En ce moment

    13/10/2025

    « Ce n’est pas une manif comme les autres, c’est une naissance politique »

    « Fous et fiers » : à Paris, une marche pour dénoncer la violence des institutions psychiatriques

    Par Delphine Cerisuelo , Fiora Garenzi

    Ce samedi, des centaines de personnes ont défilé pour la première Mad Pride autonome, composée uniquement de personnes psychiatrisées. La marche « des fiertés folles » se veut politique et dénonce les violences des institutions psychiatriques.

    Paris, place de la République, samedi 11 octobre – « Après mon diagnostic, il y a eu les gens dont le regard n’a pas changé, comme Julia, son amie de toujours venue défiler à ses côtés, et les autres… », raconte Judith, la trentaine, le visage recouvert de paillettes. Autour d’elle, des pancartes colorées « Fou et fier » sont brandies, entre quelques drapeaux arc-en-ciel soulevés par le vent. Sur une autre on peut lire : « Je ne suis pas mon diagnostic. » « Toute ma vie, on m’a dit que j’étais différente. Aujourd’hui, je suis venue pour combattre la normalité ! », clame Alicia (1), 20 ans, étudiante. « Se revendiquer fou, folle, c’est renverser le stigmate », ajoute Antoine de l’association antipsychiatrie Démocrapsy, l’un des collectifs à l’origine de la première « Mad Pride » autonome, avec Comme des Fous, Advocacy ou Nan Marci.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/dsc03622_copie_-_grande.jpeg

    Samedi, plusieurs centaines de personnes ont défilé pour la première Mad Pride autonome. / Crédits : Fiora Garenzi

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/dsc01772_copie_-_grande.jpeg

    Une « marche des fiertés folles » par et pour les personnes psychiatrisées. / Crédits : Fiora Garenzi

    Si le mouvement Mad Pride existe depuis les années 1990, c’est la première fois qu’il est organisé en non-mixité, sans institution, sans soignants, et sans être porté par des psychiatres. Son nom, en référence aux autres marches des fiertés, propose à toutes celles et ceux désignés comme fous, folles, aux personnes psychiatrisées, traumatisées, de « revendiquer leur place dans l’espace public non pas comme patients, mais comme sujets politiques », selon les organisateurs. Le but ? Changer les regards sur la folie et dénoncer les violences médicales institutionnelles. Les collectifs à l’origine de cette « marche des fiertés folles » réclament notamment l’abolition de la contention, de l’isolement, l’abrogation de la loi du 5 juillet 2011 autorisant l’internement et le traitement sans consentement et dénoncent les violences policières contre les personnes psychiatrisées.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/dsc02038_copie_-_grande.jpeg

    Les manifestants ont défilé de la place de la République à Paris jusqu'à la place de la Nation. / Crédits : Fiora Garenzi

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/dsc02205_copie_-_grande.jpeg

    Judith et son amie Julia. / Crédits : Fiora Garenzi

    À LIRE AUSSI : Rony Cély, Kyllian Samathi, Amadou Koumé : ces personnes en souffrance psychologique sont mortes après une intervention de police

    Dénoncer les violences

    « On a le sentiment d’une confiscation de notre parole », explique une des organisatrices. Un an après la promesse du gouvernement de faire de la santé mentale « la grande cause nationale 2025 », les premiers intéressés attendent toujours d’être consultés, et dénoncent par cette manifestation leur mise à l’écart du débat, au profit des seuls personnels de santé. Dans la foule, des pancartes en carton affichent : « Rien sur nous sans nous. » Sur place, aucun élu, ni politique, à l’exception de la députée LFI Sophia Chikirou.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/dsc02569_copie_-_grande.jpeg

    La manif' souhaite participer à changer les regards sur la folie et dénoncer les violences médicales institutionnelles. / Crédits : Fiora Garenzi

    Le départ du cortège est lancé par la rappeuse Treizes. Au milieu de la foule de plusieurs centaines de manifestants, une pancarte, sans un mot, dévoile le portrait, en noir et blanc, d’une femme qui sourit, tenue par sa proche Mounia. Dans le micro, le cortège queer féministe scande gravement : « Hommage à celleux qui sont enfermés en HP, à celleux qui n’ont pas eu la force de venir, à celleux trop nombreux et nombreuses qui nous ont quittés, souvent par suicide et par épuisement dans ce monde criminel. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/dsc04453_copie_-_grande.jpeg

    « On a le sentiment d’une confiscation de notre parole », explique une des organisatrices. / Crédits : Fiora Garenzi

    À LIRE AUSSI : Face à la pénurie de psychotropes, des patients atteints de troubles psychiques confient leur désarroi

    Plus loin, un mannequin est allongé sur un brancard, les pieds attachés et une chaîne autour du cou. Une mise en scène qui fait écho au vécu de Loys, derrière la pancarte « la folie est politique » :

    « J’ai été enfermé. Je suis un survivant de la psychiatrie. Aujourd’hui, je viens pour reprendre la parole. »

    Les militants dénoncent la contention au sein des hôpitaux psychiatriques, pratique considérée comme l’un des actes le plus grave de privation de liberté. Plus de 8.000 personnes hospitalisées sans leur consentement au sein de services psychiatriques ont été soumises à des contentions mécaniques en 2022, l’Irdes. « La France a ratifié la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées mais continue d’y déroger en autorisant l’internement sans consentement, la tutelle et la contention », précise Diego, tout jeune locataire du dispositif de l’asso’ Un Chez Soi d’Abord, sans lequel il aurait été à la rue à sa sortie d’hospitalisation.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/dsc03364_copie_-_grande.jpeg

    Plus loin, un mannequin est allongé sur un brancard, les pieds attachés et une chaîne autour du cou est utilisé pour dénoncer la contention au sein des hôpitaux psychiatriques. / Crédits : Fiora Garenzi

    À LIRE AUSSI : « Ce n’est pas du soin, c’est une punition » : Le calvaire de Thomas, enfermé en unité psychiatrique

    Un sujet politique

    Les critiques s’étendent bien au-delà des pratiques d’hospitalisation. Le collectif Démocrapsy dénonce une « construction historique de la folie » qui viserait à marginaliser et maintenir certaines populations dans la précarité. « Des gens qu’on relègue à l’Allocation adulte handicapée (AAH), aux établissements et services d’accompagnement par le travail (ESAT), aux curatelles… », déroule Antoine. Pour lui, c’est un combat global : « Si une personne psychiatrisée, alors qu’elle est au RSA, vit dans sa bagnole, c’est aussi un sujet de santé. » Il épingle l’allocation adulte handicapé qui plafonne à seulement 1.033 euros par mois, soit moins que le seuil de pauvreté, défini par l’INSEE à 1.288 euros. Ou encore les ESAT qui rémunèrent les travailleurs handicapés à 55 % du SMIC. « Je ne savais pas du tout… Ça ressemble quand même beaucoup à de la discrimination », réagit un passant. Il y a trois semaines, la présidente de la région Île-de-France Valérie Pécresse et sa majorité supprimaient en toute discrétion les subventions allouées aux Maisons départementales des personnes handicapées.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/dsc03834_copie_-_grande.jpeg

    Le collectif Démocrapsy dénonce une « construction historique de la folie » qui viserait à marginaliser et maintenir certaines populations dans la précarité. / Crédits : Fiora Garenzi

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/dsc02999_copie_-_grande.jpeg

    La Made Pride : « fous et fiers ». / Crédits : Fiora Garenzi

    Pancartes et mots d’ordre appellent à la création de lieux de répit où les personnes en crise pourraient être accueillies sans contrainte, hors du champ médical, c’est-à-dire « par nos propres moyens », selon la formule de Judi Chamberlin, activiste historique du mouvement des survivants de la psychiatrie. Une idée soutenue par Lison, artiste dont les chansons racontent aussi son vécu avec la psychiatrie. Elle pratique désormais la pair-aidance – entraide entre personnes partageant des expériences psychiques similaires –, après être passée par La Maison Perchée, lieu de soin communautaire francilien :

    « Ça m’a sauvé la vie. Aujourd’hui, on est là pour dire qu’on est contents d’être vivants. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/dsc02405_copie_-_grande.jpeg

    Lison, artiste dont les chansons racontent aussi son vécu avec la psychiatrie et qui pratique désormais la pair-aidance. / Crédits : Fiora Garenzi

    Antoine de Démocrapsy est porté par un espoir plus profond : celui de l’émergence d’un mouvement antipsychiatrie autonome en France. « Il faut qu’on construise un “bloc fou” ». Nan Marci, organisatrice du cortège queer féministe affirme : « Ce n’est pas une manif comme les autres, c’est une naissance politique ». Loys, croisé au début de la manifestation, tend son téléphone à Judith et Julia : « C’est une amie en FaceTime, elle voulait venir mais elle ne peut pas : elle est en hôpital de jour… »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/dsc02768_copie_-_grande.jpeg

    Pour les organisateurs de la Mad Pride : « Ce n’est pas une manif comme les autres, c’est une naissance politique. » / Crédits : Fiora Garenzi

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER