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    28/09/2023

    Quitter ces logements indignes « est un grand soulagement »

    Les 29 retraités de l’Hôtel du Marché ont enfin été relogés

    Par Pauline Gauer

    Gérard, Daaou, Halli et Meriem ont vécu un enfer à l’Hôtel du Marché, dans des logements indignes, à Paris. Après 12 mois de combat, ils ont été relogés. Un soulagement pour ces retraités, qui se sont longtemps tus.

    Paris 19ème arrondissement – Gérard, 74 ans, dévisage l’Hôtel du Marché appuyé sur ses béquilles. Le bâtiment au rez-de-chaussée condamné et volets fermés, fait l’angle de la rue de Meaux, dans le 19ème arrondissement. Il a fermé quatre jours plus tôt. Gérard y a résidé plus de 11 ans, durant lesquelles il a vécu un « cauchemar ». Tout comme les 28 autres locataires de l’hôtel. Sous la pluie, le vieil homme souffle :

    « Quand je revois l’immeuble, je pense aux cafards, aux punaises de lit, à la saleté, aux dégradations. »

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    Le bâtiment au rez-de-chaussée de l’Hôtel du Marché dans le 19ème arrondissement a fermé et est désormais condamné. / Crédits : Pauline Gauer

    L’immeuble est ce que l’on appelait à l’époque un « garni » : un hôtel qui propose de petites chambres meublées à la nuit ou à la location. En juillet 2022, Gérard faisait visiter à StreetPress sa petite pièce étriquée, sans douche, couverte de moisissures et envahie par les nuisibles. Les propriétaires, la société immobilière Genestone, leur a fait vivre un calvaire, avant de les menacer d’expulsion. « Je suis soulagé de ne plus y être. »

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    L’immeuble est ce que l’on appelait à l’époque un « garni » : un hôtel qui propose de petites chambres meublées à la nuit ou à la location. / Crédits : Pauline Gauer

    À RELIRE : Pour 550 euros, des retraités louent une chambre de misère, moisissures et rats inclus

    Ce 22 septembre 2023, Gérard et d’autres anciens locataires fêtent leur victoire en bas du bâtiment avec l’association Droit au Logement (DAL) : après plusieurs mois de combat, ils ont tous été relogés dans des appartements dignes. Pour la majorité d’entre eux, cette lutte a été leur première contestation. Adel, membre du DAL, contextualise :

    « Ils n’osaient pas parler, ils se cachaient. Cette lutte est enfin une façon d’exister. »

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    Ce 22 septembre 2023, les anciens anciens locataires de l'Hôtel du Marché fêtent leur victoire en bas du bâtiment avec l’association Droit au Logement : après plusieurs mois de combat, ils ont tous été relogés dans des appartements dignes. / Crédits : Pauline Gauer

    Le calvaire

    Sous le drapeau jaune du DAL, Daaou, 68 ans, tente de dissimuler son émotion. « Vous n’imaginez pas tout ce que l’on a vécu », raconte le retraité rasé de près pour l’occasion. Quand StreetPress l’a rencontré en juin 2022, il vivait depuis cinq ans dans un appartement de 13m2 au deuxième étage. Il se souvient douloureusement des toilettes turques communes et insalubres, de la précarité de sa situation, entre chambres de bonne et l’hôtel, depuis son arrivée en 1979. L’immigré algérien confie, un pincement au coeur, tout en s’abritant de la pluie sous sa veste en daim :

    « J’ai vécu toute ma vie ici tout seul, comme un petit con. Comme un clochard. J’ai honte d’avoir accepté de vivre dans ces conditions. »

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    Quand StreetPress l’a rencontré en juin 2022, Daaou, 68 ans, vivait depuis cinq ans dans un appartement de 13m2 au deuxième étage. / Crédits : Pauline Gauer

    Aucun des retraités n’avait les moyens de quitter les lieux. Si bien que les propriétaires auraient menacé de priver les locataires mécontents du peu de ressources. Gestion de l’eau chaude, de l’électricité, du courrier, la clé des douches, ils avaient la main sur tout. En 2022, le porte-parole du DAL, Jean-Baptiste Eyraud, expliquait à StreetPress que la société immobilière Genestone avait engagé une procédure de vente avec une autre société, à condition que les locataires aient quitté les lieux. Qualifiant l’expulsion « d’abusive », l’association DAL avait encouragé les résidents à rester dans leur logement et à lutter pour leurs droits.

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    Gérard, 74 ans, a vécu 11 ans au sein de l'Hôtel du Marché : « Quand je revois l'immeuble, je pense aux cafards, aux punaises de lit, à la saleté, aux dégradations. » / Crédits : Pauline Gauer

    Une lutte locale

    Une habitante du quartier, parapluie à la main, interpelle Gérard. « Je viens d’apprendre une bonne nouvelle, vous êtes relogés ? Je suis vraiment très contente pour vous », sourit-elle. Fier, le retraité lui raconte ses aventures. En aparté, Adel, membre du DAL, raconte : « C’est devenu une lutte de quartier. Des rendez-vous hebdomadaires étaient organisés les samedis à 11h devant l’hôtel pour intéresser les riverains et les collectifs qui se greffaient ». Gérard, qui a toujours été très impliqué dans la lutte en tant que délégué des familles, raconte les coupures d’électricité et l’enfer qu’ils ont subi :

    « Tout l’hiver, on a dû se doucher à l’eau froide. Ils ont coupé le chauffage. On était sous nos couvertures. »

    Les résidents finissent par impliquer la mairie suite aux menaces des gérants de « ramener des gros bras pour les évacuer ». « On a même fini devant la mairie pour crier : “On a froid, on vient se réchauffer.” », se souvient Gérard.

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    Un combat pour un relogement devenu une lutte de quartier. / Crédits : Pauline Gauer

    La mairie du 19ème arrondissement s’est joint au DAL pour héberger les habitants du lieu insalubre. Devant l’Hôtel du Marché, Jean-Baptiste Eyraud crie victoire pour tous les résidents, avec toutefois un peu d’amertume :

    « On a gagné, mais pas totalement… »

    Un an plus tôt, StreetPress a rencontré Marcel, 86 ans, dans sa chambre du deuxième étage. Seul et handicapé, il ne pouvait pas accéder à la douche du rez-de-chaussée et se faisait livrer ses courses. « En janvier, il est tombé de froid et de fatigue dans sa chambre. Nous l’avons retrouvé quelques heures plus tard gisant au sol », souffle Adel. Marcel est resté près d’un mois à l’hôpital, avant de s’éteindre le 9 février 2023.

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    L'année dernière, StreetPress avait rencontré Marcel, 86 ans, dans sa chambre du deuxième étage. / Crédits : Pauline Gauer

    Relogés

    « On a créé des liens, quelque chose de fort », confie Gérard, nostalgique de la « vie de famille » qu’ils ont construite entre résidents. « Pour nous, c’était la mésaventure mais l’aventure quand même aussi. » Un pins du DAL est toujours accroché à son manteau beige. Il a été relogé dans une résidence senior à Belleville au mois d’octobre. Le vieil homme a quitté son 9m2 miteux de l’Hôtel du Marché pour un 40 m2, avec un loyer de seulement 100 euros de plus. Il s’en sort avec ses 1.000 euros de retraite. « On continue de se voir », poursuit « Gégé », comme tout le monde le surnomme. Il rend souvent visite à Meriem (1), rencontrée par StreetPress en 2022, dont le mari et le fils autiste étaient tous deux hospitalisés. Désormais, ils vivent tous les trois dans un appartement plus adapté dans le même quartier.

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    Gérard, Daaou, Halli et Meriem ont vécu un enfer à l’Hôtel du Marché. Après 12 mois de combat, ils pu être enfin relogés. / Crédits : Pauline Gauer

    Quant à Halli, un autre résident qui logeait au 5ème étage, dans un appartement dont le sol se séparait en deux et un lit rempli de punaises, il a trouvé son bonheur dans un logement du 5ème arrondissement.

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    Depuis le mois de mars, Daaou a été relogé dans un appartement social de 40m2 à Noisy-le-Sec. / Crédits : Pauline Gauer

    « Quand j’ai su que j’allais être relogé, c’était une grande joie. Mon jour de bonheur. » Depuis le mois de mars, Daaou a été relogé dans un appartement social de 40m2 à Noisy-le-Sec (93). « J’ai sauté de joie et j’ai payé une tournée générale quand j’ai appris que j’avais une proposition de logement. C’était comme une deuxième naissance », raconte le joyeux bonhomme en installant le repas dans son nouvel appartement. Il est locataire « à vie » de ce logement social de 40m2 :

    « Je suis comme tout le monde maintenant. C’est comme Camping Paradis avec les arbres dehors. »

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    C’est la première fois depuis 45 ans que Daaou et sa femme Houria vivent ensemble. / Crédits : Pauline Gauer

    En juillet, sa femme a enfin quitté l’Algérie pour le rejoindre. Ils se sont mariés en 1980, un an après que Daaou se soit installé en France. C’est la première fois depuis 45 ans qu’ils vivent ensemble. Sa femme s’appelle Houria. En langue arabe, « Houria » signifie l’indépendance.

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    En juillet, Houria, la femme de Daaou, a enfin quitté l’Algérie pour le rejoindre. / Crédits : Pauline Gauer

    (1) Le prénom a été changé.

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