« J’ai été mise au courant vendredi 24 janvier que je devais partir le 11 février », lâche Flora (1). Elle vit dans un des appartements du dispositif urgence hébergement lycéen, dit « dispositif lycéen ». L’étudiante infirmière de 20 ans, qui est auxiliaire de vie le week-end, y habite depuis deux ans. « Je trouve ça vache. Je suis en colère et j’ai peur pour la suite. » La Ville de Paris met 466.000 euros dans le projet. C’est la direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (Drihl), sous autorité de la préfecture, qui aurait suspendu son aide, qui représente environ 75 % du dispositif (2). En dehors d’échanges d’emails entre la Drihl et quelques associations, il n’y a toujours pas de document officiel qui atteste la fin du dispositif.
Cette décision révélée par StreetPress et Mediapart signe la fin d’un projet qui a permis depuis 2015 à plus d’un millier de jeunes de bénéficier d’un hébergement à Paris et proche banlieue. L’offre propose aussi un suivi social qui va de l’accès aux droits (régularisation, santé, école et formation, hébergement), à la montée en autonomie dans l’ensemble des démarches. À quoi s’ajoute un accompagnement éducatif avec des visites à domiciles, des accompagnements extérieurs, des psychologues et une juriste pour soutenir ces jeunes sur différents plans. Dans une lettre du préfet Marc Guillaume adressée à la Ville de Paris le 18 décembre, il est écrit que le projet a été conçu « comme un hébergement d’urgence temporaire pour les jeunes migrants en cours de scolarité pour lesquels un doute existant sur leur majorité ». Selon le préfet, « ce dispositif ne correspond plus aux attentes ». Le courrier atteste pourtant bien que tous les candidats au dispositif sont jeunes. Mais sont jugés trop âgés puisqu’ils ne seraient que six à être en recours de minorité.
Comme Flora, une centaine d’autres lycéens et jeunes étudiants, essentiellement exilés (qui ne sont pas pris en charge par l’ASE car ni Français ni reconnus mineurs), se retrouvent quasiment du jour au lendemain expulsés de leurs hébergements, prévus dans le cadre du dispositif lycéen. Des dizaines de départs sont prévus vers des dortoirs franciliens dès dimanche 26 janvier, ou vers des sas d’accueil temporaire en région (Grand-Est, Toulouse, Lyon, Paca…) dès le 4 février. Une réunion d’urgence a eu lieu ce vendredi 24 janvier entre différents acteurs associatifs – comme Droit à l’école ou Jamais sans toit… –, syndicats et éducatifs pour trouver une réponse à l’arrêt brutal du dispositif.
Du jour au lendemain
« Mon élève a appris par SMS qu’il était délogé », s’agace Théo, professeur syndiqué SUD. Il enseigne dans un établissement professionnel du nord de Paris où, sur 300 lycéens, 100 sont des jeunes primo-arrivants. Il affirme :
« Beaucoup vivent en tentes. »
Ce vendredi 24 janvier, il se rend avec son élève du dispositif dans son nouvel hébergement : un dortoir d’un centre d’accueil et d’évaluation des situations (CAES) Adoma. Sur place, cinq jeunes du dispositif lycéens sont entassés dans la même pièce que cinq autres personnes. « Ils ne sont pas le public cible », fulmine l’enseignant. « Il n’y a pas d’espace pour qu’ils puissent travailler. » Surtout, les contrats d’hébergement ne durent qu’un mois. « Que se passera-t-il après ? » s’inquiète le professeur de Français et d’histoire.
Son élève fait partie des quelques jeunes à pouvoir rester à Paris : il a un diplôme à valider à la fin de l’année. Pour les autres, c’est direction les CAES ou les sas d’accueil temporaire en régions. Les sas ne garantissent l’hébergement que pendant trois semaines. « On est très inquiets pour la continuité des démarches dans les sas », livre Milou Borsotti, chargé de mission à Médecins du monde : « Ces jeunes sont scolarisés à Paris, ils y ont des démarches en cours. Une fois sortis de là, il n’y aura pas de possibilité d’hébergement, pas d’aide dans les dossiers de régularisation, pas de suivi de scolarisation. » Plusieurs des acteurs sociaux s’inquiètent de l’avenir des jeunes lycéens :
« Les sas, c’est un moyen de les mettre à la rue après ? »
« Je suis trop déçu, depuis que je suis en France, je me bats, je passe des diplômes et je travaille », s’émeut Sidy, 17 ans (1). Lui fait partie du dispositif lycéen depuis un an. Il passe en ce moment son CAP en alternance et doit valider le diplôme l’an prochain. S’il part, retrouvera-t-il une formation équivalente ? « Il n’y aura pas de réinscription au lycée s’ils n’ont pas la possibilité de le faire », lance une bénévole dans l’assemblée. Depuis la rentrée 2024, plusieurs élèves n’ont pas pu être affectés dans un lycée. Le problème concerne surtout les établissements professionnels. Certains d’entre eux ont été obligés de retourner au collège quand d’autres ont été scolarisés par l’État dans le privé.
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Sidy est également atteint d’une maladie génétique, qui nécessite des soins pour lesquels il est suivi à Paris. Il a la chance d’être en règle, car en dehors d’un suivi sanitaire, d’autres jeunes du dispositif sont en cours de régulation. « En province, ce n’est pas la même structure administrative », continue une bénévole. Comme l’expliquait StreetPress en novembre dernier, les demandes administratives deviennent de plus en plus inaccessibles. Pourtant, la France « a besoin d’une immigration de travail », a assuré ce dimanche 26 janvier le ministre de l’Économie et des Finances Éric Lombard sur LCI, admettant qu’il faut « bien sûr » rester un pays d’immigration, en conflit avec la rhétorique anti-immigration similaire au Rassemblement national du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.
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Impasse à tous les étages
« Il faut faire le lien entre les jeunes du dispositif et les mineurs non accompagnés (MNA) qui dorment à la rue ou qui sont à la Gaîté Lyrique », rappelle Frédérique, enseignante syndiquée SUD en UPE2A – Unité pédagogique pour élèves allophones nouvellement arrivés –, une structure qui accueille des jeunes venant d’arriver en France pendant un ou deux ans. Depuis le 10 décembre 2024, un collectif de mineurs non-accompagnés occupe la Gaité Lyrique et compte désormais 350 personnes. Alertés de nombreuses fois, ni la mairie ni l’État, dont c’est la compétence, n’ont proposé de solutions. Frédérique ajoute :
« On veut que les droits permis par le dispositif lycéen soient élargis. On veut aller à l’encontre du discours qui dit que les MNA sont indésirables. »
Une des possibilités pour loger tous ces jeunes serait de transformer un des deux lycées désaffectés du 19e arrondissement de Paris, le lycée Georges Brassens et Armand Carrel, en hébergement d’urgence. « On demande à ce que les deux servent de centre d’hébergement, mais on se heurte à un mur », explique Frédérique. La préfecture de Paris avait pourtant lancé son feu-vert, mais le maire François Dagnaud aurait refusé. Il serait allé plus loin, en précisant en conseil municipal, selon le Bondy Blog, que « le 19e ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Depuis, François Dagnaud nie avoir tenu ces propos. La mairie d’arrondissement rappelle que des associations devraient investir le lycée Brassens et que les lieux ne sont pas adaptés à l’accueil. Pour Léa Filoche, adjointe à la solidarité, la Ville « n’a pas envie de se faire jeter par les flics ».
Les députés La France insoumise de Paris ont fait parvenir une lettre au préfet vendredi 24 janvier, qui stipule que « la suppression des trop rares dispositifs existant pour assurer l’hébergement […] ne ferait qu’amplifier une situation chaotique […] ». Une précédente, laissée sans réponse, avait déjà été envoyée par Danièle Obono le 18 décembre dernier, s’inquiétant d’une « catastrophe ». Dans l’urgence, les différents acteurs sociaux liés au dispositif lycéen explorent différentes pistes de soutien et de lutte, dont un rassemblement prévu mardi 28 janvier à 18 heures sur la place Armand Carrel, devant la mairie du 19e. Ils revendiquent le retour immédiat du dispositif lycéen, et qu’il soit élargi à d’autres territoires pour éviter d’avoir des élèves à la rue, comme il y en a déjà de nombreux.
(1) Les prénoms ont été changés.
(2) Contactés, la Drihl, la préfecture de Paris et le rectorat n’ont pas répondu à la parution de l’article.
Image d’illustration en Une.
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