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    25/11/2025

    Lors de sa dernière niche parlementaire, la moitié des textes présentés par les Lepenistes venaient d’ailleurs

    À l’Assemblée, le RN vole les textes des autres formations politiques

    Par Adèle Daumas

    À l’Assemblée nationale, un texte sur trois présenté par le Rassemblement national reprend une proposition ou une idée d’un autre groupe politique. Une stratégie du caméléon qui met les élus face à leurs contradictions de ne pas voter ses propositions.

    « Nous allons commencer par l’examen d’une proposition de loi inscrite […] par le groupe Rassemblement national », annonce le vice-président de la commission des finances, François Jolivet (Horizons) ce 22 octobre. Avant de préciser : « Ce texte est la reprise, mot pour mot, des articles d’une autre proposition de loi sur les frais bancaires » déposée par le groupe communiste au printemps et que l’Assemblée nationale avait commencé à examiner.

    Dans la salle, des députés s’indignent. « C’est de la piraterie parlementaire », dénonce Sophie Pantel (PS). À l’origine, le RN souhaitait, de son propre aveu, inscrire à son ordre du jour la proposition déposée par le groupe communiste. Lequel a préféré retirer son texte, contraignant le parti lepéniste à en rédiger un identique. Une stratégie assumée : « Je vois qu’il existe à gauche une certaine amertume, liée au fait que nous avons repris, mot pour mot, un texte du groupe GDR [Gauche démocrate et républicaine, ndlr] », s’amuse Matthias Renault, rapporteur du texte. Il précise y avoir tout de même ajouté « quelques amendements pour essayer de [le] réorienter un peu ».

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    « Pomper les idées des autres pour les faire siennes, le RN est coutumier de ces pratiques », commente Yannick Monnet (PCF), auteur du texte original. À l’Assemblée nationale, il est de notoriété publique que le parti d’extrême droite pioche parmi les propositions formulées par d’autres groupes politiques pour alimenter son ordre du jour. Depuis juin 2022 et l’entrée massive du parti d’extrême droite au Parlement, ce dernier a présenté une trentaine de textes lors de ses « niches parlementaires » — ces journées dont dispose chaque groupe d’opposition, une fois par an, pour faire examiner ses propositions de loi par les autres députés. StreetPress a fait le compte : un texte sur trois défendu par le RN lors de ses niches est inspiré, voire carrément plagié à une autre formation politique (surligné en jaune dans l’infographie ci-dessous).

    Vol de textes et appropriations à la sauce du RN

    Lors de sa dernière niche parlementaire, le 30 octobre, ce sont même la moitié des textes présentés par le Rassemblement national qui venaient d’ailleurs. Le parti brasse large en allant piocher du côté du PCF pour sa proposition sur les frais bancaires injustes, des Républicains pour un texte sur les personnes en situation de handicap, de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) pour le sujet de l’école et de ses personnels et même de LFI pour un texte sur la gratuité dans les hôpitaux publics.

    La pratique n’est pas nouvelle. Comme pour la tentative avortée d’inscription du texte communiste sur les frais bancaires à son ordre du jour, le RN essaye parfois de reprendre directement des textes déposés par d’autres. En 2023, la députée Caroline Fiat avait retiré son texte sur la réintégration des soignants non vaccinés pour éviter que le RN ne se l’approprie. Lors de la même niche, Philippe Vigier (MoDem) avait dénoncé un « copier-coller », ainsi que l’avait relevé LCP. Le député avait accusé le RN d’avoir « piqué le texte » de son groupe sur la proportionnelle. Le parti d’extrême droite avait déposé un texte avec quatre articles quasiment identiques au sien.

    Dans d’autres cas, les députés lepénistes reprennent des idées défendues par d’autres groupes en les accommodant à la sauce RN. En juillet, le député LFI Pierre-Yves Cadalen dépose une proposition de loi pour « garantir la gratuité des parkings des établissements publics de santé ». Le 16 septembre, Thierry Frappé propose son texte sur la « gratuité des parkings d’hôpitaux publics ». « Il s’appelle pareil mais n’a pas le même contenu », dénonce Pierre-Yves Cadalen, dont le texte implique de mettre fin aux contrats de concession en cours — ce que ne propose pas le texte du RN.

    « C’est une fausse proposition de gratuité ! Soit ils ont mal travaillé, soit ils ont voulu protéger les concessionnaires et font preuve d’une imposture sociale. »

    Faire « sauter le verrou antifasciste »

    Derrière ces emprunts, le député LFI voit le prolongement de la stratégie de « banalisation » du parti de Marine Le Pen entre les murs de l’Assemblée. Il estime :

    « Leur objectif, ce n’est pas que les textes soient adoptés, c’est d’envoyer des signaux. »

    Et de montrer les contradictions qui animent les autres groupes, dont beaucoup restent encore réticents, par principe, à voter pour les propositions émanant du Rassemblement national.

    Si sur les sujets de pouvoir d’achat le RN défend des textes proches de ceux de LFI — c’est d’ailleurs le parti qui l’inspire le plus selon les statistiques développées dans les infographies de StreetPress —, il fait des appels du pied à la droite sur le thème de la sécurité. En 2024, les Lepénistes défendent la « réinstauration des peines plancher ». Lors de sa niche parlementaire l’année précédente, Horizons, par l’intermédiaire de Naïma Moutchou, avait présenté un texte contre la récidive, proposant notamment une réintroduction des peines plancher sous certaines conditions. Le texte avait divisé la majorité et été rejeté par l’Assemblée.

    À LIRE AUSSI (en 2024) : Assistants parlementaires du RN : la galerie des horreurs

    Dans cette ligne, le RN se positionne aussi sur des textes transpartisans. Par deux fois, il a souhaité présenter des propositions venues du groupe de l’Union centriste au Sénat. Une pratique tout à fait possible, puisqu’une fois un texte adopté par une Chambre, il peut être repris par n’importe quel autre parlementaire dans l’autre — sans que les auteurs originels en soient informés ou donnent leur accord. « On ne m’a pas demandé mon avis, j’étais la première surprise », dit l’ex-sénatrice Valérie Létard (UDI), lorsque le RN décide en 2023 de défendre son « aide universelle aux victimes de violences conjugales » à l’Assemblée. Son texte sera finalement étudié lors d’une semaine transpartisane et définitivement adopté. Un collaborateur centriste ironise :

    « En plus, ça ne nous arrange pas qu’ils reprennent nos textes, c’est la meilleure façon de s’assurer qu’ils ne seront pas adoptés ! »

    Est-ce toujours le cas ? Cette stratégie qui vise à « faire sauter le verrou antifasciste », selon Pierre-Yves Cadalen, commence à payer. Le 30 octobre, pour la première fois, les députés ont adopté un texte du Rassemblement national. Il s’agissait de la proposition de résolution « visant à dénoncer les accords franco-algériens », un texte non contraignant mais hautement symbolique. Et celui-ci, 100 % rédigé par le Rassemblement national.

    Contacté, le Rassemblement national n’a pas donné suite à nos demandes d’interviews. Quelques jours avant la publication de cette enquête, le député Julien Rancoule a dénoncé sur X (anciennement Twitter) des amendements au budget 2026 qui auraient été « copiés mot pour mot » par la gauche sur le Rassemblement national. Sur les six amendements qu’il mentionne, quatre avaient déjà été déposés l’an passé pour le budget 2025, dont deux figuraient parmi les propositions de la gauche mais pas parmi celles du RN. Julien Rancoule oublie également que l’une des mesures dont il estime avoir été plagié, celle sur l’achat de kits de largage Airbus, figure dans un rapport… rendu par les députés Sophie Pantel (PS) et Damien Maudet (LFI) en juillet.

    Illustration de Une par Mila Siroit.

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