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    23/04/2025

    « On sait a posteriori que ce n’est pas lui. Mais ça, les policiers ne peuvent pas le savoir »

    À Clichy-sous-Bois, un jeune de 19 ans tabassé « par erreur » par des policiers

    Par Lina Rhrissi

    À l’été 2024, Murat a été confondu par des policiers avec une personne en fuite et a été violemment frappé. Malgré son visage tuméfié à la sortie du commissariat, c’est lui qui a été poursuivi pour violences. Une enquête de l’IGPN est ouverte.

    « Je n’ai pas compris ce qu’il m’arrivait », explique Murat Y. à la barre, neuf mois après les faits. Le 18 juillet 2024, à 3h40 du matin, sur le parking des Cinq Continents à Clichy-sous-Bois (93), le garçon de 19 ans discute avec deux amis près de leurs deux véhicules, avant de rentrer chez lui. Tout à coup, un véhicule Hyundai traverse la zone à toute allure, fait un tour de la ville et revient pour freiner brutalement devant les trois copains ahuris. Le conducteur prend la fuite en courant, délaissant une femme en pleurs place passager. Ni une, ni deux, un Scénic de la police nationale s’arrête à son tour devant le petit groupe. « Ils nous ont menacé de jeter une bombe lacrymogène si on ne déguerpissait pas », rembobine Murat. Les trois jeunes apeurés s’exécutent. Ses deux amis se carapatent vers la droite, tandis que lui fonce vers la gauche. Il est stoppé par six ou sept policiers qui le braquent avec leurs armes :

    « Automatiquement, moi, je les écoute, je vais au sol. Je ne me débats pas, mais je leur demande d’arrêter de me frapper. »

    Sortie de GAV le visage tuméfié

    Le jeune homme est emmené en garde à vue au commissariat du XIXème arrondissement de Paris. Il en ressortira 48h plus tard, sans ses chaussures ni son iPhone, qu’il n’a jamais pu récupérer. Il est aussi méconnaissable d’après une photo consultée par StreetPress : Murat a de nombreux hématomes et œdèmes autour des paupières qui forment d’énormes gonflements rouges et noirs. Il a les yeux injectés de sang et sa vision est amoindrie. Il souffre également de bosses et de douleurs au crâne ainsi que d’écorchures sur la cuisse et le dos. Le médecin lui délivre neuf jours d’incapacité totale de travail (ITT).

    Ce 4 avril 2025, c’est pourtant lui qui est jugé au tribunal judiciaire de Paris. Il est accusé d’avoir effectué des violences sur un gardien de la paix, Tanguy P., et un policier, Mateo A., qui ont eu respectivement deux et trois jours d’ITT suite à cette interpellation. Les agents ne se sont pas déplacés au procès. De son côté, Murat a porté plainte contre les policiers qu’il accuse de violences auprès de l’Inspection générale de la police (IGPN).

    Au mauvais endroit, au mauvais moment

    L’affaire est « rocambolesque », selon la juge qui rappelle les faits. Cette nuit-là, sur le périph’ du côté de la porte de Pantin, à Paris, les policiers du XIXème repèrent une Hyundai qui circule avec le phare avant droit éteint, une infraction au code de la route. S’ensuit « une véritable course-poursuite » de l’autoroute A3 jusqu’à Bondy (93), en passant par la Nationale 3. Le conducteur grille les feux ou les stops et roule tellement vite pour échapper aux policiers qu’il aurait manqué de renverser des piétons à plusieurs reprises. Une fois la voiture arrêtée sur le parking de Clichy-sous-Bois, les agents chargés d’intercepter le fuyard se trompent sur la personne et ciblent Murat. L’apparence du jeune de 19 ans correspondrait, selon eux, à la description que leurs collègues leur ont transmise à la radio.

    D’après le récit des deux agents dans leur plainte, Murat aurait été « dans un état de surexcitation palpable » au moment de son interpellation. Il aurait refusé de se soumettre au menottage et porté de multiples coups de poings aux agents. Les policiers ont des blessures, comme « une vive douleur dans la main droite » et une « plaie saignante à la lèvre supérieure » pour le gardien de la paix Tanguy P. Son collègue est lui aussi blessé à la main et à la lèvre.

    Peur de mourir

    Le manutentionnaire nie les faits qui lui sont reprochés. Il livre sa version de l’interpellation :

    « Je reçois des coups sur la tête, ils m’écrasent le corps avec leurs chaussures de sécurité, me matraquent… Ils étaient vraiment plusieurs policiers en train de me frapper. »

    Dans ses souvenirs, un fonctionnaire lui aurait lancé : « Toi t’es mort, c’est que le début. » Au fond de la salle d’audience, pendant qu’il décrit les sévices qu’il a subis, sa mère et sa sœur retiennent difficilement leur émotion. La présidente l’interroge : « Donc, pour vous, les policiers mentent quand ils disent que vous vous êtes débattu ? » « Exactement », lui répond le Francilien tout juste majeur. « Je ne comprends pas comment ils ont pu dire ça. Je ne suis pas un super-héros pour me battre avec des agents armés qui menacent de me tirer dessus. » Il ajoute :

    « À cette époque-là, un jeune de mon quartier avait été tué par des policiers. Donc j’avais surtout peur de mourir. »

    Murat affirme avoir été frappé pendant des heures, d’abord lors de son interpellation, mais également dans la voiture de police l’emmenant en garde à vue, puis dans l’ascenseur le menant au bureau de l’officier de police judiciaire. Maître Anh-Mai Dang, l’avocate qui l’a assisté pendant sa garde à vue, décrit dans ses observations « un climat particulièrement hostile à [leur] égard » dans le commissariat. L’enquêteur aurait notamment refusé de faire figurer « une partie des éléments à décharge » que l’avocate évoquait sur le procès-verbal d’audition.

    Devant la juge, le préparateur de commande détaille :

    « À cause de cette histoire, j’ai perdu mon travail puisque je n’ai pas pu donner de nouvelles à mon employeur pendant deux jours. »

    Entre-temps, il a déménagé chez des proches en Allemagne. « J’ai été traumatisé, j’ai voulu m’éloigner un peu de Paris. »

    Un conducteur finalement identifié mais non poursuivi

    Pendant sa plaidoirie, l’avocat des policiers reconnaît lui-même la violence de ses clients, qu’il justifie par la légitime défense :

    « On sait a posteriori que ce n’est pas lui. Mais ça, les policiers, ils ne peuvent pas le savoir. »

    Ce dernier souligne que la scène a eu lieu dans le noir et que ses clients ont pu craindre que le jeune homme soit armé. Pour l’avocat, comme Murat aurait initié les coups, le prévenu « est le seul responsable de ses propres blessures. » La procureure, quant à elle, estime certes que la violence de l’interpellation était « disproportionnée », mais rappelle que « les refus d’obtempérer se multiplient » et que la course-poursuite a été « particulièrement stressante pour les forces de l’ordre ». Des tentatives de justifications loin de convaincre maître Suzanne Kaya, l’avocate de Murat, qui s’étonne que les poursuites à l’encontre du conducteur aux multiples infractions, identifié pendant l’enquête, aient été abandonnées, mais que son client soit poursuivi. Pour elle, il a été « torturé par une dizaine de policiers » sans aucune raison. Considérant que ce procès est « inadmissible », elle ironise :

    « On nous dit que les forces de l’ordre ont eu affaire à un stress énorme et ont choisi Monsieur Y. pour se déstresser. »

    À l’issue de l’audience, Murat a été relaxé. Selon la préfecture de police de Paris, l’enquête judiciaire diligentée par l’IGPN a quant à elle été transmise au parquet de la capitale.

    Illustration de Une de Joseph Colban.

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