En ce moment

    25/01/2024

    Violences policières et faux témoignages

    Un policier condamné pour avoir enfoncé les yeux d’un étranger enfermé en centre de rétention

    Par Ariane Lavrilleux

    Fin 2022 au centre de rétention administrative de Toulouse, Samir est victime de violences policières. Pour couvrir leurs méfaits, deux fonctionnaires l’accusent lui de violences. Les images de vidéo-surveillance vont permettre à la vérité d’éclater.

    En garde à vue, Samir (1) ne comprend pas ce qui lui arrive. Le 24 novembre 2022, des policiers l’isolent et lui tombent dessus, dans une salle du centre de rétention administrative (Cra) de Toulouse-Cornebarrieu (31), où il est enfermé depuis 45 jours. Le lendemain, ce jeune Libyen de 22 ans se retrouve accusé de « rébellion » et « menace de crime contre un dépositaire de l’autorité publique ». Auditionné comme prévenu, il vide son sac : les deux gardiens qui l’accusent d’avoir perturbé le repas du soir sont ceux qui l’ont frappé. Fait rare, il est relaxé trois jours plus tard. Des images de vidéosurveillance le montrent assis à une table loin de l’interrupteur, pendant que d’autres retenus s’amusent à éteindre la lumière du réfectoire – provoquant l’ire des fonctionnaires chargés de surveiller le dîner à travers un hublot.

    Plus rare encore, sa plainte pour violence « par personne dépositaire de l’autorité publique » n’est pas classée sans suite alors que les policiers contestent toute brutalité physique. Au contraire, ils ont été les premiers à porter plainte contre celui qui les accuse. Là encore, les images vont leur donner tort.

    Le 22 décembre 2023, le tribunal de Toulouse a suivi les réquisitions du procureur et condamné, à quatre mois de prison avec sursis, un des policiers visés par la plainte de Samir. C’est la deuxième condamnation connue d’un policier en centre de rétention. La première remonte à 2017. Un agent de la police aux frontières avait giflé un étranger sous les yeux d’une greffière dans le Nord.

    Si les condamnations restent exceptionnelles, les violences seraient quotidiennes et largement ignorées par les autorités selon le collectif à bas les CRA, qui sur son blog relaie des témoignages de retenus. Pour l’association la Cimade, qui offre une assistance juridique aux étrangers enfermés, « le manque structurel d’effectifs policiers génère ou aggrave des situations de violences et de violations des droits des personnes enfermées » dans les 25 centres de rétention.

    « J’étais comme un sac de boxe »

    Dans cette affaire, se sont les images de vidéo-surveillance qui vont permettre à la vérité d’éclater. Le soir du 24 novembre 2022, la caméra accrochée au plafond de la salle de transit du Cra de Toulouse-Cornebarrieu filme un policier en uniforme et gilet pare-balles qui enfonce ses pouces dans les orbites de Samir alors que ce dernier est allongé et immobilisé sur un banc contre le mur. La scène ne dure qu’une dizaine de secondes, mais est suffisamment brutale pour provoquer « une poche hémorragique de 2 millimètres » à l’œil gauche, constate un rapport médical consulté par StreetPress. Son avocate, Élisabeth Gomez, se souvient d’un homme aux yeux « injectés de sang ». Devant les enquêteurs, le policier Baptiste se défend de tout geste « volontaire » mais reconnaît que « ses mains ont ripé et ses doigts [se sont] étalées sur son visage » pour le faire taire.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/camera_1.jpeg

    Le 24 novembre 2022, la caméra accrochée au plafond de la salle de transit du Cra de Toulouse-Cornebarrieu filme un policier qui enfonce ses pouces dans les orbites de Samir. / Crédits : Document StreetPress – Ariane Lavrilleux

    Quelques minutes plus tard, à 19h31 et 54 secondes, le second policier au crâne dégarni pousse le Libyen de 22 ans dans l’angle mort de la salle, juste en dessous de la caméra. La victime disparaît de l’image au moment précis où le poing serré du brigadier Amar (1) se dirige vers sa poitrine. L’officier de police chargé de l’enquête conclut « la continuité du mouvement n’est pas établie ». Autrement dit : il n’y a aucune preuve de coups portés au retenu. Amar jure avoir « maîtrisé son geste » juste pour « intimider » le prisonnier sans le toucher. Samir conteste et assure aux officiers de police judiciaire s’être senti « comme un sac de boxe, frappé quatre ou cinq fois au visage et au corps ».

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/camera_3.jpeg

    À 19h31, le second policier au crâne dégarni pousse le retenu dans l’angle mort de la salle, juste en dessous de la caméra. La victime disparaît de l’image au moment où le poing serré du brigadier Amar (1) se dirige vers sa poitrine. / Crédits : Document StreetPress – Ariane Lavrilleux

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/camera_2.jpeg

    L’officier de police chargé de l’enquête conclut « la continuité du mouvement n’est pas établie ». / Crédits : Document StreetPress – Ariane Lavrilleux

    C’est sur la base de ces images que le tribunal de grande instance de Toulouse a condamné Baptiste, le premier policier, et innocenté le second, Amar. Questionnés sur une éventuelle sanction administrative ou suspension, ni la commandante du centre de rétention administrative, ni le service communication de la police de Haute-Garonne n’ont souhaité répondre à StreetPress. Le policier condamné a quant à lui invoqué son devoir de réserve.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/camera_5.jpeg

    Amar jure avoir « maîtrisé son geste » juste pour « intimider » le prisonnier sans le toucher. Samir conteste et assure aux officiers de police judiciaire s’être senti « comme un sac de boxe, frappé quatre ou cinq fois au visage et au corps ». / Crédits : Document StreetPress – Ariane Lavrilleux

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/camera_4.jpeg

    C’est sur la base de ces images que le tribunal de grande instance de Toulouse a condamné Baptiste, le premier policier, et innocenté le second, Amar (1). / Crédits : Document StreetPress – Ariane Lavrilleux

    D’autres violences policières au CRA de Toulouse

    Le centre de rétention de Toulouse – qui a enfermé 1.136 étrangers suspectés par l’administration d’être en situation irrégulière en 2022 – n’en est pas à sa première affaire de brutalité policière. La Défenseure des droits a reçu quatre saisines dénonçant des violences physiques contre des retenus depuis 2022. Les instructions sont toujours en cours. L’une de ces quatre plaintes vise Amar, le policier innocenté dans l’affaire de Samir. Avec une solide impression de déjà-vu.

    Le 24 mai 2023, Ziad (1) est transféré du CRA en garde à vue puis au tribunal pour une comparution immédiate. Comme Samir un an et demi plus tôt, cet Algérien de 29 ans est accusé par trois policiers de « rébellion », « outrage », avec en plus cette fois une inculpation pour « violence sur fonctionnaire de police ». Alors que les récits des fonctionnaires concordent et dénoncent l’agressivité et les insultes qui auraient été proférées à leur encontre par ce retenu, la procureure de Toulouse réclame une relaxe partielle. Le tribunal de Toulouse va plus loin et accorde à Ziad, le 28 mai dernier, une relaxe totale.

    Selon nos informations, les images de vidéosurveillance projetées à l’audience sont très éloignées de la version des fonctionnaires. Dans ses accès les plus violents, Ziad jette par terre les médicaments que vient de lui remettre l’infirmière. Une action que les gardes jugent intolérable. Ils le font sortir de la salle commune et le menottent dans un couloir à l’écart des regards.

    Toute la scène est filmée. L’avocate Claire Macario, qui défendait Ziad, a visionné ces vidéos auxquelles StreetPress n’a pas eu accès. Dans les minutes qui suivent, « on aurait dit qu’il était devenu un sac de pommes de terre, jeté au sol et tabassé » décrit l’avocate. Au juge, l’Algérien assure avoir « des bleus partout » sur son corps frappé par plusieurs policiers et avoir même été utilisé comme un poids mort « pour ouvrir une porte ». Il se plaint de douleurs à son bras qui venait d’être opéré.

    Faux PV pour dédouaner les policiers

    StreetPress s’est procuré le compte-rendu des rushs de vidéosurveillance rédigé par un brigadier de la police aux frontières de Toulouse. Le rapport décrit bien des policiers, dont Amar, en train de « saisir et amener au sol » un retenu « qui s’agite ». Mais aucune violence gratuite n’est mentionnée. Selon ce procès-verbal, « l’angle de la caméra et la faible luminosité gênent la clarté de la visibilité des images ». Un PV qui aurait pu porter préjudice à Ziad si la juge n’avait pas décidé de faire visionner les rushs. Pour la pénaliste Claire Macario, « lorsqu’il y a un PV mensonger, il est plus difficile de défendre nos clients qui sont victimes de violences, car le juge accorde toujours plus de crédit à la parole des policiers qui sont des officiers assermentés ».

    Comme Samir, Ziad a déposé plainte pour violence à la suite de sa relaxe. Le CD-ROM contenant les images de vidéosurveillance a été transmis au procureur de Toulouse, qui n’a pas répondu à nos sollicitations. Le CRA et la police de Haute-Garonne n’ont pas souhaité faire de commentaires sur cette affaire en cours. Le service de communication de la police nationale assure que l’enquête administrative est encore en cours pour les deux policiers. Des sanctions seront éventuellement prononcées à l’issue de celle-ci (2).

    (1) Les prénoms ont été modifiés.
    (2) Edit le 12/02/2024 : ajout de la a réponse du SiCop.

    Illustration de Une par Caroline Varon issue de documents StreetPress – Ariane Lavrilleux.

    Edit le 22/02/2024 : Après la publication de notre enquête, le policier Baptiste qui a été condamné a été muté hors du CRA de Toulouse, sans contact avec du public. Le ministère indique que deux enquêtes administratives sont toujours en cours.

    Le journalisme de qualité coûte cher. Nous avons besoin de vous.

    Nous pensons que l’information doit être accessible à chacun, quel que soient ses moyens. C’est pourquoi StreetPress est et restera gratuit. Mais produire une information de qualité prend du temps et coûte cher. StreetPress, c'est une équipe de 13 journalistes permanents, auxquels s'ajoute plusieurs dizaines de pigistes, photographes et illustrateurs.
    Soutenez StreetPress, faites un don à partir de 1 euro 💪🙏

    Je soutiens StreetPress  
    mode payements

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER