Des figures du net se sont aussi mobilisées lors de la réforme des retraites. Polska, une des seules influenceuses lifestyle à s’être rendue publiquement en manifestation ces dernières semaines – en se faisant remarquer avec son slogan : « Les formes contre la réforme », aurait reçu en goodies la casquette de la part de la CGT cadres et a enflammé Twitter.

    « Bruyante et tape à l’oeil »

    De son côté, la CGT a recensé des centaines de nouveaux jeunes adhérents. Agathe le Berder, responsable de la section jeunes diplômés de la CGT Cadres et ingénieurs, développe : « On a eu énormément de demandes d’adhésion de jeunes cadres, entre janvier et mars. » Elle précise que « les moments de mobilisation créent une énorme dynamique de syndicalisation, les jeunes retrouvent le pouvoir d’agir sur leurs vies ». Avant de finir : « Parmi les nouveaux, nombreux sont les jeunes diplômés qui ont l’envie d’organiser des AG ou de monter leurs sections syndicales dans leurs métiers. C’est vraiment super ! » Pour Elena, l’étudiante en socio, « d’autres éléments, comme le chant de manif : “On est la CGT ! Vous êtes la CGT !”, font partie de notre univers en ce moment ! » Nora complète :

    « Je ne suis pas syndiquée, mais j’adhère aux idées. Encore plus depuis que c’est Sophie Binet [à la tête du syndicat]. »

    « Je rejoins Mathilde Caillard ! », finit Pablo Pillaud, le rédacteur en chef de Regards. « La manif doit être joyeuse et un espace festif. » Il raconte avoir fait trois des 12 mobilisations intersyndicales, vêtu d’une grande robe dorée, « en portant la casquette à strass, en totale brillance ! ». Il ne déteste pas la casquette rouge, classique, « mais je suis pédé et de gauche. Pour moi, la manif c’est festif ! » Elena, l’étudiante en arts, conclut d’ailleurs :

    « Cette casquette, elle est populaire, bruyante, festive, et rassemble. Un peu à l’image de ce mouvement ! »

    Pour se procurer la casquette, c’est ici ou à la boutique officielle de la CGT à Montreuil.

    Enquête d’Elisa Verbeke. Illustration de Caroline Varon.

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