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    03/11/2025

    Des détenus auraient été étranglés ou frappés à la tête

    À Toulouse, les failles de l’administration pénitentiaire face aux accusations de violences d’un surveillant

    Par Clément Barraud

    Ce 4 novembre est jugé au tribunal de Toulouse un surveillant du centre pénitentiaire de Seysses, accusé d’avoir frappé plusieurs détenus, entre septembre 2024 et janvier 2025. Malgré plusieurs alertes, il est resté en poste jusqu’en mai.

    « Tête tapée contre le sol », « coups au visage », « étranglements », détenu frappé nu… Les récits des violences qu’auraient subi plusieurs détenus de la maison d’arrêt de Seysses (31), en Haute-Garonne, de la part d’un surveillant témoignent de la gravité des actes qui lui sont reprochés. Arnaud B., affecté au service des parloirs, est accusé d’avoir frappé cinq détenus, dont deux ont porté plainte. Dans l’attente de son procès, ce 4 novembre, il est présumé innocent.

    Les coups auraient eu lieu dans le secteur des parloirs, dans une zone dépourvue de caméras puisqu’il s’agit d’une pièce dédiée aux fouilles à corps. Pour la plupart des détenus concernés, le contexte de ces incidents est une « suspicion de rentrée d’objets interdits » — comme le tabac, des sandwichs, etc. — à l’occasion de ces parloirs, selon les termes employés par l’administration pénitentiaire. C’est au moment de la fouille, déclenchée pour vérification, que les trois premiers faits auraient eu lieu entre le 5 et le 12 septembre 2024. Selon les témoignages des détenus recueillis lors de la procédure, le premier se serait vu « hurler dessus » et « frappé à la tête », le deuxième aurait été « saisi à la gorge » et le troisième aurait été frappé « deux fois au visage ». Aucun d’entre eux n’a porté plainte.

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    Quelques mois plus tard, deux autres personnes dénoncent de graves violences de la part de ce surveillant. Le premier dépose plainte le 12 décembre 2024 pour des faits qui se seraient produits début novembre. Dans son audition, rapportée par l’Observatoire international des prisons (OIP), il décrit « un déferlement de haine » :

    « Il m’a étranglé, il m’a mis des coups, et j’ai rien compris. Il m’a tapé ma tête dans le sol. »

    Le second aurait été frappé le 10 janvier et porte plainte le 27 janvier. Son avocate, maître Justine Rucel (1), relate le contexte dans lequel il aurait subi les violences. Après s’être rendu à un parloir avec sa mère, qui lui a transmis des médicaments, son client subit « une fouille intégrale pour suspicion de rentrée d’objets interdits ». Alors qu’il est nu, « le surveillant le plaque contre un mur » et lui aurait tapé la tête contre. Elle explique :

    « Quand je le rencontre quelques jours après, il présente une plaie à l’arcade sourcilière. »

    Elle ajoute que « selon l’agent, le détenu s’est débattu, et s’est tapé la tête tout seul ». Aucun des détenus n’aurait eu accès immédiatement à une consultation avec un médecin. « Mon client n’a pu en voir un que quelques semaines plus tard, le 7 février, dans un autre établissement où il a été transféré (2) », précise l’avocate. Malgré ce délai, le certificat médical « atteste que les ecchymoses constatées par le médecin sont compatibles avec les déclarations du détenu », renchérit-elle.

    Une direction peu réactive

    Cette affaire secoue cet établissement confronté à une surpopulation carcérale record qui a déjà été épinglé, à de multiples reprises, pour ses conditions de détention, jugées « indignes » par la contrôleure générale des lieux de privation de liberté.

    En juillet, une audience s’est tenue à ce sujet devant le tribunal administratif de Toulouse, à la suite d’une saisine de plusieurs organisations, dont l’OIP. Les violences en détention, notamment celles dont est accusé ce surveillant, y ont été abordées. Dans son ordonnance rendue le 25 juillet, le juge des référés enjoint l’administration à « saisir sans délai le procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du Code de procédure pénale de tout acte du personnel sur les personnes détenues susceptible de recevoir la qualification de crime ou de délit ». Une disposition déjà présente dans la loi. Pourtant, alors qu’elle est rapidement informée de l’existence de ces violences, la direction de la prison de Seysses n’a pas signalé immédiatement ces incidents au parquet.

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    C’est d’ailleurs l’ensemble du traitement de cette affaire par l’administration pénitentiaire qui interroge. En effet, dès début septembre 2024, un autre agent lance l’alerte auprès de sa hiérarchie, en dénonçant à deux reprises les agissements présumés de son collègue. Le 18 septembre 2024, les trois détenus sont auditionnés par le directeur de détention et confirment avoir été victimes de coups par l’agent. Entre le 7 octobre et le 12 novembre 2024, le chef d’établissement du centre pénitentiaire Toulouse-Seysses, Philippe Audouard, adresse pas moins de trois demandes d’explications écrites au surveillant au sujet des faits incriminés. « L’agent affirme qu’il ne les a pas reçus… », se désole Me Rucel.

    Ce n’est que fin novembre 2024 qu’un signalement auprès du parquet est effectué par le chef d’établissement. « Soit deux mois et demi après les premiers faits, et alors que les trois premiers détenus avaient été entendus deux mois plus tôt… », cingle l’avocate. « Si le parquet avait été prévenu immédiatement, ils auraient peut-être eu des certificats médicaux… », poursuit-elle. Contactée par StreetPress afin de connaître les raisons de ce signalement tardif, l’administration pénitentiaire n’a pas répondu à nos sollicitations.

    Le royaume de l’omerta

    Le surveillant répond finalement par écrit à sa hiérarchie le 29 janvier, démentant catégoriquement les trois premiers faits de violence sur lesquels il était sommé de s’expliquer. Début février, la direction de l’établissement décide de classer « sans suite à défaut d’éléments factuels », estimant qu’il n’y a ni « vidéo ni témoignage qui corroborent les propos des trois détenus », selon nos informations.

    Entre-temps, le 27 janvier, le surveillant fait l’objet d’une seconde plainte pour des coups présumés du 10 janvier. Il reste, malgré tout, en poste jusqu’à sa mise en garde à vue le 14 mai. Devant les enquêteurs, contrairement à ses dénégations quelques mois plus tôt, en janvier, l’agent explique avoir usé de la force strictement nécessaire. À l’issue de sa garde à vue, il est placé sous contrôle judiciaire et transféré dans un autre service sans contact avec les détenus, sur décision du juge des libertés et de la détention.

    À VOIR AUSSI (en 2024) : En prison, l’enfer du mitard : « Le risque de suicide est 15 fois plus élevé qu’en détention »

    Lors de l’audience devant le tribunal administratif, en juillet, la directrice adjointe de la prison de Seysses, Julie Boissinot a assuré — concernant les premiers faits signalés — que les détenus « ne les ont pas dénoncés directement. C’est une information remontée en interne qui nous a permis de traiter cette affaire ». Pour maître Rucel, rien d’étonnant au regard de la difficulté pour les détenus de dénoncer de tels faits de violences :

    « Ils ne parlent pas par peur des représailles, et quand ils parlent on ne les croit pas. On ne les met pas en situation de pouvoir porter plainte contre des agents. »

    Cette chape de plomb entourant la réalité des violences des agents pénitentiaires avait déjà été mise en lumière par l’OIP dans un rapport publié en juin 2019. L’association y dénonçait l’« omerta, l’opacité, l’impunité ». Six ans plus tard, rien n’a changé selon l’OIP, qui a alerté en mai sur « la récurrence des témoignages dénonçant des violences subies ou constatées, et de l’incurie des pouvoirs publics à s’attaquer au phénomène ».

    (1) Maître Justine Rucel défend les deux détenus ayant porté plainte, tous deux se constituant partie civile.

    (2) La raison de ce transfert n’a pas été indiquée à StreetPress.

    Photographie de Une de la prison de Nanterre prise par StreetPress en 2024.

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