En ce moment

    04/09/2023

    Le petit prince de l'afro trap risque 30 ans de prison

    Au cœur des rixes, le procès du rappeur MHD s’ouvre à Paris

    Par Lola Breton

    Dans la nuit du 5 au 6 juillet 2018, Loïc est mort dans une énième confrontation entre deux bandes rivales du 10e et du 19e arrondissement de Paris. Neuf hommes sont jugés pour ce meurtre ce 4 septembre. Parmi eux, la star du rap français MHD.

    Dans la lueur des lampadaires, Loïc Kamtchouang se meurt. Au niveau du 188 rue Saint-Maur, des silhouettes, pressées, se dessinent. La lumière orangée vient éclairer un survêtement Puma noir aux bandes blanches floquées « Rebel Hobby » et un crâne teinté de blond, qui s’enfuit dans la nuit. À demi-cachés, des témoins croient reconnaître MHD. Le rappeur est alors au sommet de son art. Sa présence supposée dans cette rue la nuit du 5 au 6 juillet 2018 a mis un coup d’arrêt à sa carrière. Mohamed Sylla, de son vrai nom, s’est toujours défendu d’avoir participé au déchaînement de violence qui a coûté la vie à la victime franco-camerounaise de 23 ans.

    Du 4 au 22 septembre, MHD est jugé pour meurtre devant la cour d’assises de Paris (75), aux côtés de huit autres hommes. Ils encourent 30 ans de réclusion criminelle. Trois semaines pour tenter de comprendre pourquoi un jeune homme originaire du 10e arrondissement est mort sous 22 coups de couteau administrés, pense la justice, par un escadron d’une dizaine de jeunes du quartier voisin : celui des Chaufourniers/Cité rouge du 19e arrondissement. Trois semaines pour expliquer, peut-être, la présence de l’inventeur autoproclamé de l’afrotrap dans ce dossier.

    30 marques de coups au total

    Il est 2h50, ce 6 juillet 2018, lorsque huit amis du quartier de la Grange-aux-Belles discutent. Installés dans la rue du Buisson Saint-Louis, ils voient apparaître un groupe de visages familiers et hostiles. Les silhouettes, venues des Chaufourniers, fondent sur eux. Une course folle s’enclenche. Derrière les hommes, une berline noire s’engage. Sept des cibles parviennent à s’enfuir. Mais Loïc Kamtchouang ne court pas assez vite. La Mercedes immatriculée en Allemagne le percute par la droite. La bande fond alors sur lui. Il reçoit coups de pieds, coups de poing et coups de couteau. Son corps entier est attaqué. L’autopsie note trente marques de coups et de blessures au total. La lame d’un Opinel, retrouvé à quelques mètres de son corps, transperce sa peau, ses veines, et entaille même profondément son nez. À 3h34, alors que les pompiers viennent d’arriver sur place, Loïc Kamtchouang meurt d’une hémorragie due à un coup reçu à la cuisse, en pleine artère fémorale. Les sauveteurs n’ont rien pu faire.

    Les caméras de surveillance de la ville ont tout filmé. Sur leur smartphone, des témoins ont enregistré la scène sous d’autres angles. Les agresseurs ont presque tous rabattu une capuche sur leur crâne. Ne reste que cette silhouette à la teinture blonde, voyante. Et dans la bouche de certains témoins, trois lettres : MHD. Un homme en particulier, originaire du quartier de la Grange-aux-Belles, assure, sur procès-verbal, avoir reconnu le rappeur :

    « Il avait un pull noir avec écrit Puma dessus. Il avait sa capuche qui était remontée, mais elle était remontée façon beau gosse, en montrant sa tête. On voyait un peu ses cheveux teints en blond. Je l’ai vu, les yeux dans les yeux. Je l’ai bien reconnu. »

    Ce témoin n’a jamais répondu aux sollicitations de la défense pour une confrontation judiciaire avec celui qu’il accuse.

    L’individu D et la Mercedes

    Les enquêteurs recueillent les témoignages, mais n’inquiètent pas le rappeur immédiatement. Il leur faut d’abord analyser les vidéos. Minutieusement, ils comptent le nombre de silhouettes, leur attribuent une lettre, déterminent les actions de chacune. L’homme noir aux cheveux blonds est désigné comme « l’individu D » par les agents de la police judiciaire. Sur une vidéo tournée depuis une fenêtre qui donne sur la rue Saint-Maur, ils notent que « trois coups de pieds provenant de l’endroit où l’individu D se trouve partent en direction de la victime ». « Puis, D. se faufile à travers les autres agresseurs pour s’extraire du groupe. Il se positionne au milieu de la chaussée durant 11 secondes et regarde ses amis poignarder à plusieurs reprises la victime sans réagir. Puis il se dirige vers les pieds de la victime, attrape ce dernier par les jambes et le tire en arrière sur une distance d’environ un mètre. Lorsqu’il repasse à la hauteur de la victime, déjà inanimée, il lui assène un grand coup de pied avec sa jambe droite. » D. tente alors de remonter dans la Mercedes, déjà remplie. À pied, il s’enfuit alors, vers le boulevard de la Villette.

    À VOIR AUSSI : « J’ai voulu me suicider » : le combat d’un père contre les guerres de cités

    Le 15 janvier 2019, MHD est arrêté dans son appartement de Neuilly-sur-Seine. Pendant sa garde à vue, les enquêteurs lui présentent les soupçons qui pèsent contre lui. Si les témoignages sont importants, l’utilisation le soir du meurtre de la Mercedes noire immatriculée au nom de Mohamed Sylla l’est encore plus. C’est sa voiture qui a transporté les agresseurs et percuté Loïc Kamtchouang. « Le soir des faits, je n’étais pas présent sur les lieux », a-t-il répété à la juge d’instruction tout au long de l’enquête. Le rappeur qui, quelques mois avant le meurtre, s’est produit au festival Coachella, véritable consécration pour un artiste français, explique être allé au bowling le soir du 5 au 6 juillet 2018. Vers minuit, il dit être s’être rendu à la cité des Chaufourniers pour traîner entre amis :

    « On était posé, il y avait de la musique, il y avait à boire, ça fumait comme d’habitude. […] Quand je suis redescendu, il n’y avait plus personne au quartier. »

    Celles et ceux qui l’ont croisé au milieu de la nuit alors qu’il rentre préparer sa valise avant un concert en Allemagne se souviennent de sa tenue : jean et T-shirt blanc.

    « Depuis qu’on a 15 ans, c’est clubs de golf, marteaux, battes de baseball, extincteurs »

    Comment le nom du rappeur le plus en vogue de la scène française s’est-il retrouvé associé à ce dossier judiciaire ? La teinture blonde ? « On est plus de vingt à la cité à [en] avoir une », répond-il aux enquêteurs. Le survêtement édition limitée Puma, marque dont il est ambassadeur ? « Je reçois un ou plusieurs colis chaque semaine, ça m’arrive de distribuer aux gens de ma cité. […] Dès que j’arrive à la cité, j’ouvre le coffre de ma voiture, soit c’est moi qui donne, soit les gens se servent directement. » Quant à la berline, incendiée dans la foulée du meurtre, le 6 juillet et retrouvée à quelques centaines de mètres, dans le 19e arrondissement, MHD dit également la mettre à disposition de ses connaissances de la cité rouge. Depuis son interpellation, le rappeur ne cesse de nier son implication dans le meurtre de Loïc Kamtchouang. Libéré sous contrôle judiciaire – qui l’empêche notamment de se rendre à Paris – le 16 juillet 2020 après 18 mois de détention provisoire à la prison de la Santé, MHD a depuis repris le chemin des studios. Il a officialisé son retour en 2021 avec son troisième album Mansa, qui a depuis été certifié disque d’or, et il a publié son dernier single, Lyca, le 4 août dernier. Contactés, ses avocats n’ont pas souhaité répondre à nos questions et indiquent « garder pour la cour d’assises [leur] ligne de défense ».

    Reste ce déferlement de violence, indéniable, et l’incompréhension. « Ce procès est un dernier espoir d’avoir des réponses crédibles et concrètes », rapporte Me Juliette Chapelle pour ses clients, les parents et le frère de Loïc. Elle déplore :

    « Pour l’instant, malgré l’instruction, personne n’a voulu raconter ce qu’il s’est vraiment passé et leur rôle. »

    Où débute cette violence qui n’était pas nouvelle le soir du meurtre et qui touche des familles depuis plusieurs années ? Dans la journée du 5 juillet, une dizaine d’hommes de la cité Grange-aux-Belles seraient venus menacer, à son domicile, un jeune des Chaufourniers. Un des témoins du meurtre dit aux enquêteurs :

    « Depuis qu’on a 15 ans, c’est clubs de golf, marteaux, battes de baseball, extincteurs. »

    Cet après-midi-là ne diffère pas des autres. L’homme menacé s’appelle Binke K. Il parvient à se cacher de ses agresseurs et prévient son grand frère, footballeur professionnel et ami de MHD. Il fait partie des neuf accusés qui devront répondre du meurtre de Loïc Kamtchouang devant la cour d’assises de Paris.

    À VOIR AUSSI : Leurs fils ont été tués dans une guerre entre deux cités, elles parlent pour la première fois

    « On ne comprend pas comment cette violence a pu naître »

    La querelle entre les deux quartiers voisins est bien plus ancienne. Elle se perpétue d’année en année et de génération en génération. Le 21 mars 2017, l’escalade de la violence avait déjà eu lieu. Même scénario, ou presque. Un homme du 10e arrondissement avait eu maille à partir avec les rivaux du 19e. Il fallait le venger. À 19h ce jour de printemps, une vingtaine de personnes s’élancent vers la Cité Rouge. Ils entrent dans un bar, frappent et poignardent deux hommes attablés dans l’établissement. Puis, ils courent après Mehrez B., 29 ans, qui tente de fuir ce déferlement de violence. Ils le rattrapent et, avec 18 coups de couteau, le tue. Au procès, en février 2021, il y avait 12 accusés. Neuf d’entre eux ont été acquittés. Les trois autres ont écopé de huit à 13 ans de prison ferme. « On ne comprend pas comment cette violence a pu naître. C’est une rivalité ancestrale. On identifie l’autre comme étant un ennemi », résume, sans tout à fait comprendre, maître Laurent Benarrous, avocat de la famille de Mehrez B. Déjà lors de ce procès, la cour et les jurés avaient été mis face à l’ampleur de cette violence dont on ne connait ni le commencement ni la finalité. L’avocat parisien estime :

    « Cela risque d’autant moins de s’arrêter que la justice ne peut pas faire son travail. Pour les jurés, ce sont des procès trop compliqués. En quinze jours, il faut juger 20 personnes sur des faits et des situations complexes, sans avoir lu le dossier. »

    Dans le cas du meurtre de Loïc Kamtchouang, les jurés devraient se prononcer le 22 septembre sur la culpabilité des neuf accusés. Qu’ils soient, ou pas, rappeurs à succès.

    À LIRE AUSSI : La guerre des kids

    Illustration de Une par Caroline Varon.

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER