Après trente ans de rue, Mekki a l’habitude d’être expulsé par les forces de l’ordre. « Il y en a, quand ils te délogent, ils sont gênés, ils s’excusent. Certains me disent : “Pour l’instant, il faut que tu partes, mais tu reviens plus tard” », raconte-t-il un peu amusé. Il ne veut pas mettre tous les policiers dans le même panier. Mais il sait que d’autres, « ça ne les dérange pas, ils sont juste violents ». Jusque-là, il s’estimait chanceux, il n’en avait pas croisé. « Il y a des bons et des mauvais, je suis tombé sur les mauvais », résume-t-il de sa soirée du 17 février à Bagneux (92)
Grégoire (1), un témoin qui a filmé la scène depuis chez lui, raconte :
— StreetPress (@streetpress) March 21, 2024
« Les policiers retournaient à leur voiture, puis s’immobilisent, se tournent vers Mekki et le suivent jusqu’à être dans son dos. C’est là que j’entends comme un coup et je le vois tomber par terre. » pic.twitter.com/OlY2qeJlHG
Ce samedi soir d’hiver, à 23h, Mekki est avec sa femme Catherine dans le quartier du centre-ville. Ce sont des habitués, ils y vivent depuis deux ans et le quadragénaire est bien connu des riverains et commerçants de l’avenue pavée Henri-Ravera, qui lui offrent souvent de quoi manger. Le couple partage une petite tente, dans un parking, quand Catherine n’est pas hébergée dans un foyer. Alors qu’il rejoint la laverie où il a l’habitude de s’abriter le soir, Mekki est « plutôt alcoolisé » et s’énerve devant la porte fermée : il a oublié des affaires à l’intérieur. Trois policiers en patrouille, qui pensent à une dispute de couple, demandent à Catherine de rentrer chez elle, et décident de contrôler puis de fouiller Mekki. Tout est en règle, ils le laissent partir.
C’est là que, selon Mekki, dos aux policiers, ceux-ci reviennent vers lui et l’auraient brutalisé :
« Ils m’ont mis un coup de gazeuse lacrymogène. Je ne voyais plus rien, et là, j’ai reçu un coup à la tempe, au-dessus de l’oreille. Je suis tombé sur le dos et ma tête a tapé contre le sol. J’étais sonné. »
Plusieurs semaines après ces violences, Mekki garde encore une bosse au sommet du crâne ainsi que des douleurs au dos « à cause de la chute », surtout lorsqu’il tousse.
« Pourquoi vous le tapez ? »
Interrogée par StreetPress, la préfecture de police reconnaît bien un « usage de gaz lacrymogène », mais pas de coup. Pour l’institution, Mekki aurait ensuite « chuté au sol », sans plus d’explications. Quant à la chronologie des faits, l’institution situe l’usage du spray lacrymogène « lors du contrôle et devant le comportement très hostile de l’individu sous l’emprise de l’alcool » afin de « figer la situation » face au sans-abri.
Une version contredite par Grégoire (1), qui a assisté à la scène en rentrant chez lui après une soirée. Il assure que c’est après le contrôle que les agents ont fait preuve de violence. « Les policiers retournaient à leur voiture, puis s’immobilisent, se tournent vers Mekki et le suivent jusqu’à être dans son dos. C’est là que j’entends comme un coup et je vois Mekki tomber par terre. Ça m’a semblé violent », indique Grégoire, qui commence à filmer avec son téléphone. Les images montrent les policiers secouer fortement le sans-abri, allongé et immobile au sol, avant de le basculer sur le côté. Un des policiers lui crie :
« Fais pas semblant. Réveille-toi. Réveille-toi ! »
Le même agent le saisit à l’épaule et le tire violemment, le soulève en l’air, avant de l’asseoir et lui faire la leçon. « Tu nous insultes et maintenant c’est comme ça que tu fais ? » Un riverain, Adel (1), est interpellé par les bruits. Il connaît bien Mekki. « Il était allongé au sol, immobile. Les policiers le secouaient », témoigne-t-il à StreetPress. Pour lui, même s’il leur avait « mal parlé », ça ne justifierait pas les violences. Il s’inquiète auprès des agents : « Pourquoi vous le tapez ? » Il est sèchement rembarré :
« Ça ne vous regarde pas. »
À une automobiliste garée à proximité qui est préoccupée par les risques d’un traumatisme, un policier rétorque : « Il va rien avoir du tout. Vous pariez combien ? »
Menaces
Avec l’intervention de ces témoins, Grégoire ose interpeller les fonctionnaires et les prévient qu’ils sont filmés. Alors que Mekki est relevé et emmené jusqu’à la voiture de police, l’agent qui a soulevé Mekki menace Grégoire :
« – Postez-là sur les réseaux, monsieur, je porte plainte contre vous.
– OK, faites une menace, très bien. »
« C’était un coup de pression », élude Grégoire au téléphone, qui sait que les agents ne peuvent s’opposer à l’enregistrement et la diffusion de leur image lors d’une intervention (2). De son côté, Mekki est emmené à l’hôpital, la procédure avant tout placement en dégrisement, où un médecin délivre un certificat de non-admission. Il est ensuite emmené au commissariat de Bagneux duquel il ressort le lendemain. Pour le sans-abri, il ne faut pas que ces policiers réitèrent. « Ce qu’ils m’ont fait, ils peuvent le faire à n’importe qui. Je ne veux pas que ça se reproduise. » Mais face à la possibilité de déposer plainte, il craint des représailles. « Je dors dans un parking, sans témoin, vous comprenez, ils vont me faire la misère », s’inquiète-t-il. Pour lui, avec sa parole contre celle des fonctionnaires, la procédure ne vaut pas le coup :
« Ils sont ensemble, ils travaillent ensemble, ils vont se protéger. Ils vont me faire la misère. »
Des accusations de violences qui ne sont pas nouvelles à Bagneux. En août 2023, une voiture de police a percuté un piéton fuyant après un refus d’obtempérer aggravé. Un an plus tôt, un habitant accusait les policiers de l’avoir violenté et tazé devant chez lui. « La PN (police nationale, ndlr), ils déconnent parfois », glisse un responsable de la mairie locale. Sollicitée par StreetPress sur l’ouverture d’une enquête ou la prise de sanctions administratives contre les policiers, la préfecture de police n’a pas répondu à nos questions. Le parquet de Nanterre, également sollicité, n’a pas donné suite.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
(2) En 2021, le Conseil constitutionnel a rejeté l’article de la loi Sécurité Globale qui pénalisait la diffusion « malveillante » des images des forces de l’ordre. Filmer la police et diffuser les images sur les réseaux sociaux reste un droit, à condition que la diffusion n’appelle pas à la haine.
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